Voilà une question qui va très certainement susciter des débats houleux parmi les propriétaires de ces animaux, généralement très attachés à leur compagnon et toujours prêts à partager leurs incroyables capacités sur les réseaux sociaux, vidéo à l’appui. De prime abord, la balance pourrait pencher en faveur des chiens ; en effet, moyennant dressage, ceux-ci excellent dans les tâches de détection, d’assistance et de sauvetage. Les chats sont-ils moins intelligents du fait qu’ils ne peuvent être entraînés de la même manière ? Il n’est en réalité pas si simple de trancher.
Pour certains scientifiques, la question ne devrait même pas se poser. « Je ne pense pas que cela ait du sens de parler d' »intelligences » relatives des espèces », estime Alexandra Horowitz, chercheuse spécialisée dans la cognition canine au Barnard College de New York. « Demander si un chien est plus intelligent qu’un chat, c’est comme demander si un marteau est un meilleur outil qu’un tournevis — cela dépend de ce pour quoi il a été conçu », ajoute Brian Hare, professeur d’anthropologie évolutive à l’Université Duke.
Les chats domestiques (Felis catus) et les chiens (Canis familiaris) sont les animaux de compagnie les plus populaires ; selon une enquête menée en 2018 par la Fédération des fabricants d’aliments pour chiens, chats, oiseaux et autres animaux (la FACCO), on recensait cette année-là 14,2 millions de chats et 7,6 millions de chiens dans les foyers français. Au niveau mondial, la population des petits félins domestiqués est estimée à 400 millions, tandis que le nombre de chiens avoisine les 500 millions ! Disposons-nous pour autant de preuves suffisantes pour affirmer qu’une espèce est plus intelligente que l’autre ?
Ex æquo en matière d’intelligence sociale
Pour éclairer le débat, il faut tout d’abord définir ce que l’on entend par « intelligence ». Les chercheurs qui se penchent sur le sujet évoquent plutôt des « capacités cognitives supplémentaires à celles qui sont nécessaires à la survie de l’espèce ». Ainsi, pour Kristyn Vitale, professeure adjointe de santé et de comportement animal au Unity College, dans le Maine, l’intelligence animale est généralement divisée en trois grands domaines : la capacité de résolution de problèmes, la capacité à former des concepts généraux (à partir d’expériences concrètes spécifiques) et l’intelligence sociale.
Il est également nécessaire de se défaire de certaines idées préconçues sur chacune de ces espèces. Par exemple, comparativement aux chiens qui n’ont d’yeux que pour leur maître, les chats sont souvent considérés comme des animaux distants et insensibles ; pourtant, certaines expériences ont montré que les chats présentent eux aussi un degré élevé d’intelligence sociale. Une étude publiée en 2019 a par exemple montré que les chats domestiques étaient tout à fait capables de reconnaître leur nom parmi d’autres mots à consonance similaire, même lorsque des personnes inconnues les prononçaient.
Kristyn Vitale s’est elle-même penchée sur les interactions humains-chats : dans une étude publiée en 2017, qui visait à déterminer quels étaient les stimuli les plus efficaces pour envisager de « dresser » un chat, son équipe et elle ont montré que l’interaction sociale avec les humains était la catégorie de stimulus préférée de la majorité des chats, devant la nourriture, les odeurs et les jouets. Deux ans plus tard, la spécialiste a démontré que lorsqu’une personne prêtait attention à un chat, celui-ci le lui rendait plutôt bien, en passant davantage de temps auprès d’elle.
Concernant la capacité à résoudre des problèmes, peu d’études se sont attelées à comparer les deux espèces. Cependant, une recherche publiée dans le Journal of Comparative Psychology suggère que chiens et chats présentent globalement les mêmes capacités lorsqu’il s’agit de retrouver de la nourriture cachée à l’aide de gestes de pointage humains.
Une question de taille du cerveau ?
Les capacités d’apprentissage des chiens sont tout de même véritablement surprenantes. Une étude publiée cet été a rapporté des performances exceptionnelles dans l’apprentissage des noms d’objets chez les chiens : ils sont capables d’apprendre un nouveau nom de jouet après l’avoir entendu seulement quatre fois. Les chercheurs à l’origine de cette étude ont récemment mené encore plus loin l’expérience : les chiens les plus talentueux ont été capables de retenir le nom d’une dizaine de jouets en une seule semaine. Ce taux d’apprentissage est comparable à celui des nourrissons, lorsqu’ils commencent à enchaîner des mots vers l’âge de 18 mois, souligne le Dr Shany Dror, l’une des membres de l’équipe.
Il est communément admis que l’intelligence d’une espèce est généralement associée à la taille de son cerveau, ou plus exactement, au coefficient d’encéphalisation (CE), calculé sur la base du volume endocrânien et de la masse corporelle d’un individu adulte — même si certaines espèces d’oiseaux remettent nettement en question ce postulat. Sur cette base, les chiens l’emportent (CE=1,17) devant les chats (CE=1).
Un article publié en 2014 suggère que la taille du cerveau serait surtout corrélée à la maîtrise de soi — une capacité qui indique une fonction cognitive supérieure. Pour parvenir à cette conclusion, les chercheurs ont testé 36 espèces dans deux tâches de résolution de problèmes mesurant la maîtrise de soi ; chez toutes les espèces, ce sont les différences de volume cérébral absolu (et non relatif) qui prédisaient le mieux leurs performances. Cependant, les chats n’ont malheureusement pas été inclus dans cette étude, on ne peut donc tirer de conclusion définitive à leur sujet.
Comme le souligne Kristyn Vitale, s’il existe une différence apparente d’« intelligence » entre les deux espèces, c’est sans doute principalement dû au fait que nous ne traitons pas ces animaux de la même façon. Force est de constater que les chiens sont généralement plus socialisés que les chats ; leurs propriétaires les emmènent en balade ou au parc, où ils rencontrent leurs congénères, et certains ont même droit à quelques séances avec un éducateur. « Les propriétaires de chats offrent à leur compagnon moins de ce type d’opportunités de socialisation et de formation », souligne la spécialiste. En résumé, chiens et chats peuvent faire preuve d’intelligence chacun à leur manière.