Les forêts de mangroves, constituées de nombreux « arbres-échasses » poussant entre terre et mer, forment un biome unique qui a toujours fasciné les scientifiques. En vue de leurs nombreux avantages socio-environnementaux et leurs rôles écosystémiques majeurs, de nombreuses recherches se concentrent sur les meilleurs moyens de les préserver. Dans ce sens, des chercheurs australiens ont découvert que la densité et l’étendue des mangroves augmentent ou diminuent selon le cycle nodal lunaire (cycle d’oscillation de la Lune), influençant le cycle des marées à long terme. Il s’agit d’un important indice sur la conservation de ces forêts, pour l’établissement par exemple d’un calendrier de reforestation efficace.
Se développant sur les côtes et particulièrement dans les deltas fluviaux, les forêts de mangroves forment de précieux habitats ou lieux de transition pour un très grand nombre d’espèces. Elles peuvent par exemple abriter à la fois des mammifères marins (comme le lamantin ou Trichechus manatus) et servir de pouponnières à de petits poissons et crustacés, qui migrent ensuite vers la mer en grandissant.
Les mangroves jouent de ce fait un rôle écosystémique majeur à la fois pour les populations vivant des ressources côtières et la régulation de nombreux facteurs environnementaux (barrières anti-tempêtes, filtration d’eau douce, protection contre l’érosion, etc.). D’un point de vue économique, avec une exploitation responsable, l’élevage de crabes (Scylla serrata) peut rapporter jusqu’à 4 tonnes par an par kilomètre carré de mangroves.
Arborez un message climatique percutant 🌍
Par ailleurs, bien que couvrant exclusivement les régions tropicales — sur une superficie d’environ 137 760 kilomètres carrés répartie sur 118 pays, la capacité de séquestration de carbone des mangroves serait quatre fois plus élevée que celle des forêts tropicales. Dans les années 2000, les mangroves auraient séquestré près de 6,4 milliards de tonnes métriques de carbone. Cependant, ces extraordinaires forêts immergées font face depuis des décennies à de nombreuses menaces, dont la majorité serait d’origine anthropique. Entre 2000 et 2015, 122 millions de tonnes de carbone auraient été libérées dans l’atmosphère, à cause de la perte des mangroves.
La croissance des mangroves dépendant fortement de l’eau (eau de mer et eau douce), les chercheurs de la nouvelle étude, détaillée dans Science Advances, ont étudié la façon selon laquelle les marées pourraient les influencer. Issus de l’Université Macquarie de Sydney (en Australie), ils ont rassemblé plusieurs décennies de données satellites et remarqué que les mangroves avaient tendance à croitre ou à diminuer (en termes d’étendue et de couverture de la canopée) selon un rythme régulier. De façon étonnante, ce rythme correspondait exactement au cycle nodal lunaire. Cette découverte fournit un précieux indice sur la planification des calendriers de reforestation ou de restauration écologique.
Un facteur de croissance plus important que l’effet El Niño
Pour suivre l’évolution des zones de mangroves sur plusieurs décennies, l’équipe de recherche s’est basée sur les données Landsat de la NASA et de l’US Geological Survey, de 1987 à 2020. Elle s’est également basée sur les variations de taille et de densité observées au niveau des mangroves australiennes. Comme les marées contribuent à apporter l’eau (salée) et les nutriments nécessaires à ces arbres, les chercheurs se sont automatiquement orientés vers le cycle nodal de la Lune, régulant les marées sur une longue période.
Sur un cycle de 18,6 années, l’orbite de la Lune oscille légèrement selon un angle de cinq degrés environ, par rapport à l’équateur de la Terre. Ce phénomène influence considérablement les marées, car lorsque l’orbite de la Lune est inclinée selon un angle minimal par rapport à l’équateur, les marées semi-diurnes (deux marées hautes et deux marées basses par jour) ont tendance à être plus importantes, ce qui signifie que sur beaucoup de zones côtières, la mer se retire ou s’élève beaucoup plus que d’habitude.
Confirmant leur hypothèse, les chercheurs australiens ont remarqué que les mangroves étaient plus grandes et plus denses lors des saisons de marées diurnes. Il semblerait que les arbres se soient naturellement adaptés pour grandir avec des marées hautes et plus importantes, avec des racines et des troncs plus hauts. D’après les experts, cet effet serait d’ailleurs plus important que d’autres facteurs climatiques de croissance, tels que l’effet El Niño. « Nous n’avions jamais vraiment saisi certains de ces moteurs à plus long terme de la dynamique de la végétation », estime Neil Saintilan, expert environnemental à l’Université Macquarie et auteur principal de l’étude.
À savoir que la survie de ces arbres dépend également de l’apport en eau douce. Malgré cette incroyable capacité d’adaptation, ces forêts sont tout de même menacées par le changement climatique. En effet, elles risquent de ne pas survivre dans de l’eau trop salée ou même de se noyer (en étant trop immergées) avec la hausse des niveaux des mers. Cette découverte découlera peut-être sur des stratégies plus efficaces pour leur conservation.