Le poulet (Gallus gallus domesticus) est l’animal domestique le plus répandu sur la planète, fournissant des quantités croissantes de viande et d’œufs. Il est alors normal de supposer qu’ils aient été domestiqués principalement comme source de nourriture. Cependant, peu de preuves étayent cette hypothèse, et malgré son importance économique et culturelle mondiale, l’histoire ancienne du poulet est mal comprise. De nouvelles études éclairent avec plus de précision les circonstances et le moment de la domestication du poulet, sa propagation à travers l’Asie jusqu’à l’Ouest, et révèlent l’évolution de l’interaction entre l’Homme et ce dernier, au cours des 3500 dernières années, passant du statut d’animal vénéré à celui d’animal pour la consommation.
Le poulet moderne n’est pas considéré comme une espèce particulièrement charismatique, même s’il fait encore référence à la Gaule et que le coq trône en emblème lors de cérémonies en France, ou au sommet de bâtiments comme Notre-Dame de Paris, avant l’incendie. La France élève chaque année 500 millions de poulets de chair et 47 millions de poules pondeuses, chaque Français consommant 26 kilogrammes de poulet par an. Cet animal est devenu l’oiseau le plus répandu dans le monde, avec 22,7 milliards de têtes en 2018. En 2016, sur les 70 milliards d’animaux terrestres abattus pour nous nourrir, 66 milliards étaient des poulets, selon la revue The Royal Society.
Malgré cette importance, le moment et les circonstances de leur domestication ainsi que de leur dispersion ultérieure restent à la fois obscurs et controversés. Ces incertitudes sont principalement dues à la rareté des vestiges archéologiques, et plus précisément aux biais d’excavation et de récupération, à l’identification de la faune et à la datation. Par exemple, les fouilles qui n’utilisent pas systématiquement le tamisage fin sont peu susceptibles de récupérer les os de poulet. Sans compter que lorsque des restes d’oiseaux sont récupérés, une identification fiable n’est pas toujours possible. En effet, les os de poulet sont difficiles à distinguer d’autres espèces galliformes apparentées.
C’est pourquoi une équipe internationale de chercheurs a voulu combler les zones manquantes dans l’histoire de la domestication du poulet et de sa dispersion à travers le monde. Les deux études, publiées dans les revues Antiquity et The Proceedings of the National Academy of Sciences USA, ont été menées par des universitaires d’Exeter, Munich, Cardiff, Oxford, Bournemouth, Toulouse, et d’universités et instituts en Allemagne, France et Argentine.
Une domestication plus récente qu’on ne le pensait
Des études antérieures ont affirmé que les poulets étaient domestiqués il y a plus de 10 000 ans en Chine, en Asie du Sud-Est et même en Inde ; et aurait été présents en Europe depuis plus de 7000 ans. Mais ces données sont controversées et ne font pas l’unanimité dans le monde scientifique. Afin d’établir un cadre spatial et temporel robuste pour leurs origines et leurs dispersions, l’équipe internationale a, dans un premier temps, réévalué les restes de poulets trouvés dans plus de 600 sites dans 89 pays. Elle a examiné les squelettes, le lieu de sépulture et les archives historiques concernant les sociétés et les cultures où les ossements ont été trouvés. Dans un second temps, les chercheurs ont utilisé la datation au radiocarbone pour établir l’âge de 23 « supposés » premiers poulets trouvés dans l’ouest de l’Eurasie et le nord-ouest de l’Afrique.
Les os les plus anciens d’un poulet domestique ont été trouvés à Ban Non Wat, dans le centre de la Thaïlande, près d’une sépulture humaine, et datent de 1650 à 1250 av. J.-C. Les auteurs font remarquer que les poulets n’ont pas été domestiqués dans le sous-continent indien et ne sont arrivés en Chine centrale, en Asie du Sud ou en Mésopotamie qu’à la fin du deuxième millénaire avant notre ère, en Éthiopie et en Europe méditerranéenne que vers 800 avant notre ère. Puis, après leur arrivée dans la région méditerranéenne, il a fallu près de 1 000 ans de plus aux poulets pour s’établir dans les climats plus froids d’Écosse, d’Irlande, de Scandinavie et d’Islande.
