Il y a quatre ans, un objet étrange aux caractéristiques semblables aux comètes traversait notre système solaire. Sa particularité ? Il provenait d’un autre système. Baptisé ‘Oumuamua, il devenait ainsi le premier objet interstellaire à transiter dans notre environnement immédiat. Cette découverte a lancé de nombreuses équipes d’astrophysiciens sur la quête de la recherche de sa véritable nature. De l’astéroïde en passant par la sonde extraterrestre, ‘Oumuamua a donné lieu à diverses hypothèses. Mais aujourd’hui, il semblerait que sa véritable nature ait enfin été élucidée.
En 2017, le premier objet interstellaire provenant d’au-delà du Système solaire a été découvert via l’observatoire astronomique Pan-STARRS à Hawaï. Il a été nommé ‘Oumuamua, ce qui signifie « éclaireur » ou « messager » en hawaïen. L’objet ressemblait à une comète, mais avec des caractéristiques qui étaient juste assez étranges pour défier la classification.
Deux astrophysiciens de l’Arizona State University, Steven Desch et Alan Jackson de la School of Earth and Space Exploration, ont entrepris d’expliquer les caractéristiques étranges d’Oumuamua et ont déterminé qu’il s’agissait probablement d’un morceau de planète semblable à Pluton provenant d’un autre système stellaire. Leurs résultats ont été récemment publiés dans une paire d’articles dans la revue AGU Journal of Geophysical Research: Planets.
‘Oumuamua : des caractéristiques cométaires inhabituelles
À partir des observations de l’objet, Desch et Jackson ont déterminé plusieurs caractéristiques de l’objet qui différaient de ce que l’on attendrait d’une comète. En matière de vitesse, l’objet est entré dans le Système solaire à une vitesse un peu plus basse que ce à quoi on pouvait s’attendre, indiquant qu’il n’avait pas voyagé dans l’espace interstellaire depuis plus d’un milliard d’années environ. En termes de dimensions, sa forme de crêpe était également plus aplatie que tout autre objet connu du Système solaire.
Ils ont également observé que si l’objet a acquis une légère poussée loin du Soleil (un « effet de fusée » commun chez les comètes lorsque la lumière du soleil vaporise les glaces dont elles sont constituées), la poussée était plus forte que ce que l’on pouvait expliquer. Enfin, l’objet manquait d’un gaz d’échappement détectable, qui est généralement représenté par la queue d’une comète. Somme toute, l’objet ressemblait beaucoup à une comète, mais ne ressemblait à aucune comète jamais observée dans le Système solaire.
Desch et Jackson ont alors émis l’hypothèse que l’objet était fait de différentes glaces et ils ont calculé à quelle vitesse ces glaces se sublimeraient (passant d’un solide à un gaz) lorsque ‘Oumuamua passait devant le Soleil. À partir de là, ils ont calculé l’effet de fusée, la masse et la forme de l’objet, et la réflectivité des glaces.
« Ce fut un moment passionnant pour nous. Nous avons réalisé qu’un morceau de glace serait beaucoup plus réfléchissant que ce que les gens pensaient, ce qui signifiait qu’il pouvait être plus petit. Le même effet de fusée donnerait alors à ‘Oumuamua une plus grande poussée, plus grande que celle que les comètes montrent habituellement », explique Desch.
Un objet composé en grande partie de glace azotée
Desch et Jackson ont trouvé une glace en particulier — l’azote solide — qui correspondait exactement à toutes les caractéristiques de l’objet simultanément. Et comme de la glace d’azote solide peut être vue à la surface de Pluton, il est possible qu’un objet semblable à une comète puisse être fait du même matériau.
« Nous savions que nous avions trouvé la bonne hypothèse lorsque nous avons terminé le calcul de l’albédo (le degré de réflexion du corps) qui ferait correspondre le mouvement d’Oumuamua aux observations. Cette valeur est apparue comme étant la même que celle que nous observons à la surface de Pluton ou Triton, des corps recouverts de glace azotée », indique Jackson.
