À l’aide du télescope spatial XMM-Newton de l’Agence spatiale européenne, des astronomes ont assisté à un phénomène inattendu : des éruptions successives de lumière provenant de trous noirs inactifs, dues à la destruction partielle d’étoiles passant à proximité, se répétant de manière périodique. Il est pourtant rare qu’une étoile survive à sa rencontre avec l’un de ces monstres cosmiques.
Un événement de rupture par effet de marée (ou TDE, pour tidal disruption event) se produit lorsqu’une étoile s’approche d’un trou noir et qu’elle est peu à peu happée par celui-ci : l’étoile est alors déchirée par d’intenses forces de marée et devient un disque de débris stellaires dont se nourrit le trou noir. Toutes sortes d’émissions (rayons X, UV, lumière optique et radio) peuvent être détectées au cours de ce processus — ce qui permet d’ailleurs de détecter la présence d’un trou noir, autrement invisible. Ces éruptions de lumière durent généralement quelques mois, soit le temps nécessaire pour que le trou noir absorbe complètement l’étoile, avant de s’éteindre définitivement.
C’est pourquoi Thomas Wevers, de l’Observatoire européen austral, et Zhu Liu, de l’Institut Max Planck de physique extraterrestre, en Allemagne, ont été surpris de détecter chacun un TDE générant une première éruption… suivie de plusieurs autres, légèrement plus faibles. Ces observations suggéraient que l’étoile en question avait survécu en partie à sa première rencontre avec le trou noir, et continuait à orbiter autour, générant de nouvelles explosions à chaque rapprochement — un phénomène que les astrophysiciens nomment « TDE partiel ».
Des émissions récurrentes, jusqu’à l’absorption complète de l’étoile
Dans un événement partiel de rupture par effet de marée, le noyau de haute densité de l’étoile reste intact, tandis que son enveloppe externe, de faible densité, est éliminée et alimente un épisode d’accrétion lumineux, expliquent Wevers et son équipe dans l’article présentant leur découverte.
Le premier événement dont il est question, appelé eRASSt J045650.3−203750, a été découvert par le télescope à rayons X eROSITA, à bord de la mission Spectrum-Roentgen-Gamma. Il se situe dans une galaxie inactive, à un décalage vers le rouge d’environ 0,077. Les observations réalisées par Liu et son équipe en 2021 et 2022 avec le XMM-Newton ont révélé que l’éruption d’origine était suivie d’explosions répétées environ tous les 223 jours. « Le trou noir a montré une atténuation inhabituellement drastique de la lumière des rayons X, par rapport au moment où il avait été découvert deux semaines auparavant par le télescope eROSITA », relate le chercheur.
Le second événement, nommé AT2018fyk, implique un trou noir de quelque 100 masses solaires ; il a été découvert en 2018 par le All-Sky Automated Survey for Supernovae, au cœur d’une galaxie à un redshift d’environ 0,06 (située à quelque 900 millions d’années-lumière). Il a généré d’intenses émissions dans l’ultraviolet et les rayons X pendant au moins 500 jours, avant de s’éteindre soudainement.
En mai 2022, Wevers et ses collègues ont observé via le XMM-Newton la ré-émergence de ces composantes d’émission environ 1200 jours après leur première apparition. Alors qu’ils cherchaient une explication au phénomène, ils ont constaté que le modèle d’un TDE partiel pouvait reproduire les données observées.
Première détection d’éruptions répétées dans des galaxies inactives
« Nous proposons qu’un TDE partiel répété, où l’étoile partiellement perturbée est sur une orbite d’environ 1200 jours autour du trou noir supermassif et est périodiquement dépouillée de sa masse lors de chaque passage du péricentre, alimente sa courbe de lumière », résume l’équipe. Si ces conclusions sont exactes, un autre événement de forte atténuation devrait avoir lieu autour du jour 1800 (en août 2023), et un rallumage ultérieur autour du jour 2400 (en mars 2025), précisent les chercheurs.
Le fait que les éruptions se répètent si rapidement dans les deux cas fournit de précieuses informations sur ce type d’événement : « Ces nouvelles observations sont incroyablement intéressantes pour étudier l’influence des trous noirs supermassifs. […] Elles suggèrent que l’étoile perturbée est attirée sur une orbite proche après avoir été arrachée d’un système stellaire binaire par le trou noir supermassif central », explique William Alston, chercheur à l’ESA.
Depuis leur découverte dans les années 1990, près d’une centaine d’événements de rupture par effet de marée ont été observés. Mais c’est la première fois que des TDE partiels sont détectés dans des galaxies inactives ; ils proviennent de trous noirs qui restent habituellement sombres et silencieux, jusqu’à l’approche d’une étoile.
Ces deux événements seront suivis de près, en particulier lors de leurs futures éruptions lumineuses respectives, afin de confirmer les résultats. Il se peut également que les chercheurs n’observent rien lors de la prochaine rencontre prévue, ce qui signifiera que l’étoile a été complètement engloutie lors du précédent épisode.