Au début de la pandémie, il est très vite apparu que les personnes de sexe masculin, âgées et/ou présentant des facteurs de comorbidité, avaient davantage tendance à développer des formes sévères de COVID-19. Ces facteurs de risque n’étaient toutefois pas suffisants pour expliquer pourquoi certains individus sont peu voire pas malades une fois infectés, tandis que d’autres nécessitent des soins intensifs. Une étude récente a permis d’identifier un groupe de gènes, sur le chromosome 3, responsable du risque d’insuffisance respiratoire lors d’une infection par le SARS-CoV-2. Aujourd’hui, des chercheurs affirment que ce risque génétique est hérité de nos ancêtres néandertaliens.
Ce segment critique d’ADN nous aurait donc été transmis par l’homme de Néandertal, une espèce qui a vécu en Europe, au Moyen-Orient et en Asie centrale, de -250’000 à -24’000 ans environ. Dans le cadre de leur étude, deux chercheurs de l’Institut Max Planck d’anthropologie évolutionniste (Leipzig) ont cherché à déterminer à quel moment cet ensemble de gènes (ou haplotype) est entré dans le patrimoine génétique de l’Homme. Leurs recherches se sont notamment focalisées sur l’homme de Néandertal et l’homme de Denisova.
Un héritage qui pèse sur certaines populations
Les chercheurs ont ainsi découvert que la version du chromosome 3 qui semble favoriser le développement d’une forme grave de COVID-19 est très similaire à celle observée dans le génome d’un homme de Néandertal vivant en Croatie il y a 50’000 ans, découvert dans la grotte de Vindija. Une autre similitude, moins flagrante, a également été observée par comparaison du génome de néandertaliens du sud de la Sibérie. Par conséquent, il est possible qu’une réponse immunitaire à un très ancien virus entraîne aujourd’hui une réaction excessive contre le SARS-CoV-2 chez les porteurs de ce fragment chromosomique particulier.
Il apparaissait ainsi fondamental de déterminer qui, parmi la population mondiale, avait hérité de ces gènes. Pour répondre à cette question, les auteurs de l’étude se sont appuyés sur le projet 1000 Genomes, une recherche internationale initiée en 2008, qui vise à établir un catalogue détaillé des variations génétiques humaines. Il apparaît que les haplotypes dérivés de l’homme de Néandertal sont évidemment présents dans plusieurs régions du monde, mais pas toujours à la même fréquence.
Ils ont par exemple remarqué qu’ils étaient presque totalement absents du continent africain, un constat qui corrobore le fait que le brassage de gènes des néandertaliens au sein des populations africaines était limité et probablement indirect. Parallèlement, le cœur de l’haplotype néandertalien est relativement fréquent au sud de l’Asie (il apparaît dans 30% des variantes génétiques étudiées), mais beaucoup moins en Europe (8%) et sur le continent américain (4%) ; sa fréquence est encore plus faible en Asie de l’Est.
Les experts ont souligné que cette caractéristique génétique était majoritairement présente au Bangladesh, où plus de la moitié de la population (63%) est porteuse d’au moins une variante de l’haplotype néandertalien ; en outre, 13% de la population est homozygote pour l’haplotype (autrement dit, ces gènes sont représentés par des allèles identiques).
De plus, selon les chiffres du ministère de la santé britannique, il se trouve que les individus d’origine bangladaise vivant au Royaume-Uni présentent deux fois plus de risques de décéder de la COVID-19 que le reste de la population. Ce qui vient confirmer l’origine génétique des cas graves, et les auteurs de l’étude affirment que « l’haplotype néandertalien peut donc être un contributeur majeur au risque de développer une forme grave de COVID-19 dans certaines populations, en plus des autres facteurs de risque, tels que l’âge ».
Une caractéristique génétique qui reste à élucider
Les chercheurs soulignent par ailleurs qu’il est frappant de constater à quel point l’haplotype est fréquent en Asie du Sud, tandis qu’il est quasiment absent de l’Asie de l’Est. L’ampleur de la différence de fréquence allélique entre ces deux régions géographiques est inhabituelle et suggère qu’elle est nécessairement le résultat d’une sélection naturelle passée. En effet, des travaux antérieurs ont montré que l’haplotype néandertalien a fait l’objet d’une sélection positive au Bangladesh.
À ce stade de leurs recherches, les auteurs de l’étude ne peuvent que spéculer sur les raisons de cette sélection. Ils pensent notamment à une forme de protection contre certains agents pathogènes. Il est également possible que la fréquence de l’haplotype ait diminué dans les pays de l’est de l’Asie via une sélection négative, peut-être due, là encore, à des coronavirus ou autres pathogènes. En tout état de cause, l’haplotype lié au risque de COVID-19 sévère est similaire à certaines variantes génétiques de néandertaliens et dénisoviens, qui ont atteint des fréquences élevées dans certaines populations, mais qui subissent aujourd’hui une sélection négative en raison de la pandémie de SARS-CoV-2.
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Les chercheurs précisent qu’ils n’ont pas encore identifié la caractéristique précise du système dérivé de Néandertal qui confère un risque de COVID-19 grave. Ils doivent également déterminer si les effets d’une telle caractéristique sont spécifiques au SARS-CoV-2, ou s’ils sont potentiellement liés à d’autres coronavirus ou agents pathogènes.
Une fois cette caractéristique fonctionnelle élucidée, il sera possible de spéculer sur la sensibilité des néandertaliens aux agents pathogènes concernés. Toutefois, en ce qui concerne la pandémie actuelle, les scientifiques déclarent qu’« il est clair que le flux de gènes hérités de l’homme de Néandertal a des conséquences tragiques ».