La tétraplégie ou la paraplégie, si elles sont causées par une ou plusieurs lésions de la moelle épinière, sont dues à l’interruption ou l’altération des signaux électriques entre les membres et le cerveau. Dans ce cas, avec la technologie actuelle, pourquoi ne pas « reconnecter » les deux parties avec un dispositif électronique ? Si une telle idée n’a pour le moment été concrétisée que dans des oeuvres de science-fiction ou dans des circonstances de laboratoire spécifiques, ce n’est pas pour rien. Cependant, une équipe de chercheurs a récemment publié deux études fascinantes présentant un minuscule dispositif cérébral (implantable dans les « plis » du cerveau) et des électrodes ultra-fines permettant de restaurer le contrôle musculaire et les sensations chez des patients paralysés.
Si un tel dispositif n’a jamais été commercialisé jusqu’ici, c’est parce qu’il nécessite une précision d’interprétation et de transmission extrême, sans compter la vitesse de traitement des informations et des signaux. Pour finir, tout cela est fortement limité par une contrainte majeure : la taille des électrodes implantables et des éléments électroniques/informatiques nécessaire au fonctionnement.
Dans deux articles portant sur des recherches menées sur trois patients, l’un publié dans la revue Brain Stimulation et l’autre dans Frontiers in Neuroscience, des chercheurs dirigés par Chad Bouton, ingénieur médical en bioélectronique aux Feinstein Institutes for Medical Research et Northwell Health, ont démontré que leur implant peut enregistrer et décoder l’activité cérébrale, la faire passer par un ordinateur au lieu de la moelle épinière endommagée, et stimuler directement les muscles via des électrodes — en contournant essentiellement le système nerveux endommagé et, dans l’un des cas présentés, en permettant à un patient de contrôler à nouveau sa main.
Le système a également été capable de recueillir des données sur la position et la pression des doigts afin de stimuler la région sensorielle du cerveau, ce qui a permis aux sujets de retrouver le sens du toucher et la proprioception de leurs propres membres.
Ainsi, l’implant peut aider les personnes à bouger et à sentir leurs membres en contournant la lésion ou l’affection qui empêchait leur cerveau de communiquer avec leur corps. Selon Bouton, son équipe a reçu l’autorisation de la FDA pour mener un nouvel essai clinique ambitieux visant à tester ces deux capacités simultanément afin de permettre aux personnes paralysées d’acquérir une plus grande indépendance.
Recevoir, traduire, transmettre…
Pour relayer les informations entre les deux parties saines et contourner les lésions, les chercheurs utilisent une électrode cérébrale très fine (dite électrode de profondeur ou électrode EEG stéréo), dont le diamètre est inférieur à un millimètre. Pour l’implanter, les chirurgiens percent de minuscules trous dans le crâne. « Nous essayons de cibler un peu plus profondément que tous nos travaux précédents. Nous essayons d’aller un peu plus profondément et de descendre dans les plis du cerveau, les sulci. On sait depuis un certain temps que les [parties du cerveau correspondant au] bout des doigts se trouvent en fait un peu plus bas dans les plis », explique Bouton à Futurism.
Pour concevoir ce dispositif potentiellement révolutionnaire, les chercheurs se sont concentrés sur les signaux impliquant le bout des doigts et sur la création ou la restauration des sensations. Pour la première fois, ils ont montré qu’il est possible de stimuler ces zones plus profondes dans les plis du cerveau afin de procurer des sensations ou des perceptions très focalisées.
« Oh, wow, je ressens un petit picotement, un petit tremblement ou une petite pression au bout de mon pouce ou de mon index », avait déclaré, selon Bouton, l’un des patients durant le premier essai. Les chercheurs ont également enregistré les signaux de trois patients lorsqu’ils bougeaient les doigts individuellement. Ils ont alors constaté que non seulement ils pouvaient déterminer à quel doigt les patients pensaient, ou (sans regarder directement) lequel ils bougeaient individuellement (par exemple le pouce ou le majeur), mais aussi capter des signaux intéressants provenant de la substance blanche du cerveau. « Nous avons pu atteindre une précision de décodage de 91%, voire mieux parfois », déclare Bouton.
« Nous utilisons de fines électrodes, nous enregistrons les signaux à partir de cette zone pour dire : ‘Ok, le patient veut ouvrir la main ou peut-être faire une prise en pince ; prendre un petit objet ou quelque chose qu’il veut manger’. Puis nous décodons cela et disons, ‘Ok, nous savons maintenant ce qu’ils veulent faire’. Nous l’envoyons à un ordinateur et ce dernier transmet un signal aux stimulateurs musculaires », explique Bouton.
Les électrodes (en or) destinées aux membres, également développées par les chercheurs, sont directement implantables sous la peau. Pour générer un mouvement, ces dernières stimulent directement les muscles, en fonction des schémas de pensées interprétés par l’ordinateur (en provenance de l’électrode cérébrale). Bouton et son équipe ont maintenant l’autorisation de la FDA pour réaliser une nouvelle étude, où il s’agira d’interpréter efficacement des informations sensorielles en même temps que les informations de mouvement.
Un lourd travail pour réduire la latence des signaux électriques
L’équipe a travaillé très dur pour réduire le délai de transmission et de traitement des signaux électriques — étant donné qu’il est ici nécessaire de jongler entre la transmission nerveuse, le traitement par l’ordinateur et la stimulation musculaire (pour les mouvements). Ils se sont notamment appuyés sur l’intelligence artificielle pour obtenir des temps de traitement très courts.
« Il y a toujours un retard, même chez quelqu’un qui n’a pas de lésion de la moelle épinière. Les signaux prennent un peu de temps pour voyager. Nous avons développé des algorithmes d’IA qui ont une réponse très courte, très rapide », explique Bouton. « Nous savons en moins d’une seconde ce que la personne veut faire. Et c’est très efficace. L’un des défis de l’EEG sur le cuir chevelu lui-même, c’est qu’il y a encore des délais. Avec cette technologie, en plaçant l’implant dans le cerveau et en enregistrant directement à partir du cerveau, en utilisant nos nouvelles approches, nous pouvons vraiment réduire ces délais ».
Améliorer la qualité de vie dans un premier temps
Si un tel dispositif ne permet pour le moment pas d’inscrire un patient entièrement paralysé aux Jeux olympiques, le but premier, selon Bouton, est de simplement parvenir à améliorer la qualité de vie de ces patients. Du moins dans un premier temps.
Leur volonté, pour la plupart, se veut simple et réaliste, certains patients déclarant vouloir « juste être capables de faire plus de choses sans nécessiter de l’aide ». Si le dispositif développé ici permet, d’ici quelques années, à un tétraplégique complet d’effectuer une tâche simple comme se nourrir ou se brosser les dents, il s’agira alors d’une avancée révolutionnaire, qui changera la vie de millions de personnes. Dans la science comme dans la vie, les grandes avancées se font par petits pas.