Jim Woodward, professeur émérite de physique à l’Université d’État de Californie, affirme que son invention pourrait permettre aux vaisseaux spatiaux de voyager vers les systèmes stellaires voisins. Baptisée MEGA (pour Mach Effect Gravity Assist), sa technologie repose sur un système de propulsion qui ne nécessite aucun combustible, uniquement une source d’électricité.
Le principe du dispositif est d’accélérer lentement, mais sur une très longue période. Woodward estime qu’un appareil spatial doté d’un système MEGA pourrait même atteindre des vitesses proches de la vitesse de la lumière. L’exploration spatiale serait alors d’une tout autre envergure…
Un système de poussée… sans propulseur
De nos jours, les vaisseaux spatiaux sont tous équipés d’un propulseur, qu’il s’agisse d’un moteur à réaction classique, basé sur la combustion de carburant, ou d’un moteur ionique. Le principe de base repose sur la projection d’un flux (de gaz ou d’ions) dans une certaine direction, qui par réaction génère une poussée dans la direction opposée. Dans tous les cas, l’accélération de l’appareil nécessite une certaine quantité de carburant ou de gaz.
Ainsi, les voyages spatiaux sont aujourd’hui très limités. Du moins, certaines destinations ne peuvent pas être envisagées dans un laps de temps « raisonnable ». Impossible par exemple de rejoindre le système Alpha Centauri (Alpha du Centaure), notre plus proche voisin, situé à 4,3 années-lumière. Le vaisseau spatial le plus rapide jamais construit, la sonde solaire Parker — qui en 2025 passera près du Soleil à une vitesse exceptionnelle de 692’000 km/h — mettrait des milliers d’années pour y arriver !
La technologie MEGA repose quant à elle sur le principe de Mach — du nom du physicien Ernst Mach —, selon lequel l’inertie des objets serait induite par des effets gravitationnels lointains, dus aux autres masses présentes dans l’univers. Un principe largement étudié par Albert Einstein pour sa théorie de la relativité générale. Si une partie d’un objet devait changer simultanément sa masse et son état d’énergie, il pourrait théoriquement commencer à accélérer.
Dans le cas de MEGA, les objets en question sont de minuscules cristaux piézoélectriques, qui vibrent des dizaines de milliers de fois par seconde lorsqu’un courant électrique est appliqué. Certaines des fréquences vibratoires s’harmonisent au fur et à mesure, et dès lors que les oscillations se synchronisent de la bonne manière, elles génèrent une petite pulsion. Si cette poussée est maintenue (aussi longtemps que le système est alimenté en électricité), le vaisseau peut en théorie accélérer doucement mais progressivement, au fur et à mesure de son voyage à travers la galaxie. Des panneaux solaires, ou un réacteur nucléaire embarqué, alimenteraient l’engin en énergie électrique pendant des dizaines d’années. Soit assez longtemps pour que la vitesse de l’engin approche celle de la lumière !
Cela fait plus de trente ans que Woodward travaille sur cette technologie innovante de production de poussée. Il a d’ailleurs reçu un financement pour ses recherches, dans le cadre du programme Innovative Advanced Concepts de la NASA en 2017. Avec cette subvention, Woodward et ses collaborateurs ont même élaboré un concept de vaisseau spatial, sans équipage, le SSI Lambda, doté d’environ 1500 disques MEGA à plus grande échelle.
Le projet a cependant été compromis par la pandémie. Il se trouve que Woodward va bientôt fêter ses 80 ans. Il a déjà survécu à un cancer du poumon de stade IV, mais il souffre aujourd’hui de la maladie pulmonaire obstructive chronique et suit un traitement pour un lymphome de Hodgkin récidivant. Autrement dit, le physicien fait partie des personnes à haut risque face à la COVID-19 ; d’autant plus que la Californie est l’un des États qui comptent le plus de cas de contamination… Contraint de quitter son laboratoire à l’université, il s’est constitué une véritable « usine à propulseurs » à son domicile.
Une invention qui fait rêver
Le physicien a ainsi construit une douzaine d’appareils ces derniers mois, qu’il transmettait à Hal Fearn, son proche collaborateur à la California State University. L’un des derniers disques conçus par le physicien a produit beaucoup plus de poussée que tous ses prototypes précédents. « J’ai été choqué par l’énorme augmentation de la force mesurée », a déclaré Fearn. Certes, la poussée obtenue reste bien en deçà de ce que l’on obtient aujourd’hui avec des propulseurs standards, mais cette invention reste le meilleur espoir d’une mission humaine interstellaire, selon lui.
Les deux collègues prévoient d’envoyer prochainement un exemplaire de l’appareil à un chercheur indépendant de Toronto, George Hathaway, un expérimentateur lié à la NASA que Woodward décrit comme « probablement le meilleur expérimentateur au monde pour ce type de travail ». Un autre propulseur devrait être soumis à l’US Naval Research Laboratory, qui tentera également de reproduire les résultats du duo. Si cette technologie fonctionne réellement, elle serait la première à ouvrir les portes d’un autre système stellaire !
Certains scientifiques, notamment parmi les physiciens théoriciens, demeurent toutefois sceptiques face au nouveau dispositif de leur confrère. La question étant, est-il vraiment envisageable de concrétiser ce projet ? « Je dirais qu’il y a entre 1 chance sur 10 et 1 sur 10’000’000 que ce soit réel », a déclaré Mike McDonald, ingénieur aérospatial au Naval Research Laboratory du Maryland, ajoutant qu’il est plus probable que la réponse se trouve dans la partie haute de cette fourchette. Le scientifique reconnaît cependant que si cette technologie faisait réellement ses preuves, ce serait extraordinaire.
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Cela fait des années que la NASA envisage une mission interstellaire sans équipage. Mais le seul projet actif sur le sujet est issu d’une initiative indépendante — financée par Iouri Milner, Mark Zuckerberg et anciennement soutenue par Stephen Hawking — nommée Breakthrough Starshot. Le projet prévoit d’utiliser de puissants lasers pour propulser des milliers de minuscules sondes spatiales, d’environ 1 gramme, équipées de voiles solaires, vers Alpha du Centaure. Ces sondes pourraient atteindre 20% de la vitesse de la lumière.
Pour que les humains puissent faire un tel voyage, ils auraient évidemment besoin d’un engin beaucoup plus grand et d’un système de propulsion qui, idéalement, pourrait les amener à destination en une seule génération. C’est le défi que pourrait relever l’invention de Woodward.