Le 29 mars, un communiqué de l’organisation Human Rights Watch dénonçait l’usage de mines antipersonnel par les forces russes dans la région de Kharkiv. Les mines en question, nommées POM-3, sont déployables à distance et sont équipées d’un capteur sismique : dès qu’une personne s’approche, elles éjectent une charge explosive dans les airs, projetant des fragments métalliques dans un rayon de 16 mètres. Mais selon les autorités russes, ces mines utiliseraient l’intelligence artificielle pour ne fonctionner qu’en présence de soldats, et non de civils. Les experts demeurent sceptiques sur ce point.
Selon l’ONG, ce sont des techniciens ukrainiens qui ont découvert ces mines antipersonnel alors qu’ils étaient en train de neutraliser des explosifs laissés sur les lieux. Un traité international adopté en 1997 (parfois appelé « Convention d’Ottawa ») interdit formellement l’usage, la production et le stockage de mines antipersonnel — un traité signé par l’Ukraine en 1999, mais auquel la Russie n’a jamais adhéré. C’est la première fois qu’une telle situation se produit : un pays n’ayant pas signé le traité faisant usage de ces armes destructrices sur le territoire d’un pays qui les interdit.
Selon les spécificités de ces mines récemment développées, elles sont déployables à distance, par voie terrestre (via des lance-roquettes) ou aérienne — une fois lancées, un parachute permet de les orienter. Une fois arrivées au sol, elles s’y ancrent fermement au moyen de six « pieds » ; un capteur sismique enfoncé dans le sol permet de détecter toute présence à moins de 12 mètres. Elles seraient en outre équipées d’un dispositif d’autodestruction, qui peut s’activer sous 8 ou 24 heures. La Russie affirme qu’elles sont capables de faire la distinction entre les soldats et les civils et qu’elles seraient donc conformes aux exigences de la Convention de Genève.
L’IA trop souvent utilisée pour légitimer l’usage de certaines armes
Le capteur sismique serait en effet équipé d’une intelligence artificielle capable de distinguer les humains des animaux ou de tout autre objet en mouvement. Sergey Bachurin, chef du bureau d’études qui a produit les POM-3, a déclaré en 2017 dans une interview que ces mines étaient suffisamment sélectives pour faire la différence entre la démarche d’un civil et celle d’un soldat. Cette prétendue capacité suscite néanmoins quelques doutes. « Ces armes ne font pas la différence entre les combattants et les civils et laissent un héritage mortel pour les années à venir », dénonce Steve Goose, directeur de la division Armes de Human Rights Watch.
Arthur Holland Micheln, spécialiste des technologies militaires émergentes et chercheur principal au Carnegie Council for Ethics in International Affairs à New York, émet lui aussi quelques réserves. Selon lui, ce type de systèmes « intelligents » ne s’avèrent pas si efficaces sur le terrain, et échouent face à des contextes souvent trop complexes.
Le spécialiste rappelle par ailleurs que l’IA est généralement incorporée aux armes pour augmenter la vitesse des opérations. Mais il déplore qu’elle soit aujourd’hui trop souvent présentée aussi comme un moyen de réduire les dommages collatéraux — et donc de légitimer leur usage. Alors qu’en pratique, la technologie est sur ce point loin d’être infaillible.
Des mines qui vont à l’encontre de la Convention en vigueur
La Campagne internationale pour l’interdiction des mines terrestres et la Coalition contre les armes à sous-munitions (ICBL-CMC) précisent dans un communiqué que la Russie a produit au moins 10 types de mines terrestres antipersonnel depuis 1992, y compris les mines POM-3 déployées par lance-roquettes en Ukraine. La Russie n’a jamais signé la Convention d’Ottawa, qui compte à ce jour 131 signataires et 164 parties — la Chine, l’Inde, la République de Corée, le Pakistan et les États-Unis font eux aussi partie des 34 pays qui n’ont jamais adhéré au traité.
En revanche, la Russie compte parmi les États partis de la Convention sur l’interdiction ou la limitation de l’emploi de certaines armes classiques qui peuvent être considérées comme produisant des effets traumatiques excessifs ou comme frappant sans discrimination — entrée en vigueur en 1983. Ce texte inclut le Protocole II sur l’interdiction ou la limitation de l’emploi des mines, pièges et autres dispositifs : ce dernier impose notamment que les mines (ou armes apparentées) soient équipées d’un système d’autodestruction ou d’autodésactivation et qu’elles soient détectables.
Plus précisément, le dispositif d’autodestruction doit garantir que 90% des mines déployées soient détruites dans les 30 jours. Marc Hiznay, directeur associé de la division Armes de Human Rights Watch, a toutefois déclaré au New Scientist qu’il doutait que les mines POM-3 répondent à ces exigences. Des photos obtenues par l’ONG suggèrent en effet que plusieurs mines n’ont pas été déployées correctement, leur système d’autodestruction n’a donc sans doute pas été activé. « Je m’intéresse au type de source d’énergie utilisée et au nombre de redondances qui y sont intégrées », a-t-il déclaré — des informations qui n’ont pas été communiquées par la Russie.
Rappelons que depuis qu’elle a envahi l’Ukraine, la Russie a déjà été pointée du doigt pour avoir utilisé des bombes à fragmentation et des armes thermobariques. Le site russe Top War affirme quant à lui que la mine POM-3 « est entièrement conforme aux exigences de la Convention de Genève » et accuse l’Ukraine d’avoir elle-même miné diverses zones du Donbass, faisant passer ses accusations pour de l’hypocrisie.