Le mythe de la fontaine de Jouvence, une source censée restaurer la jeunesse, remonte à plusieurs siècles. Trouver le moyen de stopper, ou tout au moins freiner, le processus de vieillissement, est un but que l’Homme rêve d’atteindre un jour. Il se pourrait que ceci devienne une réalité : un traitement utilisé contre le diabète de type 2, la metformine, pourrait être une nouvelle piste vers un moyen de ralentir le vieillissement.
Le rôle de la metformine est de diminuer l’insulino-résistance de l’organisme. Mais ce médicament pourrait aider à prévenir ou à ralentir trois maladies liées à l’âge, à savoir la démence, les maladies cardiaques et le cancer. Et si la metformine s’avère efficace contre ces maladies liées au vieillissement, cela signifie qu’elle peut potentiellement prolonger la durée de vie.
Encouragés par les conclusions de plusieurs études prometteuses sur les effets de la metformine, une cohorte de scientifiques a décidé de mener un essai clinique de six ans, nommé Targeting Aging With Metformin (TAME), pour analyser plus en détail les propriétés anti-âge de cette substance.
Un médicament qui agit sur plusieurs processus métaboliques
Nir Barzilai, directeur de l’Institut de recherche sur le vieillissement au collège de médecine Albert Einstein, rappelle que le but recherché ici n’est pas de proposer un rajeunissement miraculeux des personnes âgées. Les autres scientifiques de la cohorte et lui supposent en revanche que la metformine pourrait retarder le processus vieillissement de façon significative. De précédents tests cliniques ont en effet mis en évidence le fait que ce médicament avait un certain impact sur le vieillissement de l’organisme, à plusieurs niveaux.
Une étude publiée en 2014 dans Diabetes Obesity and Metabolism a montré notamment que les diabétiques de type 2 traités avec de la metformine en monothérapie avaient des taux de survie similaires, voire meilleurs, que ceux d’un groupe témoin de personnes non-diabétiques (et ce, malgré le fait que les patients diabétiques étaient plus obèses et avaient des comorbidités plus importantes). Une méta-analyse publiée en 2016 dans la revue Cell Metabolism, signée entre autres par Nir Barzilai, revient par ailleurs sur plusieurs études suggérant que la metformine a une influence sur la biologie du vieillissement et la durée de la santé, l’incidence du cancer, la fonction cognitive et la diminution de la mortalité.
Il ressort de cette méta-analyse que cette molécule affiche de bons résultats dans le traitement de la démence, des maladies cardiaques et du cancer, qui sont toutes des pathologies liées à l’âge. En outre, elle présente l’avantage d’être utilisée en toute sécurité depuis plus de 60 ans et d’être peu coûteuse. Le médicament agit sur plusieurs processus métaboliques et cellulaires liés au vieillissement. Les experts pensent notamment qu’il pourrait influencer une enzyme qui contrôle les besoins énergétiques du corps, en imitant les effets d’un régime hypocalorique. De nombreux scientifiques pensent qu’une réduction drastique de l’apport calorique prolonge la vie.
La professeure Corinna Ross, du Southwest National Primate Research Center, au Texas, étudie quant à elle l’impact de médicaments comme la metformine chez les animaux. Dans un monde où la pandémie de coronavirus a eu un impact démesuré sur les personnes âgées, elle estime que cette étude est plus importante que jamais. « Si nous pouvons empêcher les gens d’avoir besoin de soins de longue durée en réduisant les effets du vieillissement, nous pouvons réduire l’impact sur les familles, les frais médicaux, le système de soins de santé et l’économie en général », précise-t-elle.
Effectivement, les médicaments capables de retarder ou de prévenir l’apparition de maladies débilitantes pourraient conduire à des années supplémentaires en meilleure santé, améliorant la longévité et procurant d’énormes avantages pour la société. « Nous vieillissons tous, mais nous n’avons pas à vieillir mal », résume Ross.
Cibler le vieillissement directement, et non les maladies qu’il induit
L’objectif de l’essai TAME est donc de fournir la preuve que le vieillissement peut être traité, comme n’importe quelle autre maladie. Cet essai clinique à venir doit impliquer 3000 participants, âgés de 65 à 79 ans, répartis sur 14 sites de recherche de diverses universités américaines. Une collecte de fonds est en cours pour soutenir et lancer l’essai.
La metformine ne sera pas le seul médicament étudié ; les chercheurs prévoient aussi d’observer les effets de la rapamycine (ou sirolimus), un immunosuppresseur utilisé notamment lors des transplantations rénales. En 2009, un article publié dans Nature rapportait que la rapamycine augmentait l’espérance de vie chez les souris. Plus récemment, en 2018, une étude publiée dans Hearing Research, suggérait que cette molécule pouvait également retarder la perte des cellules ciliées externes (cellules auditives) liée à l’âge. Les scientifiques examineront également une classe de composés appelés sénolytiques, capables d’attaquer les cellules sénescentes de l’organisme, qui ont tendance à s’accumuler avec l’âge. Les cellules sénescentes — des cellules dont le cycle est stoppé, elles ne se divisent plus — endommagent les cellules saines qui les entourent, contribuant à de multiples maladies liées à l’âge.
Problème : le vieillissement n’étant pas considéré comme une maladie, il est peu probable que la Food and Drug Administration (FDA) approuve un médicament pour ses effets anti-âge ou comme nouvelle utilisation d’un médicament autorisé. Sans compter que les sociétés pharmaceutiques seraient certainement peu enclines à développer des médicaments uniquement à cette fin — et qui pourraient potentiellement nuire à leur production massive de traitements contre les maladies liées à l’âge !
C’est pourquoi, pour contourner ces difficultés, l’équipe qui encadre l’essai TAME va se focaliser en particulier sur les effets de la metformine sur trois maladies liées à l’âge. Bien que les médecins soient libres de prescrire un médicament pour quelque raison que ce soit (ce que l’on appelle une prescription hors AMM), les chercheurs tiennent à ce que les résultats de leur étude incitent la FDA et les sociétés pharmaceutiques à commencer à réfléchir aux médicaments dans un cadre anti-âge.
Nir Barzilai prend lui-même de la metformine depuis 2015, après avoir reçu un diagnostic de prédiabète. Il est cependant catégorique sur le fait que personne ne devrait l’utiliser pour ralentir le vieillissement avant d’avoir la preuve scientifique que cela fonctionne. En cas de succès, l’essai TAME marquera un véritable changement de paradigme, passant du traitement de chaque maladie au ciblage du vieillissement en lui-même. Les chercheurs espèrent que cela facilitera le développement de meilleures approches pharmacologiques, qui réduiront à terme les coûts de santé liés au vieillissement.