Puisque les hommes réussiraient mieux les tests d’orientation spatiale, alors l’affirmation que « les femmes ne savent pas lire les cartes routières » doit être vraie. En réalité, ces tests dont il est question présentent des limites, et aucune étude scientifique n’a pu prouver l’affirmation précédente. Certains avancent que seule l’expérience de navigation spatiale (dans la vie ou dans un jeu vidéo) peut améliorer la capacité d’orientation. Toutefois, des chercheurs en psychologie sociale reconnaissent que la « menace du stéréotype » provoque une moindre performance en navigation spatiale de la part des femmes.
L’idée que les femmes possèderaient un moins bon sens de l’orientation que les hommes n’est étrangère à personne. En effet, un certain nombre d’études ont été publiées en ce sens, avec la conclusion que les tests d’aptitude spatiale réussissent mieux aux hommes qu’aux femmes. Parmi les explications possibles, il est suggéré que les hormones sexuelles (notamment la testostérone) sont impliquées dans la différence de genre, en modifiant l’activité de certaines zones du cerveau.
La testostérone n’a qu’un effet limité sur la navigation et la cognition spatiales
Une étude de l’Université des sciences et des technologies en Norvège publiée en 2016 s’intéresse à l’implication de la testostérone dans l’aptitude à la navigation spatiale. Pour ce faire, les chercheurs ont demandé à 42 étudiantes âgées de 19 à 30 ans de mémoriser un environnement virtuel à l’aide de manettes et lunettes en 3D, puis de retrouver leur chemin pendant que leur activité cérébrale était enregistrée en imagerie (IRMf). La moitié des femmes avaient reçu une dose de testostérone, et l’autre moitié un placebo.
Les chercheurs ont mesuré la connaissance de l’environnement virtuel des participantes, leur stratégie de navigation autodéclarée et leurs capacités de rotation mentale. « Le groupe testostérone avait une meilleure représentation des directions dans l’environnement et a obtenu des résultats significativement meilleurs sur la tâche de rotation mentale par rapport au groupe placebo, mais la réussite de la navigation et la stratégie de navigation étaient similaires dans les deux groupes », rapportent-ils.
Les différences significatives résidaient dans les zones d’activité cérébrale : le groupe testostérone présentait une activité accrue dans le lobe temporal médian quand les participantes réussissaient la navigation. Cette région — qui contient l’hippocampe — est liée aux points cardinaux et interviendrait dans les aptitudes à la navigation dans l’espace. Malgré tout, les chercheurs concluent que la testostérone avait un effet limité sur la cognition spatiale impliquant la visualisation en 3D chez les femmes en bonne santé, et que les comportements complexes tels que la navigation (reposant davantage sur des stratégies apprises) n’étaient pas modifiés, malgré une activité neuronale accrue dans les régions cérébrales concernées.
Une hypothèse propose une explication « historique » aux prétendues différences, lesquelles seraient issues du mode de vie de nos ancêtres. Ainsi, l’homme aurait développé une meilleure capacité à s’orienter et calculer des trajectoires pour chasser, là où la femme n’en avait pas besoin pour recueillir de la nourriture.
Aucune preuve de différence significative de genre
Une autre explication provient du test de rotation mentale (TRM) de 1978, proposé par Vandenberg et Kuse. Le principe est simple : on présente à la personne une figure composée de petits cubes et on lui demande de la retrouver parmi quatre autres. Mais elle est orientée de façon différente dans l’espace, ou en miroir. Si les hommes ont bien mieux réussi le test que les femmes, la conclusion sur la faculté à s’orienter dans l’espace n’est pas très claire. De plus, le TRM a été proposé par des hommes, ce qui peut biaiser les résultats.
Dans le cadre d’une étude publiée en décembre 2019 dans Nature, des chercheurs ont modifié le protocole du TRM en mesurant la pupillométrie et le regard afin de réévaluer la différence entre les sexes pour cette tâche. « Nous n’avons trouvé aucune différence de performance significative entre les hommes et les femmes sur les essais », écrivent les auteurs. Il a cependant été rapporté des différences dans le regard sur les figures et sur la durée d’observation, mais rien de notable.
En outre, une étude américaine avance que la testostérone salivaire n’a pas de lien avec la performance dans une tâche cognitive spatiale. Plus précisément avec la tâche de rotation mentale, associée aux hommes plutôt qu’aux femmes. Finalement, aucune différence n’a été constatée entre les femmes qui ont pris le traitement ou un placebo. Les chercheurs expliquent que la taille relativement petite des échantillons de précédentes études est une source potentielle des différences trouvées entre les deux sexes.
D’autres études ont montré que les jeux vidéo pouvaient améliorer la capacité de rotation mentale, les hommes étant donc plutôt favorisés (même si évidemment, beaucoup de femmes sont aussi adeptes des jeux vidéo). Des chercheurs de l’Université de Toronto ont montré que jouer à un jeu vidéo d’action pouvait réduire les différences de capacité de rotation mentale : « Après seulement 10 heures d’entraînement avec un jeu vidéo d’action, les sujets ont réalisé des gains substantiels en matière d’attention spatiale et de rotation mentale, les femmes en bénéficiant davantage que les hommes. Les sujets témoins qui ont joué à un jeu sans action n’ont montré aucune amélioration ».
Dans le cas où la faculté de rotation mentale aurait effectivement un impact sur le sens de l’orientation, la capacité à se guider proviendrait donc davantage d’un entraînement que d’une capacité innée. En effet, il est tout à fait probable que ce soient nos expériences vécues plutôt que notre genre qui nous aident à nous orienter. Le contexte social et culturel dans lequel nous évoluons semble également jouer un rôle dans cette aptitude.
L’effet du stéréotype sur les performances des femmes
Alors pourquoi cette impression d’un avantage des hommes sur les femmes en matière de sens de l’orientation est-elle encore ancrée ? Peut-être parce qu’elle se vérifie sous certaines conditions, d’après des chercheurs français en psychologie sociale : elle pourrait être due à l’effet même du stéréotype sur les performances des femmes à une tâche d’orientation dans l’espace.
Il a été montré par le passé que les stéréotypes conduisent parfois les personnes membres du groupe stéréotypé à adopter des conduites qui confirmeraient ces croyances ! Il s’agit du phénomène de « menace du stéréotype », autrement dit « la pression que rencontre un individu lorsqu’il se trouve en situation de risquer de confirmer un stéréotype négatif pertinent pour le soi » (Steele, 1997).
Les chercheurs de l’étude en psychologie sociale ont demandé aux participants (hommes et femmes) d’utiliser leur sens de l’orientation dans un labyrinthe. En fin de compte, les performances les plus faibles étaient obtenues par les participantes pour lesquelles la tâche était présentée comme une évaluation de leurs capacités en orientation spatiale. Le fait d’indiquer aux participantes l’objectif du test a donc entraîné une chute de leurs performances par rapport aux femmes auxquelles la tâche n’était pas présentée comme une évaluation de leurs capacités. Mais aussi par rapport aux hommes, que la tâche leur soit présentée comme une évaluation ou non.
« Le simple fait d’être évaluées dans un domaine pour lequel leur groupe est affublé d’un stéréotype négatif semble ainsi provoquer une moindre performance dans le domaine en question », attestent les auteurs. « Tout en continuant à comprendre les processus sous-jacents à ces effets, les futures recherches devront mettre l’accent sur les stratégies permettant de lutter contre les effets de menace du stéréotype ».
S’il existe une différence dans la faculté à s’orienter dans l’espace entre les hommes et les femmes, elle semble minime et probablement davantage liée au stéréotype de genre qu’à une différence de capacité innée.