Lancé le 25 décembre dernier, le nouvel observatoire spatial de la NASA est enfin arrivé au bout de son périple, au point de Lagrange L2. La mission s’est jusqu’à présent déroulée sans encombre, du décollage au déploiement des miroirs, en passant par le déploiement des panneaux solaires et du bouclier thermique. Mais le télescope devra encore franchir plusieurs étapes avant de pouvoir effectuer ses premières observations.
Pour rappel, le point de Lagrange L2, situé à environ 1,5 million de kilomètres de la Terre en direction de Mars, est une position spécifique où un objet de masse faible peut rester en place sans trop d’effort, grâce à l’influence des champs de gravité du Soleil et de la Terre, qui fournissent la force centripète nécessaire pour que l’objet en question accompagne leur mouvement. À noter que le télescope n’est en réalité pas complètement immobile : il orbite autour du point L2. De là, James Webb pourra scruter les confins de l’Univers, dans l’infrarouge proche et moyen, ainsi que dans une partie du spectre visible.
Avant cela, il faut que l’ensemble des 18 segments hexagonaux qui composent le miroir principal soient parfaitement alignés, avec une précision de l’ordre de 10 à 20 nanomètres, pour former un seul et unique miroir. Pour ce faire, l’instrument est équipé de 126 petits moteurs, placés à l’arrière des segments, qui œuvrent à atteindre l’alignement parfait ; le processus a commencé le 12 janvier et devrait se poursuivre jusqu’en avril. Une fois l’alignement effectué, la lumière de l’espace lointain rebondira d’abord sur le miroir primaire, puis sur le miroir secondaire et atteindra enfin les instruments qui analyseront les signaux cosmiques.
Prochaine étape : l’alignement des différents segments du miroir
Pour aligner les différents segments, le télescope ciblera une seule étoile, HD 84406, située dans la constellation de la Grande Ourse. À noter qu’il ne s’agit là que de la procédure d’alignement initial ; les ingénieurs veilleront au bon alignement des segments pendant toute la durée de la mission.
Si la procédure d’alignement des miroirs est particulièrement longue et délicate, c’est parce que James Webb se refroidit progressivement. Or, ce changement de température impacte la forme des miroirs ; l’alignement ne pourra donc être définitif que lorsque l’observatoire aura complètement refroidi. Sa température doit atteindre -233 °C environ, une température proche de celle de l’espace environnant, de manière à ce que l’engin n’émette pas plus de chaleur que les sources de rayonnement infrarouge qu’il ciblera — ce qui pourrait nuire à la détection.
L’immense bouclier thermique du James Webb, de 22 mètres de long sur 12 mètres de large, a justement pour rôle d’isoler les instruments des flux thermiques provenant de la Terre et du Soleil. Constitué de cinq couches de polymère, chacune recouverte d’un revêtement en aluminium chargé de réfléchir le flux thermique, le bouclier bloque et dévie efficacement la chaleur de la lumière, de manière à ce que les instruments d’observation refroidissent peu à peu ; la couche la plus proche du Soleil atteindra les 85 °C, tandis que le côté le plus froid descendra à -233 °C. À noter que l’imageur MIRI est équipé d’un système de refroidissement supplémentaire, qui lui permettra d’atteindre la température de -266 °C. De cette façon, il sera capable d’observer des objets encore plus sombres et froids.
Outre la préparation du miroir, les étapes préliminaires consisteront à activer et régler les différents instruments d’observation : la NIRCam, le NIRSpec, le MIRI et le duo FGS/NIRISS.
Un étalonnage qui prendra plusieurs mois
NIRCam est une caméra grand champ fonctionnant dans l’infrarouge proche, de 0,6 à 5 micromètres ; elle est capable d’imager les toutes premières étoiles et galaxies qui se sont formées à l’aube de l’Univers. NIRSpec est un spectromètre fonctionnant dans la même gamme de longueurs d’onde, chargé de caractériser les objets observés (température, masse, composition). MIRI est un spectro-imageur, fonctionnant dans l’infrarouge moyen (de 5 à 28 µm) ; il peut observer les galaxies lointaines, ainsi qu’une large gamme d’objets (planètes, astéroïdes, etc.). FGS est un système de guidage qui aidera le télescope à pointer ses cibles et le spectro-imageur NIRISS, associé au FGS, est dédié à la détection d’exoplanètes.
Selon Klaus Pontoppidan, astronome au Space Telescope Science Institute de Baltimore, il faudra encore au moins cinq mois pour terminer l’étalonnage de tous ces instruments scientifiques. À l’issue de cette phase d’étalonnage, l’équipe du James Webb publiera les premières images capturées par le télescope. « Ce sont des images qui visent à démontrer au monde que l’observatoire fonctionne et est prêt pour la science », a déclaré Pontoppidan à ScienceNews. Mais l’objet de ces premières images demeurera secret jusqu’au jour J, précise le scientifique. Un secret surtout imposé par le fait que la position exacte qu’occupera James Webb au moment où tous les instruments seront opérationnels est pour le moment incertaine.
Si la mission devait initialement durer entre cinq et dix ans, il se pourrait bien que l’engin reste en service pendant plus de 10 ans. L’équipe en charge de la mission pourra estimer la durée exacte dans les prochains mois. En effet, celle-ci dépend essentiellement des réserves de carburant de l’observatoire et il se trouve que le voyage de James Webb s’est tellement bien déroulé qu’un minimum de carburant a été utilisé pendant ce premier mois dans l’espace. À présent, les propulseurs ne seront activés que pour corriger la position du télescope, afin de le maintenir sur l’orbite de halo du point L2. « Pour le JWST, nous exécuterons ce que nous appelons des manœuvres de maintien à poste tous les 21 jours », a précisé Scott Friedman, également astronome au Space Telescope Science Institute.
Il faudra patienter encore plusieurs semaines avant de découvrir les premières images de ce nouvel observatoire de pointe, des images qui seront sans aucun doute à couper le souffle. « Je suis juste très excitée de voir ces premières images, simplement parce qu’elles seront spectaculaires », a déclaré Erin Smith, astrophysicienne du Goddard Space Flight Center et scientifique du projet James Webb.