Ils ont ensuite calculé la vitesse à laquelle des morceaux de glace d’azote solide auraient été détachés des surfaces de Pluton et de corps similaires au début de l’histoire de notre système solaire. Et ils ont calculé la probabilité que des morceaux de glace d’azote solide provenant d’autres systèmes solaires atteignent le nôtre.
« Il a probablement été détaché par un impact il y a environ un demi-milliard d’années et jeté hors de son système parent. Le fait d’être composé d’azote congelé explique également la forme inhabituelle de ‘Oumuamua. Au fur et à mesure que les couches externes de glace azotée s’évaporaient, la forme du corps se serait progressivement aplatie, tout comme le fait un pain de savon lorsque les couches extérieures sont enlevées par l’utilisation », explique Jackson.
Hypothèse extraterrestre : le danger des conclusions hâtives
Bien que le pseudo-type cométaire d’Oumuamua ait été rapidement reconnu, l’incapacité de l’expliquer immédiatement en détail a conduit à la spéculation qu’il s’agissait d’un morceau de technologie extraterrestre, comme dans le livre récemment publié Extraterrestrial: The First Signs of Intelligent Life Beyond Earth par Avi Loeb de l’Université Harvard. Cela a déclenché un débat public sur la méthode scientifique et la responsabilité des scientifiques de ne pas sauter à des conclusions injustifiées.
« Tout le monde s’intéresse aux extraterrestres, et il était inévitable que ce premier objet en dehors du Système solaire fasse penser aux extraterrestres. Mais il est important en science de ne pas sauter aux conclusions. Il a fallu deux ou trois ans pour trouver une explication naturelle — un morceau de glace azotée — qui correspond à tout ce que nous savons sur ‘Oumuamua. Ce n’est pas si long en science, et bien trop tôt pour dire que nous avions épuisé toutes les explications naturelles », déclare Desch.
Bien qu’il n’y ait aucune preuve qu’il s’agit d’une technologie extraterrestre, en tant que fragment d’une planète semblable à Pluton, ‘Oumuamua a fourni aux scientifiques une occasion spéciale d’examiner les systèmes extrasolaires d’une manière unique. Au fur et à mesure que de plus en plus d’objets comme ‘Oumuamua sont trouvés et étudiés, les astrophysiciens peuvent continuer à élargir notre compréhension de ce à quoi ressemblent les autres systèmes planétaires et de la manière dont ils sont similaires ou différents de notre propre système solaire.
« Cette recherche est passionnante dans la mesure où nous avons probablement résolu le mystère de ce qu’est ‘Oumuamua, et nous pouvons raisonnablement l’identifier comme un morceau d’une exo-Pluton, une planète semblable à Pluton dans un autre système solaire. Jusqu’à présent, nous n’avions aucun moyen de savoir si d’autres systèmes solaires avaient des planètes semblables à Pluton, mais maintenant nous en avons des indices », indique Desch.
Vers la découverte d’autres objets interstellaires
Les auteurs espèrent que les futurs télescopes, comme ceux du Vera Rubin Observatory/Large Synoptic Survey Telescope au Chili, qui seront en mesure d’étudier régulièrement tout le ciel méridional, pourront commencer à trouver encore plus d’objets interstellaires pour préciser les modèles actuels.
« On espère que dans une dizaine d’années, nous pourrons acquérir des statistiques sur les types d’objets qui traversent le système solaire, et savoir si les morceaux de glace azotée sont rares ou aussi courants que nous l’avons calculé. Quoi qu’il en soit, nous devrions pouvoir en apprendre beaucoup sur les autres systèmes solaires et savoir s’ils ont subi les mêmes types d’histoires de collision que les nôtres », conclut Jackson.
Vidéo des chercheurs expliquant leurs travaux sur l’origine de ‘Oumuamua :