Souvent pointé du doigt pour ses émissions de gaz à effet de serre, le secteur de l’aviation veut s’affranchir des énergies fossiles en investissant dans les « carburants verts ». Parmi ces sociétés désireuses de transition énergétique, l’Australien Aviation H2 compte convertir, d’ici l’année prochaine, ses carburéacteurs Jet-A standard en des versions à l’ammoniac vert, afin d’assainir ses vols commerciaux. Habituellement utilisé dans l’agriculture, ce produit serait notamment plus abondant industriellement et naturellement, mais aussi plus facile et moins coûteux à convertir en énergie que d’autres carburants « décarbonés » tels que l’hydrogène gazeux ou liquide.
Bien que loin derrière les voitures, le secteur aéronautique fait partie des plus grands émetteurs de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Un vol de Paris à New York à bord d’un Airbus A380 par exemple, consomme près de 111 000 litres de kérosène et génère 88 tonnes de CO2. Or, on enregistre plus de 30 millions de vols par an dans le monde, soit environ un vol par seconde.
Pour contribuer à la lutte contre le changement climatique, les sociétés aéronautiques cherchent depuis quelques années à réduire leur dépendance des carburants fossiles. L’hydrogène fait partie des alternatives les plus adoptées pour remplacer ces carburants. Cependant, l’hydrogène nécessite beaucoup d’investissements pour être exploité, car étant très léger, il doit être stocké en très grandes quantités pour pouvoir produire assez d’énergie pour alimenter des moteurs d’avions. Les réservoirs de stockage de carburant doivent donc être convertis en versions beaucoup plus grandes, pour pouvoir contenir l’hydrogène nécessaire. « L’hydrogène gazeux est très léger pour l’énergie qu’il contient, et l’hydrogène liquide est encore plus léger, mais les réservoirs sont grands et lourds », explique le directeur d’Aviation H2, Christof Mayer.
L’ammoniac pourrait alors être une source d’hydrogène, ou inversement, l’hydrogène pourrait être mélangé à de l’azote pour produire de l’ammoniac : dans les deux cas, le transport et le stockage seraient plus faciles, en intégrant l’ammoniac dans le cycle de production.
D’un autre côté, l’ammoniac est le deuxième composé chimique le plus produit au monde, avec plus de 160 millions de tonnes par an. De plus, de nombreuses sources potentielles et naturelles existent sur Terre, comme le fumier, le purin ou les eaux usées domestiques. Des gisements de sels d’ammoniac seraient également présents dans les couches terrestres profondes, ainsi que dans certaines roches et matières organiques fossilisées.
Aviation H2 considère ainsi cette abondante ressource comme vecteur énergique prometteur et aisément exploitable. Bien que la société reste apparemment ouverte à l’utilisation de l’hydrogène, elle précise qu’elle va « simplement utiliser l’ammoniac pour l’instant. C’est la conversion la plus simple, et cela en fera intrinsèquement le plus fiable, ce qui en soi le rend intrinsèquement le plus sûr [des deux] », explique Christof Mayer. Pour réduire encore les répercussions possibles sur l’environnement, la société australienne compte d’ailleurs utiliser de l’ammoniac vert, produit par le biais de ressources renouvelables.
Une solution moins coûteuse que l’hydrogène liquide ou gazeux
Pour alimenter les moteurs de ses avions, Aviation H2 compte utiliser la combustion de l’ammoniac. Les moteurs ordinaires seront modifiés pour pouvoir fonctionner à l’ammoniac et ainsi éliminer toute émission de CO2. « Ses principaux avantages incluent une densité d’hydrogène gravimétrique et volumétrique élevée qui le rend plus léger et plus facile à transporter, tout en offrant un taux de conversion d’énergie plus élevé », explique dans un communiqué Helmut Mayer, co-directeur d’Aviation H2. Cette opération serait ainsi beaucoup plus rapide et moins coûteuse que la conversion d’une batterie fonctionnant à l’hydrogène.
« Nous devons modifier le système de stockage de carburant en quelque chose qui ressemble fondamentalement à un réservoir de GPL », explique Christof Mayer. Les nouveaux éléments à développer sont donc le stockage de carburant, le moteur lui-même et son système de contrôle, d’après l’expert, mais la conception de base du moteur resterait plus ou moins inchangée.
Risques pour l’environnement
Malgré l’objectif de la société de concevoir des avions moins polluants, les moteurs alimentés à l’ammoniac peuvent comporter des risques non négligeables pour l’environnement. Lors de la combustion de l’ammoniac, l’hydrogène qui en découle peut en effet se lier à l’oxygène atmosphérique pour former de l’eau. Une partie de l’azote s’oxyde également par combustion pour donner des oxydes d’azote, nocifs pour l’environnement. Ce composé peut notamment contribuer à l’acidification de l’environnement et à la formation d’ozone troposphérique. Les particules fines d’oxyde d’azote peuvent ainsi avoir des retombées néfastes sur la végétation et les écosystèmes qu’elle abrite.
Mais Christof Mayer assure contrôler le procédé et pouvoir solutionner les impacts possibles de l’oxyde d’azote. « Nous pouvons contrôler ceux-ci par des procédés spéciaux. Nous ne nous contentons pas d’injecter l’ammoniac et de le brûler. Il y a certaines choses que nous devons faire et certains contrôles que nous devons mettre en place à l’intérieur du système de gestion du carburant », assure-t-il.
Vers mi-2023, la société compte tester ses nouveaux moteurs en vol avec un petit avion neuf places à réaction, le Falcon 50 de Dassault. Ce premier avion aura une autonomie d’une heure, avec la même force de poussée motrice et les mêmes caractéristiques de performance que les réacteurs Jet-A classiques.