Cela fait quatre ans qu’aucun cas de poliomyélite dû au poliovirus sauvage n’a été rapporté sur le continent africain. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a donc officiellement déclaré que l’Afrique avait bel et bien franchi le seuil d’éradication de la maladie. Plusieurs décennies auront été nécessaires pour effacer complètement le virus de la polio de la carte, mais le combat semble désormais gagné.
« Le plus grand triomphe de santé publique dans les annales du Nigeria et même de l’Afrique » a déclaré le Dr Walter Kazadi Mulumbo, représentant de l’OMS au Nigeria. Le poliovirus a ainsi rejoint le virus de la variole sur la liste des virus qui ont été éradiqués en Afrique. Selon l’Organisation des Nations unies, les efforts visant à l’éliminer définitivement ont évité à près de 1,8 million d’enfants d’être paralysés à vie et sauvé environ 180’000 vies.
Des campagnes de vaccination parfois entravées
La poliomyélite (ou paralysie spinale infantile), communément appelée polio, est une maladie infectieuse très contagieuse, causée par le poliovirus sauvage. Transmis par voie digestive (par l’ingestion d’aliments ou d’eau contaminés par des matières fécales infectées), le virus s’attaque à la moelle épinière et provoque une paralysie irréversible chez les enfants, notamment au niveau des membres inférieurs. Dans les cas les plus graves, l’infection touche le système respiratoire et peut entraîner la mort.
Des années 1880 jusqu’à 1950, la maladie sévit dans le monde entier ; elle handicape ou provoque la mort de plusieurs millions de personnes. Les progrès en matière d’hygiène, mais surtout la vaccination (deux vaccins efficaces furent mis au point en 1950) ont permis de faire nettement reculer la maladie.
Depuis 1988, l’éradication de la poliomyélite est l’une des priorités de santé publique mondiale, et fait l’objet d’une grande campagne de vaccination, la Polio Global Eradication Initiative, soutenue par l’OMS, l’UNICEF et le Rotary International. Et l’initiative paie : de 350’000 cas annuels en 1988, on tombe à 37 nouveaux cas en 2016 ! À noter qu’en 1996, on dénombrait encore plus de 70’000 cas rien qu’en Afrique. L’initiative a nécessité 17 milliards de dollars d’investissement ; à ce jour, plus de 2,5 milliards d’enfants ont été vaccinés.
Le dernier cas de polio détecté en Afrique remonte à 2016 et était localisé au Nigeria. En 2003 et 2004, la campagne de vaccination a malheureusement été perturbée par un boycott à grande échelle dans le nord du pays, à majorité musulmane. Des dirigeants politiques et extrémistes religieux ont mis un terme à la campagne de vaccination en appelant les parents à ne pas faire vacciner leurs enfants. Ils affirmaient alors que le vaccin pouvait être contaminé par des agents antifertilité, le VIH et des agents cancéreux ! Or, comme le rappelle Ayodele Samuel Jegede, anthropologiste social nigérian, « La confiance du public est essentielle pour promouvoir la santé publique ». Au début des années 2000, le Nigeria figurait toujours parmi les foyers d’infection. De nombreux efforts ont été nécessaires pour convaincre les dirigeants et la population.
Puis, en 2009, le programme a subi une nouvelle rupture, suite à l’insurrection du groupe djihadiste Boko Haram. Les équipes de vaccination devaient travailler sous protection miliaire et de nombreux enfants localisés dans les zones contrôlées par les djihadistes étaient malheureusement inaccessibles. « À l’époque, nous ne pouvions pas atteindre les deux tiers des enfants de l’État de Borno [ndlr : dans le nord-est du pays, au cœur du conflit] – 400’000 enfants n’avaient pas accès au vaccin », souligne le Dr Tunji Funsho, médecin nigérian et coordinateur local de la lutte contre la polio pour le Rotary International.
L’OMS et l’UNICEF ont donc félicité tout particulièrement le Nigeria pour avoir éradiqué le poliovirus sauvage de son territoire. Et c’est une joie immense pour tout le personnel de santé du pays : « Le bonheur est un euphémisme. Nous participons à ce marathon depuis plus de 30 ans ! », a déclaré Funsho.
Un poliovirus d’origine vaccinale ?
Bien entendu, il n’est pas question de relâcher les efforts pour autant ! Tous les enfants de moins de cinq ans doivent continuer à être vaccinés. D’autant plus que la maladie est toujours présente en Afghanistan et au Pakistan, qui selon les données de l’OMS comptent respectivement 49 et 150 cas actuellement. En outre, la vaccination doit perdurer pour minimiser les risques de réintroduction du poliovirus et l’émergence d’un poliovirus dérivé du vaccin.
Car si le continent africain s’est débarrassé du poliovirus sauvage, certains pays sont actuellement confrontés à des flambées de poliovirus d’origine vaccinale de type 1 et 2. De quoi s’agit-il ? Lorsque les enfants sont immunisés avec le vaccin antipoliomyélitique oral, la forme atténuée du virus qu’il contient se réplique dans leurs intestins pendant une courte période, ce qui leur permet de développer l’immunité nécessaire ; ce virus est ensuite excrété dans l’environnement via les selles. C’est à ce moment-là qu’il peut muter et se propager dans la communauté locale ; plus il survit longtemps, plus il est susceptible de muter.
Les poliovirus dérivés de vaccins sont rares, mais ils affectent les populations non vaccinées et sous-vaccinées, dans des zones où l’assainissement est insuffisant. En revanche, lorsque la couverture vaccinale est totale, les individus sont protégés contre les deux types de virus (sauvage et dérivé d’une souche vaccinale).
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Depuis 2000, 24 flambées épidémiques dues à des poliovirus circulants dérivés d’une souche vaccinale (PVDVc) se sont produites dans 21 pays. Le vaccin utilisé depuis 2016 — un antipoliomyélitique oral bivalent — permet de limiter les risques. Dans tous les cas, le risque représenté par les PVDVc est vraiment minime en comparaison des énormes avantages associés à la vaccination orale systématique : chaque année, ce sont des centaines de milliers de cas qui sont évités.
Cette victoire africaine face au poliovirus sauvage coïncide avec d’autres annonces réjouissantes : la République démocratique du Congo, qui fait face à une épidémie de rougeole depuis 25 mois — qui a causé la mort de plus de 7000 enfants — a désormais enrayé la propagation de la maladie grâce à un effort de vaccination massive. Le Togo, quant à lui, a déclaré qu’il était devenu le premier pays africain à endiguer la transmission de la trypanosomiase humaine africaine, communément appelée maladie du sommeil, transmise par les insectes.