Si les plantes peuvent réagir aux vibrations sonores, ne pourraient-elles pas à leur tour émettre des sons pour communiquer leurs besoins ? Des chercheurs ont peut-être confirmé cette hypothèse en enregistrant les ultrasons de détresse émanant de plantes stressées : une manière unique de communiquer que nous n’avions jamais perçue jusqu’à présent.
Au cours des 10 dernières années, les recherches scientifiques ont révélé que l’intercommunication ne se limite plus au règne animal. Lorsqu’elles sont stressées ou ressentent un danger, les plantes peuvent en effet émettre des signaux d’alerte pour renforcer leur défense et celle de leurs voisines.
Ces signaux d’alerte se manifestent par des substances puissantes ou de la sève corrosive qu’elles produisent lorsqu’elles sont taillées. Les plantes peuvent ainsi s’adapter en groupe, changeant de couleur ou de forme, développant des épines irritantes par exemple, les empêchant de se faire toucher ou attaquer à nouveau, ou attirant des insectes susceptibles de les débarrasser de certains parasites.
Des études ont montré que les plantes peuvent également développer des systèmes de communication plus subtils. Elles peuvent, par exemple, diffuser des impulsions électriques à travers leurs réseaux racinaires pour signaler à leurs voisines la présence d’insectes nuisibles. Ces dernières se mettent alors à produire des sucs amers, rendant leurs feuilles immangeables pour les insectes.
Les plantes réagissent aux vibrations sonores
La réaction aux vibrations sonores fait partie des moyens d’adaptation évolutive que les plantes utilisent pour interagir de façon optimale avec leur environnement. Elles parviennent en effet à distinguer les sons émis par les abeilles ou d’autres pollinisateurs et les attirent en rendant leur nectar plus sucré lorsqu’ils sont à proximité. La question est maintenant de savoir si les plantes peuvent elles aussi émettre des sons pour signaler leurs besoins.
« Les plantes interagissent tout le temps avec les insectes et d’autres animaux, et nombre de ces organismes utilisent le son pour communiquer, il serait donc très sous-optimal pour les plantes de ne pas utiliser le son du tout », estime Lilach Hadany, biologiste de l’évolution et théoricien à l’Université de Tel Aviv et auteur principal de la nouvelle étude, parue dans la revue Cell. D’après l’expert, des sons que seuls les animaux peuvent percevoir se produisent très souvent dans un champ calme et pourraient être émis par les plantes.
Des vibrations ultrasonores ont déjà été enregistrées sur des plantes, mais cette nouvelle étude apporterait la première preuve indiquant que ces vibrations peuvent être en suspension dans l’air — autrement dit, qu’elles émettent des sons. Cette découverte renforce donc l’hypothèse selon laquelle les plantes émettent des sons destinés aux autres organismes vivants.
Des sons distincts selon la plante et la nature du stress
Pour étayer leur théorie, les chercheurs israéliens ont utilisé des microphones placés tout près de plants de tomates et de tabac sains mais stressés, placés dans une chambre acoustique insonorisée et dans une serre avec des bruits ambiants. Les plantes ont été stressées en arrêtant de les arroser pendant plusieurs jours ou en les taillant au niveau de la tige. Pour distinguer les sons émis par celles stressées de celles qui ne l’étaient pas, et pour déterminer de quelle sorte de stress il s’agissait, les chercheurs ont utilisé un algorithme d’apprentissage automatique.
Sans surprise, l’équipe a constaté que les plantes en état de stress ont émis beaucoup plus de sons — des sortes de cliquetis ressemblant à ceux des bulles qui éclatent — que celles laissées intactes. Les plantes en détresse ont notamment émis 30 à 50 cliquetis par heure, à des intervalles aléatoires. En revanche, « lorsque les tomates ne sont pas stressées du tout, elles sont très silencieuses », déclare Hadany.
Quand les chercheurs ont arrêté d’arroser les plantes, elles ont commencé à émettre des sons de détresse culminant après 5 jours sans eau. Les sons se sont ensuite progressivement arrêtés à mesure qu’elles se desséchaient complètement, tels des sons d’agonie. L’algorithme d’apprentissage automatique a indiqué que la fréquence des sons était différente selon la nature du stress : les chercheurs ont notamment pu distinguer les sons émis par les plantes lorsqu’elles sont déshydratées de ceux émis lorsqu’elles sont coupées. De plus, les bruits émis par les plants de tomates et de tabac différaient également. En réitérant l’expérience avec d’autres plantes, les chercheurs ont également constaté une différence notable dans les bruits émis par le maïs, le blé, les cactus et la vigne.
Bien que les mécanismes exacts expliquant ces bruits ne soient pas encore bien définis, les chercheurs estiment que la cavitation pourrait en être l’une des origines. Il s’agit d’un phénomène dû à la formation puis à l’éclatement de bulles d’air dans le système vasculaire des plantes, lorsqu’elles manquent d’eau.
Par ailleurs, les chercheurs estiment que l’existence de ces sons a d’importantes implications dans l’écologie évolutive des végétaux. « Il est possible que d’autres organismes aient évolué pour entendre et répondre à ces sons », suggère Hadany. Les ultrasons étaient en effet si aigus qu’il était impossible pour l’oreille humaine de les entendre sans microphone ultrasensible. À l’instar des impulsions électriques, les ultrasons pourraient aussi être utilisés par les plantes pour communiquer entre elles. La nouvelle étude indique d’ailleurs que leurs ultrasons se propagent sur un rayon de plus d’un mètre.
En prochaine étape, les chercheurs comptent identifier quelles espèces (végétales ou animales) sont capables de percevoir ces ultrasons et d’y réagir en retour. Les expériences seront également réalisées sur des plantes vivant en milieu naturel et exposées à d’autres sources de stress comme l’exposition aux UV et les températures extrêmes.
VIDÉO : Saviez-vous que les plantes communiquent entre elles ?