On la désigne par « anomalie de l’Atlantique sud ». Il s’agit d’une vaste zone, située entre l’Amérique du Sud et le sud-ouest de l’Afrique, où l’intensité du champ magnétique est très inférieure à celle observée sur le reste de la planète. Ce curieux phénomène intrigue les scientifiques depuis des années. L’Agence spatiale américaine suit scrupuleusement son évolution, car les engins spatiaux sont particulièrement vulnérables à ces fluctuations magnétiques.
Cette anomalie de l’Atlantique Sud (notée SAA, pour South Atlantic Anomaly) n’affecte aucunement la vie sur Terre. En revanche, les engins en orbite autour de notre planète, comme les satellites ou la Station spatiale internationale par exemple, passent au travers. Conséquence : toute la technologie embarquée à bord de ces engins est directement exposée aux particules de haute énergie issues du Soleil, qui peuvent engendrer un dysfonctionnement.
Le « nid de poule » de l’espace
C’est ainsi que la NASA surnomme cette anomalie magnétique. Le phénomène semble s’étendre depuis plus d’une décennie et les experts affirment que la zone concernée est même en train de se scinder en deux parties. Rien de très alarmant, mais le suivi de cette anomalie est une opportunité unique pour les spécialistes d’étudier d’un peu plus près le fonctionnement du champ magnétique terrestre et de surveiller son évolution.
Et pour cause, ce dernier est fondamental pour toute forme de vie sur Terre ! Pour commencer, il permet de nous diriger à l’aide de boussoles, et permet aux oiseaux migrateurs de s’orienter. Mais surtout, ce champ magnétique agit comme un véritable bouclier contre les particules solaires chargées. D’où vient-il ? Comment s’est-il formé ? Eh bien au cœur de notre planète, à des milliers de kilomètres sous la surface, se trouve un noyau de fer liquide, dont les mouvements génèrent continuellement des courants électriques. C’est la source principale du champ magnétique terrestre.
Mais c’est un peu plus complexe que cela : « Le champ magnétique est en fait une superposition de champs provenant de nombreuses sources de courant », explique le géophysicien Terry Sabaka, du Goddard Space Flight Center de la NASA. En outre, contrairement à un aimant classique, le champ généré n’est pas uniforme, ni parfaitement stable. Au sud de l’Afrique, notamment, le champ est largement perturbé par un immense réservoir de roches denses (appelé « la grande province africaine à faible vitesse de cisaillement »).
Cette perturbation entraîne une diminution notable du champ, favorisée par l’inclinaison de l’axe magnétique. La SAA observée serait donc une conséquence de cet affaiblissement. « Plus précisément, un champ localisé à polarité inversée croît fortement dans la région SAA, rendant ainsi l’intensité du champ très faible, plus faible que celle des régions environnantes », explique Weijia Kuang, géophysicien et mathématicien au Goddard Space Flight Center. La vidéo suivante, proposée par le Goddard Space Flight Center, donne une explication illustrée du phénomène :
Fort heureusement, les variations magnétiques observées aujourd’hui n’engendrent pas de graves conséquences, mais elles peuvent tout de même causer des dégâts matériels, des interférences et/ou des pertes de données, ce qui s’avère très gênant. Ainsi, pour ne pas prendre de risque, les opérateurs de satellites se voient obligés de stopper les composants non essentiels de leurs engins spatiaux avant qu’ils n’entrent dans la zone critique. Les experts de la NASA sont aujourd’hui bien décidés à dénouer les mystères qui entourent ce phénomène pour mieux y faire face.
Un phénomène qui n’est pas nouveau
Les scientifiques n’ont pas encore bien compris cette anomalie magnétique ni toutes les conséquences qu’elle peut avoir à l’avenir. Certains craignent le pire : une inversion complète des deux pôles magnétiques, dont l’anomalie pourrait être un précurseur. Ainsi, depuis quelques années, les experts se penchent sur la question. Une étude menée en novembre 2016 rapportait ainsi que l’anomalie dérivait lentement dans la direction nord-ouest.
Plus récemment, des chercheurs ont découvert que l’étendue de l’anomalie semblait se diviser en deux zones distinctes, chacune dotée d’un centre d’intensité magnétique minimale, comme illustré sur l’image suivante. Or, la création de deux zones séparées à faible magnétisme n’arrangerait pas la situation. Au contraire, cela ne ferait que complexifier davantage les missions satellitaires !
Une autre étude, publiée le mois dernier, se veut rassurante : elle suggère en effet que le phénomène n’est pas inhabituel. Il pourrait affecter notre planète de façon récurrente, depuis 8 à 11 millions d’années déjà. L’hypothèse d’une inversion magnétique totale devient donc peu probable. Selon cette étude, la source du problème pourrait venir de « conditions inhabituelles » au niveau de la frontière noyau-manteau. À mesure que les mouvements du noyau changent avec le temps, en raison de conditions géodynamiques complexes — au sein du noyau et à la frontière avec le manteau solide — le champ magnétique fluctue dans l’espace et dans le temps.
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Présence de roches denses, effets inhabituels dans le noyau externe, … Ces hypothèses pouvant expliquer l’apparition de la SAA restent à confirmer. En attendant, les spécialistes de la NASA continuent de surveiller de près cette anomalie en constante évolution. « Même si la SAA évolue lentement, elle subit un changement de morphologie, il est donc également important que nous continuions à l’observer », souligne Sabaka. Plusieurs groupes de recherche travaillent ainsi à modéliser la SAA pour prédire les changements futurs et surtout, mieux anticiper les nouveaux défis technologiques qui seront à relever pour la conception de satellites.