Le Dr Ophélie Lebrasseur, du CNRS/Université Toulouse Paul Sabatier et de l’Instituto Nacional de Antropología y Pensamiento Latinoamericano, déclare dans un communiqué : « Le fait que les poulets soient si omniprésents et populaires aujourd’hui, et pourtant domestiqués relativement récemment est surprenant. Notre recherche met en évidence l’importance de comparaisons ostéologiques solides, d’une datation stratigraphique sécurisée et de la mise en place des découvertes précoces dans leur contexte culturel et environnemental plus large ».
Le riz, moteur de la domestication du poulet, entre vénération et alimentation
Par suite, pour étudier les circonstances de leur domestication initiale, les auteurs ont corrélé la propagation temporelle de la culture du riz et du millet avec la première apparition de poulets dans l’aire de répartition des espèces de sauvagine rouge (Gallus gallus) — ancêtre du poulet domestique. Les données mettent en évidence que les pratiques agricoles axées sur la production et le stockage de céréales de base ont servi à attirer la sauvagine rouge arboricole dans les sociétés humaines.
Effectivement, la riziculture sèche est la force motrice derrière la domestication du poulet, permettant une relation plus étroite entre les hommes et les oiseaux de la jungle. Ce processus était en cours vers 1500 avant J.- C., dans la péninsule d’Asie du Sud-Est. La recherche suggère que les poulets ont ensuite été transportés d’abord à travers l’Asie, puis à travers la Méditerranée le long des routes utilisées par les premiers commerçants maritimes grecs, étrusques et phéniciens.
Le professeur Joris Peters, du LMU Munich et de la Collection bavaroise de paléoanatomie, souligne : « Avec leur régime alimentaire global hautement adaptable mais essentiellement à base de céréales, les routes maritimes ont joué un rôle particulièrement important dans la propagation des poulets vers l’Asie, l’Océanie, l’Afrique et l’Europe ».
Pendant l’âge du fer en Europe, les poulets étaient vénérés et généralement non considérés comme de la nourriture. Les études mettent en avant que plusieurs des premiers poulets sont enterrés seuls et non abattus, aucune trace de consommation humaine n’a été relevée. De plus, les animaux étaient bien souvent âgés, présentant de longs éperons pour les coqs. Les chercheurs ont même découvert un spécimen avec une fracture de la patte bien guérie, suggérant des soins humains. Par ailleurs, beaucoup sont retrouvés enterrés avec leurs propriétaires, expliquent les auteurs, les hommes avec des coqs et les femmes avec des poules, en Grande-Bretagne, au cours de la fin de l’âge du fer et au début de la période romaine.
Les poulets peuvent avoir été inclus dans les tombes humaines afin de « conduire les âmes humaines vers l’au-delà ». À d’autres occasions, la présence de poulets dans les tombes représente clairement une offrande de nourriture, une pratique qui est devenue plus courante en Grande-Bretagne à l’époque romaine. C’est ainsi que l’Empire romain a contribué à populariser les poulets et les œufs comme nourriture, principalement dans les sites urbains et militaires.
De manière similaire, la datation au radiocarbone a révélé un décalage constant entre l’introduction des poulets et leur consommation par les humains, suggérant que ces animaux étaient initialement considérés comme exotiques, en particulier compte tenu de la taille limitée de leur population à l’époque et du fait qu’ils étaient appréciés pour leurs plumes, leurs couleurs. Cette manière d’estimer le poulet, au début de son introduction, pourrait expliquer leur représentation sur les pièces de monnaie de la fin de l’âge du fer — artefacts de pouvoir — récupérées dans le sud de la Grande-Bretagne et le nord de la France. Sans compter qu’ils se sont beaucoup retrouvés dans l’art, que ce soit sur des poteries ou des tableaux.
Finalement, ils sont reconnus seulement plusieurs siècles plus tard comme une source de « nourriture ». De nos jours, il ne reste que quatre espèces primitives présentes à l’état sauvage, chacune ayant une aire de répartition bien définie en Asie : le coq doré, le coq de Lafayette, le coq de Sonnerat et le coq vert de Java.
Le professeur Greger Larson, de l’Université d’Oxford, conclut : « Cette réévaluation complète des poulets démontre d’abord à quel point notre compréhension de l’époque et du lieu de la domestication des poulets était erronée. Et encore plus excitant, nous montrons comment l’arrivée de l’agriculture de riz sec a agi comme un catalyseur à la fois pour le processus de domestication du poulet et sa dispersion mondiale ».