Le dialogue secret des champignons : un échange de signaux électriques constant ? L’hypothèse, souvent avancée, se trouve aujourd’hui renforcée par de récentes découvertes d’une équipe de recherche japonaise. Ces dernières révèlent de signaux électriques étrangement similaires à des « conversations » émanant des champignons après une averse.
Le sol, peu considéré et donc souvent sous-estimé du point de vue écologique, est en réalité un réservoir insoupçonné de biodiversité. Il accueille en son sein pas moins de 25% de la biodiversité mondiale. Sa richesse se manifeste par une diversité biologique époustouflante : un seul gramme de sol peut abriter plus de 40 000 espèces distinctes.
Cette vie souterraine, qui se compose de microorganismes, de macrofaune et d’insectes, est la clé de divers processus biogéochimiques indispensables à la vie sur Terre. Parmi ces processus, on compte la décomposition de la matière organique, le maintien de la structure du sol, la séquestration du carbone, ou encore l’élimination de molécules toxiques.
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Les champignons représentent une part significative de cette biodiversité souterraine et jouent un rôle indispensable à l’équilibre écologique des forêts. La partie visible, celle qui peut être consommée, n’est en réalité que la partie émergée de l’iceberg, l’organe de reproduction du champignon. L’essentiel de son organisme, le mycélium, est enfoui sous la surface. Plus de 90% des plantes entretiennent des relations symbiotiques avec ces champignons, qui stimulent leur absorption de nutriments et d’eau en échange des glucides qu’elles produisent grâce à la photosynthèse.
La nouvelle étude, publiée dans la revue Science Direct, se penche sur le cas du laccaire bicolore (Laccaria bicolor), un champignon ectomycorhizien qui vit en symbiose avec les pins, les chênes et les bouleaux. Des recherches précédentes ont montré que cette espèce attire des collemboles (de petits arthropodes du sol) près des racines des arbres sur lesquels elle pousse dans un but précis : les tuer par le biais d’une toxine avant de partager les nutriments (azote, carbone) obtenus avec l’arbre hôte.
D’autres recherches ont suggéré que le mycélium des champignons forme un réseau étendu, semblable à un système racinaire, qui véhicule des signaux électriques. Ces signaux permettraient aux arbres de communiquer entre eux. Ils seraient également transmis entre les champignons, coordonnant ainsi certains comportements, tels que la croissance. Cependant, les études scientifiques corroborant ces hypothèses sont encore rares et les preuves existantes présentent des limites, car elles sont souvent restreintes à des environnements de laboratoire ou à des substrats artificiels, et donc rarement obtenues par des observations en milieu naturel.
Les champignons ectomycorhiziens sont d’excellents candidats pour ce type de recherche. Leurs hyphes — les filaments composant le mycélium et ressemblant à des racines — forment un réseau interconnecté, le réseau mycorhizien, qui relie les champignons entre eux et à leurs arbres hôtes en formant une sorte de gaine autour des racines. Ce réseau, connu pour sa capacité à faciliter la communication entre les arbres de vastes forêts, fait l’objet d’une nouvelle étude de l’Université de Tohoku, au Japon. Cette recherche offre un contexte d’étude en milieu naturel pour l’analyse des signaux électriques traversant ce réseau.
Une transmission d’informations directionnelle
Dans le cadre de l’étude, l’équipe de l’Université de Tohoku a installé des électrodes ultrasensibles sur un groupe de six champignons poussant au pied d’un chêne jolcham (Quercus serrata) et d’un charme à fleurs lâches (Carpinus laxiflora). Ces arbres vivent couramment en symbiose avec les champignons de l’espèce L. bicolor. Les chercheurs ont surveillé le potentiel électrique des champignons sur une période de deux jours, à cheval entre septembre et octobre 2021. Alors que la zone était ensoleillée et sèche pendant les 12 jours précédant l’expérience, elle a reçu près de 32 millimètres de précipitations le premier jour d’octobre, au passage d’un typhon.
Les résultats montrent que, en l’absence de pluie, les champignons émettaient peu de signaux électriques. Cependant, « le potentiel électrique a commencé à fluctuer après la pluie, dépassant parfois les 100 millivolts », indique dans un communiqué le coauteur principal de l’étude, Yu Fukasawa, professeur adjoint d’écologie microbienne forestière à l’Université de Tohoku. Cette fluctuation a été observée environ une à deux heures après la pluie. De plus, les signaux étaient particulièrement forts entre les champignons proches les uns des autres, indiquant une transmission directionnelle des informations.
Selon les chercheurs, cette variation des signaux électriques correspondait à celle des conditions environnementales, en particulier la température et l’humidité. Des études précédentes ont en effet montré que les potentiels électriques des champignons varient en réponse aux changements environnementaux. Ces signaux pourraient représenter une forme de communication nerveuse, dont la structure serait étonnamment proche de celle des signaux électriques traduisant la parole humaine. Une forme de langage composé d’une cinquantaine de mots a même été suggérée par les chercheurs de l’étude.
Il est donc possible que les variations et échanges d’activités électriques observés par les chercheurs japonais soient apparentés à une forme de « conversation » entre les champignons. « Nos résultats confirment la nécessité de poursuivre les études sur les potentiels électriques fongiques dans un véritable contexte écologique », conclut Fukasawa.