Des chercheurs de la Stanford University School of Medicine ont découvert que le blocage d’une seule protéine, appelée 15-PGDH, permet de restaurer la masse et la force des muscles chez la souris âgée. À contrario, la surexpression de cette protéine appliquée à de jeunes souris provoquait l’atrophie et l’affaiblissement de leurs muscles. Ces chercheurs ont peut-être mis le doigt sur un traitement potentiel de la sarcopénie.
La sarcopénie désigne la perte musculaire progressive observée chez les individus à partir de 50 ans ; elle se solde par une perte fonctionnelle et une altération de la qualité de vie. À terme, elle peut conduire à une diminution supérieure à 30% de la masse musculaire initiale. Cette maladie — ainsi qualifiée par l’Organisation mondiale de la santé en 2016 — affecte toutes les personnes âgées, y compris celles considérées en bonne santé et pratiquant une activité sportive. Elle touche actuellement environ un Européen sur cinq de plus de 55 ans (et pourrait concerner 30 millions de personnes d’ici 2045).
Cette pathologie a de lourdes conséquences socio-économiques, car les personnes qui en souffrent sont exposées à un risque plus élevé de chutes et de perte d’autonomie. Un mode de vie sédentaire et une mauvaise alimentation constituent des facteurs de risque majeurs. À ce jour, il n’existe aucun traitement pharmacologique pour éviter ou limiter le phénomène. Seuls des exercices réguliers de musculation et d’endurance permettent de contrer ces effets du vieillissement.
Une protéine caractéristique des tissus musculaires âgés
La sarcopénie (ou dystrophie musculaire liée à l’âge) est due à des changements au niveau de la structure et de la fonction musculaires : les fibres musculaires rétrécissent et le nombre de mitochondries (les micro-usines énergétiques des cellules musculaires) diminue.
Il se trouve que la protéine 15-PGDH, une enzyme de dégradation de la prostaglandine E2 (PGE2), n’avait jamais été impliquée dans le vieillissement auparavant. Mais les chercheurs ont constaté qu’elle se trouvait à un niveau particulièrement élevé dans les muscles squelettiques des individus âgés. Leurs expériences menées sur les souris ont mis en évidence le rôle spécifique de cette protéine dans le processus de vieillissement musculaire, ce qui ouvre la voie à un traitement médicamenteux potentiel.
Helen Blau, professeure de microbiologie et d’immunologie et auteure principale de l’étude, qualifie les résultats de « spectaculaires ». En effet, après seulement un mois de traitement, les souris âgées apparaissaient environ 15% à 20% plus fortes et leurs fibres musculaires étaient similaires à celles observées habituellement dans les jeunes muscles. « Considérant que les humains perdent environ 10% de leur force musculaire par décennie après environ 50 ans, c’est assez remarquable », souligne la spécialiste.
Blau et ses collègues s’intéressent depuis longtemps à la compréhension de la fonction musculaire après une blessure musculaire et à des maladies comme la dystrophie musculaire de Duchenne. Lors d’études antérieures, ils avaient d’ores et déjà découvert que la PGE2 — un acide gras qui intervient notamment dans les phénomènes immunitaires et inflammatoires — peut activer les cellules souches musculaires qui interviennent pour réparer les fibres musculaires endommagées. Ainsi, ils se sont intéressés à son mode d’action au cours du processus de vieillissement : il s’avère que la PGE2 agit également sur les fibres musculaires matures.
Or, les niveaux de PGE2 sont régulés par la protéine 15-PGDH, qui la décompose. Une analyse par spectrométrie de masse a révélé que les niveaux de 15-PGDH étaient élevés dans les muscles des souris âgées et que les niveaux de PGE2 étaient plutôt faibles, comparativement aux jeunes souris. Même constat en examinant des tissus musculaires humains : les personnes âgées de 70 à 80 ans exprimaient des niveaux de 15-PGDH plus élevés que ceux des personnes dans la vingtaine.
Des fibres musculaires rajeunies
Bien que le rôle bénéfique de la PGE2 dans la régénération des muscles ait été identifié, sa courte demi-vie (soit le temps mis par la PGE2 pour perdre la moitié de son efficacité physiologique) rendait difficile l’élaboration d’un traitement. C’est pourquoi les chercheurs ont décidé d’agir directement sur la protéine responsable de sa régulation : lorsqu’ils ont inhibé la 15-PGDH, ils ont ainsi observé une élévation systémique des taux de PGE2, conduisant à une amélioration musculaire de tout l’organisme chez les souris âgées.
La molécule capable de bloquer la 15-PGDH a été administrée à des souris jeunes et âgées, chaque jour, pendant un mois. Les niveaux de PGE2 chez les souris âgées ont retrouvé des valeurs similaires aux niveaux physiologiques observés chez les jeunes souris. « Les fibres musculaires de ces souris sont devenues plus grosses et plus fortes qu’avant le traitement. Les mitochondries étaient plus nombreuses et fonctionnaient comme les mitochondries des jeunes muscles », précise Blau. Les animaux qui ont bénéficié du traitement ont également pu courir plus longtemps sur un tapis roulant que leurs congénères non traités.
L’expérience inverse a permis de confirmer le phénomène : en surexprimant la protéine 15-PGDH chez les jeunes souris, celles-ci ont perdu force et tonus musculaire, et leurs fibres musculaires ont rétréci ! Mais pour la chercheuse, les effets du traitement vont bien au-delà qu’une simple augmentation de la force musculaire : « D’autres systèmes d’organes sont impliqués, le cœur et les poumons, par exemple. Cela suggère une amélioration globale de la fonction de tout l’animal », souligne-t-elle.
Les chercheurs ont ensuite observé l’effet de la PGE2 sur des myotubes humains (des fibres musculaires immatures), cultivés en laboratoire. Ils ont constaté que la PGE2 entraînait une augmentation du diamètre de ces myotubes et que ces derniers synthétisaient davantage de protéines. Ceci constituait une preuve que la PGE2 agissait directement sur les cellules musculaires, et non sur d’autres cellules du micro-environnement tissulaire.
Il est désormais certain que la 15-PGDH joue un rôle majeur dans la fonction musculaire. Blau et ses collègues vont donc étudier plus avant ce qui contrôle les niveaux et l’activité de cette protéine pendant le vieillissement, ainsi que ses impacts éventuels sur d’autres tissus corporels. « Nous espérons que ces résultats pourront conduire à de nouvelles façons d’améliorer la santé humaine et d’avoir un impact sur la qualité de vie de nombreuses personnes. C’est l’un de mes principaux objectifs », conclut la scientifique.