Généralement amateur de théories du complot en tout genre, le président Donald Trump n’a pas hésité à soutenir, au début de la pandémie, que le virus SARS-CoV-2 avait été génétiquement fabriqué et libéré par accident d’un laboratoire chinois de Wuhan. Si de nombreuses analyses scientifiques ayant étudié le virus en détail ont depuis montré que cette hypothèse était fausse, le génie génétique constitue tout de même bien une préoccupation aujourd’hui. En moins de dix ans, le génie génétique s’est démocratisé au point d’offrir de nos jours des outils d’édition comme CRISPR disponibles au grand public pour de modiques sommes. Du chercheur universitaire à l’adolescent dans son garage, n’importe qui peut commander cette boite à outils génétique pour quelques centaines de dollars et expérimenter sur des bactéries et virus. Tant et si bien que de nombreux scientifiques demandent aujourd’hui une réglementation plus prononcée sur l’usage du génie génétique.
Si le génie génétique n’était pas à l’origine de cette pandémie, il pourrait très bien déclencher la suivante. Avec la COVID-19 qui met les économies occidentales à genoux, tous les dirigeants du monde savent maintenant que les agents pathogènes peuvent être aussi destructeurs que les missiles nucléaires. Ce qui est encore plus inquiétant, c’est qu’il ne faut plus un laboratoire gouvernemental pour concevoir un virus.
Grâce à une révolution technologique dans le génie génétique, tous les outils nécessaires pour créer un virus sont devenus si bon marché, simples et facilement disponibles que tout scientifique dissident ou biohacker peut les utiliser, créant une menace encore plus grande. Des expériences qui n’auraient pu être menées qu’une fois derrière les murs protégés des laboratoires gouvernementaux et des entreprises, peuvent désormais pratiquement être effectuées sur la table de la cuisine avec des équipements trouvés sur Amazon. Le génie génétique — avec tout son potentiel pour le bien et le mal — s’est démocratisé.
La conception d’un virus : une démarche rendue simple par l’édition génétique
Pour concevoir un virus, la première étape d’un chercheur en biologie consiste à obtenir les informations génétiques d’un pathogène existant — comme l’un des coronavirus responsables du rhume — qui pourrait ensuite être modifié pour créer quelque chose de plus dangereux. Dans les années 1970, le premier séquençage génétique d’une bactérie, Escherichia coli, a nécessité des semaines d’efforts et coûté des millions de dollars rien que pour déterminer ses 5836 paires de bases, les éléments constitutifs de l’information génétique.
Aujourd’hui, le séquençage des 3’000’000’000 de paires de bases qui composent le génome humain, peut se faire en quelques heures pour environ 1000 $ aux États-Unis. Xun Xu, PDG de la société chinoise de recherche en génomique BGI Group, a affirmé qu’il comptait proposer un séquençage complet du génome humain dans les supermarchés et en ligne pour environ 290 dollars d’ici la fin de cette année.
L’étape suivante de l’ingénierie d’un virus consiste à modifier le génome de l’agent pathogène existant pour changer ses effets. Une technologie en particulier rend presque aussi facile la conception de formes de vie que la modification de documents Microsoft Word. L’édition génétique CRISPR, développée il y a seulement quelques années, déploie le même mécanisme naturel que les bactéries utilisent pour découper des informations génétiques d’un génome et les insérer dans un autre. Ce mécanisme, que les bactéries ont développé au cours des millénaires pour se défendre contre les virus, a été transformé en un moyen bon marché, simple et rapide de modifier l’ADN de tout organisme en laboratoire.
La démocratisation de l’édition génétique grâce à CRISPR
Si l’expérimentation de l’ADN exigeait autrefois des années d’expérience, des laboratoires sophistiqués et des millions de dollars, CRISPR a changé tout cela. Pour mettre en place une capacité d’édition CRISPR, l’expérimentateur n’a besoin que de commander un fragment d’ARN et d’acheter des produits chimiques et des enzymes du commerce, ne coûtant que quelques dollars, sur Internet. Parce qu’il est si bon marché et facile à utiliser, des milliers de scientifiques du monde entier expérimentent des projets d’édition de gènes basés sur CRISPR. Très peu de ces recherches sont limitées par les réglementations, en grande partie parce que les régulateurs ne comprennent pas encore ce qui est soudainement devenu possible.
