Bien que considérée comme étant géologiquement inerte, la Lune est régulièrement sujette à de subtils tremblements dus aux variations de température liées à son cycle jour-nuit. Ces vibrations se manifestent chaque jour, très précisément entre le moment où le Soleil est au zénith et lorsqu’il se couche. Cependant, une nouvelle analyse révèle des signatures sismiques différentes, se manifestant le matin et provenant de l’atterrisseur d’Apollo 17.
La Lune est composée de 3 couches géologiques, incluant une croûte de 34 à 43 kilomètres d’épaisseur, un manteau d’environ 1450 kilomètres et un noyau solide et liquide de 250 et de 430 kilomètres de diamètre, respectivement. La surface externe de la croûte comprend une couche de débris non consolidée appelée régolithe, faisant environ 5 à 20 mètres d’épaisseur.
Bien qu’elle soit considérée comme étant géologiquement inerte depuis des milliards d’années, elle reste sujette à des petites secousses dites « tremblements de Lune ». Ces vibrations sont provoquées par la flexion de marée (due à l’attraction gravitationnelle de la Terre) et les variations de température. Étant dépourvue d’atmosphère, la Lune subit des différences de températures extrêmes, allant de 123 °C le jour à -248 °C la nuit. Cette différence provoque un cycle de dilatation et contraction de sa surface, entraînant des tremblements de terre thermiques.
Si l’on sait que la fréquence d’apparition des tremblements thermiques est corrélée au cycle jour-nuit du satellite naturel, les mécanismes précis expliquant leur origine et leurs implications ne sont pas entièrement établis. Une hypothèse suggère qu’il s’agit de la manifestation du stress thermique agissant sur le régolithe. En effet, les séismes thermiques de la Lune sont exclusivement générés et propagés à travers cette couche. Principalement composées d’ondes de cisaillement, ces secousses se propagent à une vitesse inférieure à 100 mètres par seconde. Cette vitesse réduite s’expliquerait par le fait que le régolithe est hautement poreux et peu consolidé. Une autre hypothèse avance que ces tremblements résultent d’une fracturation des roches engendrée par la variation des températures, et qu’ils seraient à l’origine de la formation du régolithe et de la dégradation des cratères.
Un gain de précision grâce à l’apprentissage automatique
Pour analyser le phénomène, des expériences de profilage sismique lunaire (LSPE) ont été effectuées lors de la mission Apollo 17, dans les années 1970. Pour ce faire, un réseau de 4 géophones en configuration triangulaire a été installé non loin du site d’atterrissage. Les dispositifs ont périodiquement été activés en mode « écoute passive ». Dans ce contexte, l’enregistrement le plus long a été effectué sur une période de 8 mois, d’octobre 1976 à mai 1977.
Bien que des milliers de tremblements de Lune thermiques aient été enregistrés au cours de cette période de LSPE, leur analyse précise a été entravée par la mauvaise qualité des données. En 2021, Francesco Civilini et ses collègues ont établi un premier catalogue de détection systématique de ces séismes, au cours des 8 mois de LSPE. Cependant, le chronométrage des activités n’était pas assez précis. Dans la nouvelle étude, publiée dans le Journal of Geophysical Research – Planets, les mêmes chercheurs se sont basés sur ce premier catalogue pour réanalyser les données de façon plus précise. Le gain de précision a été possible grâce à un outil d’apprentissage automatique analysant de grands ensembles de données.
Des vibrations régulières et ultraprécises
Dans le cadre de la nouvelle étude, Civilini est son équipe ont rassemblé des métadonnées incluant les heures précises de déclenchement des séismes lunaires thermiques, leur vitesse de pointe au sol, ainsi que de nombreux autres paramètres physiques. Ces paramètres ont ensuite été introduits dans un algorithme d’apprentissage automatique.
Les analyses ont confirmé une corrélation régulière et précise entre les tremblements lunaires thermiques et le cycle jour-nuit de la Lune. Ils se manifestent notamment chaque après-midi, à partir du moment où le Soleil quitte sa position maximale dans le ciel (zénith) et que le régolithe commence à se refroidir. Ensuite, ce « réveil lunaire » s’estompe progressivement jusqu’à ce que le Soleil se couche complètement.
Le modèle d’apprentissage automatique a également détecté des signatures sismiques supplémentaires, le matin. De manière étonnante, ces tremblements semblaient différents de ceux de l’après-midi. Après une analyse plus approfondie, les chercheurs ont découvert qu’ils provenaient de la base de l’atterrisseur d’Apollo 17 (situé à environ 150 mètres du réseau de détecteurs).
À mesure que la structure de l’atterrisseur se réchauffe et se dilate lorsque le Soleil est levé, les vibrations qui en résultent sont détectées par les géophones. Là encore, le rythme est régulier et étonnamment précis. « Chaque matin lunaire, lorsque le soleil frappe l’atterrisseur, il commence à se dilater », explique Allen Husker, professeur-chercheur en géophysique au California Institute of Technology (Caltech) et coauteur de la nouvelle étude. Les vibrations se produisent toutes les cinq à six minutes, sur une période de cinq à sept heures terrestres et « sont incroyablement régulières et répétitives », ajoute-t-il.
La compréhension de la géologie lunaire est essentielle, notamment en vue des missions à venir telles qu’Artemis 3, ainsi que du projet d’établissement de la première base lunaire habitée. Bien que les tremblements de Lune thermiques soient trop faibles pour être directement ressentis par les astronautes, les résultats de la présente étude apportent d’importantes informations concernant les équipements et infrastructures à prévoir. « Il est important d’en savoir le plus possible à partir des données existantes afin de pouvoir concevoir des expériences et des missions adaptées », estime Husker.
Les données sismiques de la Lune pourraient aussi permettre d’étudier plus avant sa structure interne. En effet, de nombreuses questions restent ouvertes à ce sujet. Sur la base de leurs résultats, Husker et ses collègues espèrent également pouvoir cartographier les cratères du pôle Sud lunaire et éventuellement découvrir des gisements de glace d’eau.