Avec le principe de superposition, l’intrication est certainement l’un des phénomènes les plus étonnants de la mécanique quantique. Elle consiste à lier deux systèmes quantiques (deux particules par exemple) de manière à ce que l’ensemble se comporte comme un seul et unique système à travers l’espace-temps. Récemment, une équipe de physiciens danois est parvenue à intriquer deux objets macroscopiques différents. Une prouesse qui ouvrira la voie à la conception de nouveaux systèmes quantiques de détection ultra-précise et de communication.
Les chercheurs ont réussi à créer une intrication entre un oscillateur mécanique — une membrane diélectrique vibrante — et un nuage d’atomes, chacun agissant comme un minuscule aimant. Ils ont intriqué ces deux objets très différents en les reliant avec des photons. Les atomes peuvent être utiles dans le traitement des informations quantiques et la membrane — ou les systèmes quantiques mécaniques en général — peut être utile pour le stockage d’informations quantiques.
Eugene Polzik, de l’Institut Niels Bohr de l’Université de Copenhague, qui a dirigé la recherche, déclare : « Avec cette nouvelle technique, nous sommes en passe de repousser les limites des possibilités de l’intrication. Plus les objets sont grands, plus ils sont éloignés. Plus ils sont disparates, plus l’intrication devient intéressante d’un point de vue fondamental et appliqué. Et le résultat montre qu’une intrication entre deux objets différents est possible ».
Une intrication permettant de neutraliser les perturbations
Pour comprendre l’intrication, en prenant l’exemple des spins — le spin est une caractéristique quantique des particules, liée à leurs propriétés de rotation — d’atomes intriqués avec une membrane mécanique, imaginez la position de la membrane vibrante et l’inclinaison du spin total de tous les atomes, à la manière d’une toupie. Si les deux objets se déplacent au hasard, mais qu’ils sont observés se déplaçant vers la droite ou vers la gauche en même temps, cela s’appelle une corrélation. Un tel mouvement corrélé est normalement limité au mouvement dit du point zéro — le mouvement résiduel et non corrélé de toute matière, qui se produit même à une température nulle absolue.
Dans leur expérience, l’équipe d’Eugene Polzik a intriqué les systèmes, ce qui signifie qu’ils se déplacent de manière corrélée avec une précision meilleure que le mouvement du point zéro. Les systèmes intriqués peuvent rester parfaitement corrélés même s’ils sont éloignés les uns des autres — une caractéristique qui a intrigué les chercheurs depuis la naissance même de la mécanique quantique, il y a plus de 100 ans.
La détection quantique est un exemple spécifique de perspectives d’intrication de différents objets quantiques. Différents objets possèdent une sensibilité à différentes forces externes. Par exemple, les oscillateurs mécaniques sont utilisés comme accéléromètres et capteurs de force, tandis que les spins atomiques sont utilisés dans les magnétomètres. Lorsqu’un seul des deux objets intriqués différents est soumis à des perturbations externes, l’intrication permet de le mesurer avec une sensibilité non limitée par les fluctuations quantiques de l’objet.
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Améliorer la détection des ondes gravitationnelles
Il existe une possibilité assez immédiate pour l’application de la technique à la détection, à la fois pour les petits oscillateurs et les grands. L’une des plus grandes avancées scientifiques de ces dernières années a été la première détection d’ondes gravitationnelles, réalisée par le Laser Interferometer Gravitational-wave Observatory (LIGO). LIGO détecte et mesure les ondes extrêmement faibles causées par des événements astronomiques dans l’espace lointain, comme les fusions de trous noirs ou les fusions d’étoiles à neutrons.
Les ondes peuvent être observées car elles agitent les miroirs de l’interféromètre. Mais même la sensibilité de LIGO est limitée par la mécanique quantique, car les miroirs de l’interféromètre laser sont également secoués par les fluctuations quantiques du vide. Ces fluctuations entraînent un bruit empêchant l’observation du minuscule mouvement des miroirs causé par les ondes gravitationnelles.
Il est, en principe, possible de générer une intrication des miroirs de LIGO avec un nuage atomique et d’annuler ainsi le bruit du vide quantique des miroirs de la même manière que pour le bruit de la membrane dans la présente expérience. La corrélation parfaite entre les miroirs et les spins atomiques en raison de leur intrication peut être utilisée dans de tels capteurs pour pratiquement effacer l’incertitude. Une expérimentation modèle démontrant ce principe est en cours au laboratoire d’Eugene Polzik.