Historiquement, la psychopathie a été conceptualisée comme un trouble mental, au même titre que le trouble de la personnalité antisociale. Pourtant, il existe de plus en plus de preuves qu’elle serait davantage issue d’un processus de sélection naturelle, par une stratégie adaptative. Des chercheurs canadiens viennent de présenter les résultats d’une méta-analyse de 16 études qui œuvre en ce sens : il n’y aurait aucune différence dans les taux de non-droitier (un indicateur de perturbation neurologique) entre psychopathes et non psychopathes. Les résultats sont toutefois à nuancer, car la méta-analyse présente quelques limites.
Une personnalité psychopathe est notamment caractérisée par un comportement antisocial, impulsif, manipulateur et insensible. Plusieurs des critères définis dans le manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM) permettent de conclure à l’existence d’un trouble de la personnalité antisociale (TPA), aussi appelé psychopathie.
Toutefois, les deux syndromes peuvent être distingués, certains affirmant que le TPA représente l’extrémité inférieure ou moins sévère du continuum de la psychopathie. « Un diagnostic de TPA est fortement lié à la dimension comportementale/antisociale de la psychopathie, mais il est moins fortement lié aux traits interpersonnels/affectifs de la psychopathie, qui sont souvent considérés comme les caractéristiques principales de ce syndrome », écrivent Lesleigh E. Pullman et ses collègues dans leur étude.
La psychopathie a ainsi longtemps été considérée comme un trouble mental, alors qu’il existe « une autre perspective, axée sur l’évolution : elle serait plutôt une stratégie d’exploitation sociale de l’histoire de la vie maintenue par une sélection négative dépendant de la fréquence », rapportent les chercheurs canadiens. Sous cet angle, « la prise de risque, l’opportunisme et le comportement insensible », caractéristiques des psychopathes, auraient augmenté le succès reproductif dans les environnements ancestraux, sous certaines conditions (des individus psychopathes auraient pu exploiter la confiance des autres pour améliorer leurs chances de reproduction). D’après les auteurs, ces traits psychopathiques auraient été favorisés par la sélection au cours des générations successives.
Étudier la non-droitisation pour expliquer l’origine de la psychopathie
La méta-analyse de 16 études (entre 1985 et 2017) vise à vérifier cette hypothèse, en utilisant la « non-droitisation » (gaucherie, mixité ou ambidextrie, mesurée par la préférence des mains autodéclarée ou la préférence des mains lors de l’écriture) comme indicateur de perturbation neurologique. En effet, par rapport aux groupes témoins sains, on retrouverait plus de non-droitiers chez les personnes atteintes de schizophrénie et de dépression. Il en est de même pour le faible poids et les complications à la naissance, un stress prénatal et une exposition prénatale aux hormones, ce qui suggère que la non-droitisation pourrait être liée à une perturbation du développement cérébral pré et périnatal.
Par ailleurs, même si l’origine des troubles mentaux n’est pas entièrement claire, il s’agit probablement d’une perturbation du développement neurologique. Les psychopathes devraient donc être majoritairement non-droitiers si leur problème venait principalement d’un trouble mental, selon les chercheurs. Dans le cas contraire, ils sont considérés comme neurologiquement sains et la perspective de stratégie adaptative est privilégiée.
Les chercheurs ont examiné l’association entre la psychopathie et le fait d’être droitier pour un total de 1818 participants. En fin de compte, il n’y avait pas de différence dans les taux de non-droitier entre les participants à haut et bas niveau de psychopathie, et entre les patients psychopathes et non psychopathes. En revanche, les auteurs ont noté une tendance pour les délinquants ayant un score plus élevé dans la dimension comportementale de la psychopathie à être davantage non-droitiers ; c’est l’inverse pour les délinquants ayant un score plus élevé dans la dimension interpersonnelle/affective de la psychopathie.
La dimension comportementale de la psychopathie peut être « conceptuellement plus proche du [trouble de la personnalité antisociale] et de la délinquance persistante au cours de la vie », rapportent les chercheurs. « Ainsi, nos résultats ne soutiennent pas le modèle de trouble mental et soutiennent partiellement le modèle de stratégie adaptative ».
Limites de la méta-analyse
Les résultats sur les origines de la psychopathie restent à nuancer, car il existe de nombreuses limites présentées par les chercheurs eux-mêmes. En premier lieu, un faible nombre d’études primaires a examiné la relation entre la psychopathie et la non-droitisation, et la puissance statistique était donc relativement faible. Ensuite, le fait que les psychopathes puissent présenter d’autres maladies mentales n’a pas été pris en compte dans le travail, ce qui aurait pu induire d’autres résultats.
Enfin, il faut savoir que le modèle adaptatif de la psychopathie concerne les hommes. Or, les échantillons de participants étaient partiellement ou totalement composés de femmes, ce qui peut également perturber les résultats.