Les pôles se réchauffent bien plus vite que la moyenne mondiale, induisant des vagues de chaleur sans précédent et la fonte accélérée des glaciers. Savoir comment ralentir le réchauffement climatique est devenu la quête de beaucoup de chercheurs. Récemment, certains d’entre eux estiment que les injections d’aérosols (dioxyde de soufre) pour dévier une partie de l’énergie solaire, à très haute altitude, pourraient être efficaces afin de refroidir les pôles. Mais une telle intervention climatique s’accompagne d’une augmentation substantielle des coûts et des risques pour la sécurité mondiale.
L’injection d’aérosols stratosphériques est une intervention climatique prospective qui viserait à réduire les températures de surface moyennes mondiales en détournant de la Terre une très petite fraction de la lumière solaire entrante. Cette injection est une intervention climatique controversée et non testée qui pourrait entraîner des impacts indésirables, et n’est pas proposée comme substitut à la réduction des émissions ou à l’adaptation.
Cependant, on sait depuis longtemps que des injections d’aérosols similaires provenant de grandes éruptions volcaniques réduisent considérablement les températures de surface, même à des distances éloignées de la source, comme ce fut le cas après l’éruption du mont Pinatubo en 1991. Il existe également une confiance croissante dans le fait que le déploiement de ces injections serait à la fois faisable sur le plan aéronautique et extraordinairement bon marché, par rapport à d’autres mesures prospectives permettant de lutter contre le changement climatique ou ses impacts.
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Néanmoins, il existe des limites pratiques à la hauteur à laquelle les aérosols peuvent être déployés dans l’atmosphère. Récemment, une équipe de chercheurs menée par Wake Smith de l’Université de Yale, a évalué la sécurité et la rentabilité du déploiement à une altitude de 25 km, qui serait la plus efficace, mais aussi l’altitude pour laquelle les coûts et les risques sont accrus. Leur étude est publiée dans la revue Environmental Research Communications.
Des conclusions après une série d’études d’ampleur
En effet, suite à une étude de 2018 qui a clarifié les technologies grâce auxquelles il serait possible d’entreprendre la géo-ingénierie solaire, ce nouveau travail répond directement à une question posée par l’Académie nationale des sciences, de l’ingénierie et de la médecine des États-Unis dans une étude historique de mars 2021, qui a reconnu la nécessité de recherches supplémentaires sur la viabilité du dépôt d’aérosols bien au-dessus de 20 km d’altitude. En effet, des études antérieures ont noté que le déploiement d’aérosols stratosphériques à une altitude de 25 km serait plus efficace qu’à 20 km, ce qui amène les modélisateurs du climat à intégrer couramment de tels déploiements élevés dans leurs études.
Selon un article publié sur IOP Publishing, annexe à la présente recherche, Wake Smith, l’auteur principal de l’étude, déclare : « Il y a un plafond dans le ciel au-dessus duquel les avions traditionnels ne peuvent pas fonctionner, et 25 km est une altitude bien supérieure à cette limite ». Il faut savoir que les avions de ligne et les jets militaires naviguent régulièrement à près de 10 km d’altitude, alors que 20 km est le domaine des avions espions et des drones de haut vol. On comprend aisément que planifier des centaines de milliers de vols annuels de déploiement de géo-ingénierie solaire à des altitudes inaccessibles même aux avions espions d’élite doit passer outre de nombreux obstacles.
Dans le cadre du plan exposé dans leurs travaux, les auteurs expliquent qu’une flotte de 125 ravitailleurs aériens militaires libérerait un nuage de particules microscopiques de dioxyde de soufre à une altitude de 13 km et à des latitudes de 60 degrés nord et sud — à peu près entre Anchorage et la pointe sud de la Patagonie. Ces aérosols dériveraient lentement vers les pôles, ombrageant légèrement la surface en dessous.
Concrètement, les injections de particules (13 millions de tonnes nécessaires) seraient effectuées de façon saisonnière pendant les longues journées du printemps local et du début de l’été. La même flotte de jets pourrait desservir les deux hémisphères.
Néanmoins, les ravitailleurs militaires préexistants tels que le KC-135 vieillissant et l’A330 MMRT n’ont pas assez de charge utile aux altitudes requises, alors que les ravitailleurs à haute altitude nouvellement conçus s’avéreraient beaucoup plus efficaces. Les auteurs de l’étude estiment que la flotte d’environ 125 avions de ce type pourrait transporter une charge utile suffisante pour refroidir les régions vers les pôles de 2 °C par an, ce qui les ramènerait près de leurs températures moyennes préindustrielles.
Les coûts sont estimés à 11 milliards de dollars par an, soit moins d’un tiers du coût du refroidissement de la planète entière de la même ampleur de 2 °C et une infime fraction du coût pour atteindre zéro émission nette.
Wake Smith avertit que le plan traiterait un symptôme important du changement climatique, mais pas la cause. Il déclare dans un complément à l’article d’origine : « C’est de l’aspirine, pas de la pénicilline. Ce n’est pas un substitut à la décarbonisation […]. Notre conclusion devrait modifier la façon dont les modèles d’intervention climatique sont exécutés à l’échelle mondiale et montre que les limites pratiques doivent être mises en balance avec l’efficacité radiative dans la conception des programmes de géo-ingénierie solaire ».
Controverse climatique
Ce plan fait débat chez les scientifiques. En effet, dans une interview donnée à SkyNews, l’auteur principal a estimé que pour entraîner un véritable ralentissement de la fonte des glaces et du réchauffement climatique, il faudrait environ 175 000 vols d’avions et de drones espions de haut vol chaque année.
Néanmoins, ces jets libéreraient eux-mêmes de grandes quantités de dioxyde de carbone dans l’atmosphère, amenant les gaz à effets de serre à des altitudes où leur présence est la plus nocive pour le climat. Wake Smith souligne : « Il y a une appréhension répandue et raisonnable à propos du déploiement d’aérosols pour refroidir la planète, mais si l’équation risque/bénéfice devait porter ses fruits n’importe où, ce serait aux pôles ».
Cependant, le refroidissement aux pôles ne fournirait une protection directe que pour une petite fraction de la planète, bien que les latitudes moyennes devraient également connaître une certaine réduction de la température.
Malgré ces oppositions, les auteurs affirment qu’étant donné que moins de 1% de la population humaine mondiale vit dans les zones de déploiement ciblées, un déploiement polaire entraînerait beaucoup moins de risques directs pour la majeure partie de l’humanité qu’un programme mondial. En d’autres termes, les avantages mondiaux dépassent les inconvénients locaux. Wake Smith conclut : « Toute rotation intentionnelle du thermostat global serait d’intérêt commun pour toute l’humanité ».
Finalement, l’étude actuelle n’est qu’une étape préliminaire vers la compréhension des coûts, des avantages et des risques d’entreprendre une intervention climatique aux hautes latitudes. Cela donne une raison supplémentaire de croire que de tels outils pourraient s’avérer utiles à la fois pour préserver la cryosphère près des pôles et ralentir l’élévation du niveau de la mer à l’échelle mondiale.