La Chine, qui met l’accent sur le progrès technologique avant la sécurité et l’éthique, a réalisé les percées les plus étonnantes. En 2014, des scientifiques chinois ont annoncé qu’ils avaient réussi à produire des singes qui avaient été génétiquement modifiés au stade embryonnaire. En avril 2015, un autre groupe de chercheurs en Chine a détaillé le premier travail jamais réalisé pour modifier les gènes d’un embryon humain.
En avril 2016, un autre groupe de chercheurs chinois a déclaré avoir réussi à modifier le génome d’un embryon humain dans le but de le rendre résistant à l’infection par le VIH, bien que l’embryon n’ait pas été mené à terme. Mais ensuite, en novembre 2018, le chercheur chinois He Jiankui a annoncé qu’il avait créé les premiers « bébés CRISPR » — des nourrissons en bonne santé dont les génomes ont été modifiés avant leur naissance.
Des kits de génie génétique envoyés par courrier
La technologie d’édition de gènes est devenue si accessible que nous pourrions imaginer que des adolescents expérimentent sur des virus. Aux États-Unis, toute personne souhaitant commencer à modifier le génome dans son garage peut commander un kit CRISPR à faire soi-même en ligne pour 169 $, par exemple. Cela comprend « tout ce dont vous avez besoin pour effectuer des modifications précises du génome chez les bactéries à la maison ». Pour 349 $, la même société propose également un kit d’ingénierie humaine, qui comprend des cellules rénales embryonnaires issues d’une culture tissulaire prélevée à l’origine sur un fœtus humain féminin avorté.
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Des fragments d’ADN envoyés par correspondance ont permis à une équipe de l’Université de l’Alberta, en 2017, de ressusciter un parent disparu du virus de la variole, à partir de zéro en assemblant les fragments. Ce virus n’est pas connu pour nuire aux humains, mais les experts ont averti que la même méthode pourrait être utilisée par des scientifiques sans beaucoup de connaissances spécialisées pour recréer la variole — un virus mortel finalement éradiqué en 1980 — dans un délai de six mois pour un coût d’environ 100’000 dollars.
Outre un moratoire, il aurait dû y avoir des traités internationaux pour empêcher l’utilisation de CRISPR pour l’édition de gènes sur des humains ou des animaux. La Food and Drug Administration des États-Unis aurait dû empêcher les entreprises de vendre des kits d’édition de gènes. Les gouvernements auraient dû imposer des restrictions aux laboratoires comme celui de l’Université de l’Alberta. Mais rien de tout cela ne s’est produit, et il n’y a pas eu d’autres freins et contrepoids. Il est maintenant trop tard pour arrêter la diffusion mondiale de ces technologies — le génie génétique est bien hors de la bouteille.
Perfectionner le génie génétique à des fins thérapeutiques tout en restant vigilant
Désormais, la seule solution est d’accélérer le bon côté de ces technologies tout en élevant des défenses. Comme nous le voyons avec le développement de vaccins contre la COVID-19, cela est possible. Dans le passé, il fallait des décennies pour créer des vaccins. Maintenant, nous sommes sur la bonne voie pour les obtenir en quelques mois, grâce aux progrès du génie génétique. Les vaccins Moderna Therapeutics et Pfizer/BioNTech, qui sont actuellement en troisième phase d’essais cliniques, n’ont pris que quelques semaines à être développés. Il est concevable que cela puisse être réduit à quelques heures une fois les technologies perfectionnées.
Nous pouvons également accélérer le processus de test des vaccins et des traitements, qui est devenu la partie la plus lente du cycle de développement. Pour tester plus rapidement un plus grand nombre de médicaments anticancéreux potentiels, par exemple, des laboratoires du monde entier créent des cultures de cellules tridimensionnelles appelées « organoïdes dérivés de patients », à partir de biopsies de tumeurs. La société leader dans ce domaine, SEngine Precision Medicine, est en mesure de tester plus de 100 médicaments sur ces organoïdes, éliminant ainsi le besoin d’utiliser des sujets humains comme cobayes.
Des chercheurs de l’Institut Wyss de l’Université Harvard ont annoncé en janvier 2020 qu’ils avaient développé le premier modèle humain « d’organe sur puce » du poumon, qui reproduit fidèlement la physiologie et la physiopathologie d’un organe humain. Les ingénieurs du MIT ont développé une plate-forme microfluidique qui relie les tissus modifiés de jusqu’à 10 organes, permettant la réplication des interactions homme-organe pendant des semaines afin de mesurer les effets des médicaments sur différentes parties du corps. De nombreux autres systèmes de ce type sont en cours de développement et pourraient accélérer les tests et les traitements.