Les Néandertaliens chassaient des éléphants deux fois plus grands que ceux d’aujourd’hui, selon une étude

Chaque animal pouvait ainsi nourrir 350 personnes pendant une semaine.

Néandertal preuves chasse éléphants géants
De grands groupes de Néandertaliens se rassemblaient pour chasser et manger des éléphants géants il y a plus de 125 000 ans. | Tom Bjorklund/Science
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Grâce à l’analyse d’ossements et de restes d’animaux datant de 125 000 ans, une équipe d’archéologues apporte aujourd’hui la preuve que les Néandertaliens étaient capables de chasser les éléphants à défenses droites (Palaeoloxodon antiquus), les plus grands mammifères terrestres du Pléistocène. Deux fois plus gros que les actuels éléphants d’Afrique, ils pouvaient mesurer jusqu’à 4,5 mètres de haut et peser près de 13 tonnes. Un seul de ces spécimens pouvait nourrir des centaines de personnes pendant une semaine !

En 2021, l’archéologue Sabine Gaudzinski-Windheuser, de l’Université Johannes Gutenberg de Mayence, a entamé des recherches sur les restes de dizaines d’éléphants qui avaient été excavés dans les années 1980 et 1990 sur le site de Neumark-Nord, une carrière de lignite près de la ville de Halle, en Allemagne. Un grand nombre de restes d’animaux (et de plantes) proviennent de cette carrière et offrent un bon aperçu d’un écosystème datant de 125 000 ans.

Mais les ossements d’éléphants trouvés sur les lieux, précédemment étudiés par des paléontologues italiens, ont beaucoup intrigué les spécialistes : ils provenaient de plus de 70 éléphants, principalement des mâles adultes. « Nous nous sommes demandé : qu’est-ce que diable font 70 éléphants là-bas ? », se souvient Lutz Kindler, archéozoologue au Centre de recherche archéologique de MONREPOS et co-auteur de l’étude.

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Des os marqués par la découpe et le prélèvement de la chair

Présents en Europe et en Asie occidentale il y a 800 000 à 100 000 ans, les éléphants à défenses droites étaient des animaux très impressionnants. Leur distribution spatio-temporelle chevauchait celle des hominidés d’Eurasie occidentale, tels que les Néandertaliens et les populations antérieures. La découverte des restes squelettiques de ces grands éléphants, trouvés non loin de restes d’outils en pierre, a conduit à diverses spéculations sur la nature de leurs interactions avec les humains : ceux-ci agissaient-ils comme des charognards, récupérant la chair sur les animaux morts naturellement, ou les chassaient-ils ?

examen fémur éléphant géant
Une chercheuse étudie un fémur d’éléphant à défenses droites vieux de 125 000 ans, découvert dans le nord de l’Allemagne. © Lutz Kindler/MONREPOS/AFP

En ré-examinant au microscope les quelque 3400 ossements d’éléphants collectés sur le site, Kindler et Gaudzinski-Windheuser ont identifié des entailles et des égratignures sur la quasi totalité d’entre eux — des marques qui avaient sans aucun doute été produites par des outils en pierre lors du dépeçage et de la découpe de l’animal. Leurs résultats, publiés dans Science Advances, prouvent pour la première fois que plusieurs générations d’hommes de Néandertal ont chassé en groupe ces immenses mammifères, sur une période de plus de 2000 ans.

traces outil os éléphants
Les os d’éléphants à défenses droites portaient des marques typiques d’activités de boucherie. © Lutz Kindler/MONREPOS/AFP

« Ils sont vraiment allés chercher chaque morceau de viande et de graisse », ajoute Wil Roebroeks, archéologue de l’Université de Leiden et co-auteur de l’étude. Les os ne présentaient en effet aucun signe du passage de charognards, comme des loups ou des hyènes, suggérant qu’il ne leur restait plus rien.

Si ces activités de chasse se sont principalement concentrées sur les éléphants mâles âgés, c’est parce que ces derniers menaient une vie essentiellement solitaire, sans être protégés par un troupeau, et constituaient de ce fait une cible plus facile, explique un communiqué de l’Université de Leiden. « Se concentrer sur les mâles adultes et âgés donnait aux chasseurs les rendements les plus élevés pour un risque nettement inférieur », résument les chercheurs.

La stratégie de chasse reposait essentiellement sur l’immobilisation des proies, par exemple en les repoussant vers des fosses ou des zones boueuses ; les chasseurs les achevaient ensuite à l’aide de lances en bois, expliquent-ils.

De quoi nourrir 350 personnes pendant une semaine !

Cette découverte apporte un nouvel éclairage sur la vie de nos ancêtres. « Ces résultats ont des implications importantes pour notre vision des stratégies de subsistance et éventuellement de l’organisation sociale des Néandertaliens du dernier interglaciaire », écrivent les chercheurs dans Science Advances. Le degré d’organisation requis pour dépecer et découper l’animal et la quantité de nourriture qu’il fournissait suggèrent en effet que les Néandertaliens formaient des groupes sociaux sans doute beaucoup plus importants qu’on ne le pensait jusqu’à présent.

Le rendement d’une telle chasse était en effet considérable : les chercheurs ont calculé qu’un éléphant mâle de dix tonnes — l’un des gabarits les plus « petits » trouvés dans la zone de l’étude — fournissait au moins 2500 portions quotidiennes de graisse et de viande, soit de quoi nourrir 350 personnes pendant une semaine, ou 100 personnes pendant un mois ! Le « traitement » complet d’un individu mâle adulte moyen, d’environ 10 tonnes, devait prendre un temps considérable : de 3 à 5 jours, si 25 personnes étaient impliquées dans le processus, estime l’équipe.

De ce fait, cet animal n’était évidemment pas chassé tous les jours. Compte tenu des quelque 300 ans au cours desquels les restes de 52 individus se sont accumulés sur le site, les chercheurs en déduisent qu’un tel éléphant était chassé tous les 5 à 6 ans environ. Les Néandertaliens ciblaient la plupart du temps des animaux bien plus petits (des daims, des gazelles ou des chevaux).

Ces quantités colossales de nourriture impliquaient soit un groupe important de consommateurs, soit la mise en œuvre de modes de conservation et de stockage « longue durée » de la viande. Jusqu’à présent, les spécialistes pensaient que les Néandertaliens vivaient en petits groupes très mobiles d’environ 20 individus au maximum ; mais cette étude suggère qu’ils étaient répartis en groupes beaucoup plus importants — du moins dans cette région. « Pourquoi abattriez-vous un éléphant entier si c’est pour gaspiller la moitié des portions ? », fait remarquer Kindler.

Source : S. Gaudzinski-Windheuser et al., Science Advances

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