Une salve de publications sur l’atmosphère de Jupiter a envahi les colonnes des revues Geophysical Research Letter, Science et Journal of Geophysical Research: Planets. Prises ensemble, elles permettent de comprendre comme jamais avant l’atmosphère de Jupiter : son organisation 3D en cellules convectives et en jet-streams profonds, l’étendue réelle de la fameuse Grande Tache rouge et des autres vortex de surface… À l’origine de ces publications synchronisées, plusieurs équipes internationales de physiciens ont interprété les dernières données d’observation de la sonde Juno, mise en orbite autour de la géante gazeuse le 5 juillet 2016.
« C’est comme ouvrir un coffre au trésor », s’émerveille pour Phys.org Lori Glaze, directeur du département des sciences planétaires de la NASA. On le comprend : depuis son arrivée dans l’orbite de Jupiter en juillet 2016, la sonde a apporté des données plus précises sur la géante gazeuse que tout ce dont les physiciens disposaient auparavant. Les analyses de ces données ont été publiées cette semaine sous la forme de six articles, parus dans trois revues d’envergure : Science (deux papiers), Geophysical Research Letter (deux contributions également), et Journal of Geophysical Research: Planets (deux articles aussi).
Mais quelles données permettent d’élucider la nature de la purée de pois que constitue Jupiter ? Premièrement, les micro-ondes, ces ondes électromagnétiques d’une longueur d’onde comprise entre 1 mm et 1 m. Lors des 37 passages de Juno à 4200 km de la surface de la géante gazeuse, ses instruments embarqués ont récolté de précieuses informations, notamment grâce à son radiomètre micro-onde — un instrument de télédétection qui mesure les énergies émises par différentes molécules et permet de dresser un profil vertical de leur abondance, malgré le (très) gros temps qui règne en surface de l’atmosphère jovienne.
L’atmosphère jovienne modélisée en 3D
Deuxièmement, les modélisations en 3D du comportement de l’atmosphère de Jupiter ont été cruciales pour analyser les signaux recueillis par Juno. Cela a par exemple permis de déterminer le modèle d’atmosphère optimal pour expliquer la répartition de l’ammoniaque — la molécule NH4OH, à l’origine de l’odeur de l’urine et toxique en forte concentration — sur Jupiter. « On a pu démontrer que l’atmosphère était constituée de cellules convectives, comme les cellules de Ferrel terrestres », détaille pour Phys.org Keren Duer, chercheuse au Weizmann Institute of Science et co-auteure d’une des publications.
Ces cellules convectives ressemblant aux cellules de Ferrel — les régions atmosphériques terrestres situées entre 30° et 60° de latitude, où l’air circule en boucle — sont indiquées en bleu dans l’image de titre de l’article. Enfin, sous ces cellules de convection se trouvent de puissants courants laminaires appelés courants-jets (jet-streams), sûrement à l’origine des bandes de Jupiter.
Au-delà de ses puissantes perturbations, l’atmosphère de Jupiter est connue pour les magnifiques bandes colorées qui la zèbrent d’Est en Ouest. Juno avait déjà permis de déterminer qu’il s’agissait de puissants courants-jets, soufflant à plus de 500 km/h. Mais désormais, les chercheurs ont un indice sur la naissance de ces bandes horizontales : elles proviendraient de jets streams laminaires profonds, sous les cellules de convections joviennes.
Une Grande Tache rouge loin d’être superficielle
Un autre résultat, très attendu, concerne la fameuse Grande Tache rouge de Jupiter. Observé pour la première fois par Cassini en 1665, ce gigantesque anticyclone excède en largeur le diamètre de la Terre.
« Juno nous avait déjà surpris auparavant en donnant des indices que l’atmosphère de Jupiter était plus profonde qu’attendu », explique pour Phys.org Scott Bolton, le principal responsable de la mission Juno. Ce que les récentes découvertes confirment de manière éclatante : d’après l’analyse d’anomalies de densité à l’intérieur de l’atmosphère jovienne, la Grande Tache rouge s’agite sur au moins 500 kilomètres de profondeur ! Mais ce n’est que le plus gros des vortex — des tempêtes tourbillonnantes — en surface de Jupiter.
De manière générale, les vortex se révèlent être des tempêtes monstres pouvant atteindre des centaines de kilomètres d’épaisseur, qui percent même la profondeur à laquelle l’eau se condense dans les abysses glacials et ténébreux de la géante gazeuse. L’état de la matière change, mais le vortex continue !
« Nous appelons cette profondeur critique la Jovicline, en référence à la thermocline terrestre [limite assez abrupte entre les eaux superficielles chaudes et les eaux profondes froides des océans] », explique Leigh Fletcher, l’un des principaux scientifiques impliqués dans l’étude. Autrement dit, sur Jupiter, les nuages changent d’états (en plus d’être bourrés d’ammoniaque) ! Comme si, sur Terre, la circulation océanique et la circulation atmosphérique ne faisaient qu’un.