La NASA a récemment confirmé l’existence de plus de 5000 planètes situées bien au-delà de notre système solaire. Cependant, nous savons très peu de choses sur ces milliers d’autres mondes, si ce n’est à quelle distance ils se trouvent et leur type (des planètes géantes gazeuses, des géantes de glace, des super-Terres, etc.). Les télescopes existants ne permettent pas d’avoir une image détaillée de ces planètes lointaines. Mais des astrophysiciens de l’Université de Stanford proposent une nouvelle technique d’imagerie qui pourrait être beaucoup plus précise que les technologies actuelles.
La plupart des exoplanètes sont détectées via des méthodes dites indirectes, car la lumière émise par leur étoile éclipse généralement leur propre lumière. Ainsi, les astronomes utilisent fréquemment la méthode des vitesses radiales, qui repose sur le fait que les exoplanètes exercent une force gravitationnelle sur leur étoile, provoquant une légère oscillation de celle-ci autour de sa position — ce qui entraîne des modifications au niveau des longueurs d’onde de la lumière qu’elle émet. La méthode des transits consiste quant à elle à étudier la variation périodique de luminosité d’une étoile, qui diminue lorsqu’une planète passe devant (entre l’étoile et le point d’observation).
Les chercheurs exploitent également l’effet de microlentille gravitationnelle, qui se produit lorsque le champ gravitationnel d’une étoile déforme l’espace-temps environnant, ce qui dévie la lumière issue d’une étoile distante située en arrière-plan (tout comme une lentille optique). Mais cet effet n’est possible que lorsque les étoiles sont alignées par rapport à l’observateur. Alexander Madurowicz et Bruce Macintosh, chercheurs à l’Institut Kavli pour l’astrophysique des particules et la cosmologie de l’Université de Stanford, se sont inspirés de cet effet de lentille gravitationnelle pour imaginer un nouveau type de télescope extrêmement puissant.
Une toute nouvelle fenêtre d’observation
Les deux chercheurs pensent qu’il est possible de manipuler ce phénomène pour imager des objets très éloignés. Concrètement, ils estiment que l’on pourrait concevoir un télescope capable d’exploiter le champ gravitationnel du Soleil pour amplifier la lumière d’une exoplanète lointaine ; ceci requiert d’aligner ledit télescope, le Soleil et l’exoplanète (avec le Soleil au milieu). « Nous voulons prendre des photos de planètes qui orbitent autour d’autres étoiles qui soient aussi bonnes que les photos que nous pouvons faire des planètes de notre propre système solaire », a déclaré Bruce Macintosh dans un communiqué.
L’effet de lentille gravitationnelle a été observé pour la première fois en 1919 lors d’une éclipse solaire : alors que la Lune cachait momentanément le Soleil, les scientifiques ont remarqué que des étoiles proches du Soleil apparaissaient décalées par rapport à leur position réelle. Il s’agissait de la première preuve montrant l’effet de la gravité sur le trajet de la lumière. Ce n’est qu’en 2020 que cette technique d’imagerie a réellement été explorée : dans un article publié dans la revue Physical Review D, Slava G. Turyshev et Viktor T. Toth ont décrit la mise en œuvre d’un télescope spatial capable d’exploiter la lentille gravitationnelle solaire.
« [Cette lentille] offre une amplification de la luminosité jusqu’à un facteur d’environ 1×1011 et une résolution angulaire extrême (d’environ 1×10-10 arcsec). En tant que telle, elle offre des capacités d’observation extraordinaires pour l’imagerie directe à haute résolution », expliquait Turyshev à l’époque. Cette approche supposait d’équiper le télescope de fusées pour lui permettre d’effectuer un balayage des rayons lumineux d’une planète afin d’en reconstruire une image claire ; mais cette méthode nécessiterait trop de carburant et de temps.
Alexander Madurowicz s’est néanmoins inspiré de ces travaux pour mettre au point une nouvelle technique permettant d’imager une planète à partir d’une seule image prise en pointant le télescope vers le Soleil. Concrètement, sa méthode consiste à capturer l’anneau de lumière généré autour du Soleil par l’exoplanète (appelé anneau d’Einstein), puis de lui appliquer un algorithme inversant la flexion des rayons lumineux générée par la lentille afin d’obtenir l’image de la planète.
Un concept limité par nos capacités de voyage dans l’espace
« Avec cette technologie, nous espérons prendre une photo d’une planète située à 100 années-lumière qui aura le même impact que la photo de la Terre prise par Apollo 8 », précise Macintosh. Avec les méthodes d’imagerie actuelles, il faudrait un télescope 20 fois plus large que la Terre pour atteindre cette résolution !
Comme preuve de concept, Madurowicz a utilisé des images de notre propre planète prises par le satellite Deep Space Climate Observatory de la NASA, situé au point de Lagrange L1, entre la Terre et le Soleil. Grâce à une modélisation informatique, il a tout d’abord généré un aperçu de la Terre vue à travers la lentille gravitationnelle solaire. Puis, il a reconstitué une image de notre planète en appliquant son algorithme sur cet aperçu.
Bien que la méthode soit efficace, elle nécessiterait de positionner un télescope bien au-delà de notre système solaire, au moins 14 fois plus loin du Soleil que Pluton ! Malheureusement, nous n’avons encore jamais envoyé de vaisseau aussi loin. Ainsi, les deux scientifiques estiment que cette technologie ne sera probablement pas déployée avant au moins 50 ans, voire plus. Sa mise en œuvre nécessite avant tout de disposer d’engins spatiaux plus rapides, car à l’heure actuelle, il faudrait une centaine d’années pour emmener le télescope à la position optimale.
Le concept mérite toutefois d’être plus largement exploré, car il permettrait d’en apprendre beaucoup plus sur les autres planètes : de la dynamique des atmosphères à certaines caractéristiques de surface (en particulier la présence d’océans), en passant par la distribution des nuages. Pour les chercheurs, ce serait une méthode idéale pour rechercher d’autres formes de vie. « En prenant une photo d’une autre planète, vous pourriez la regarder et éventuellement voir des taches vertes qui sont des forêts et des taches bleues qui sont des océans ; avec cela, il serait difficile de soutenir qu’elle n’abrite pas de vie », conclut Macintosh.