En analysant des échantillons de poussière lunaire rapportés dans le cadre de la mission Apollo 17, des scientifiques révèlent que la Lune se serait formée il y a au moins 4,46 milliards d’années, signifiant qu’elle serait 40 millions d’années plus ancienne qu’on le pensait. Des cristaux retrouvés dans les échantillons proviendraient notamment des plus anciennes roches lunaires connues, qui selon les scientifiques se seraient formées peu après l’impact ayant détaché la masse de matière ayant donné naissance à la Lune.
Selon nos connaissances actuelles, environ 100 millions d’années après la formation du système solaire, un gigantesque objet de la taille de Mars est entré en collision avec la Terre primitive et a détaché la masse de matière ayant donné naissance à la Lune. L’énergie de cet impact (parfois appelé « impact géant ») a fait que la quasi-totalité de sa surface était initialement en fusion avant de se solidifier progressivement en refroidissant, selon un processus de cristallisation. Cependant, le moment précis où ces événements se sont produits fait encore aujourd’hui l’objet de débats. Si des modélisations ont précédemment estimé la formation de la Lune entre il y a 4,52 et 4,47 milliards d’années, d’autres la situent davantage entre 4,43 et 4,42 milliards d’années.
Étant donné que la cristallisation de la surface lunaire ayant suivi l’impact a donné naissance à des roches telles que le zircon, les astrophysiciens estiment que leur datation pourrait fournir de précieux indices quant à celle de la formation de la Lune. « Ces cristaux sont les plus anciens solides connus qui se sont formés après l’impact géant. Et parce que nous connaissons l’âge de ces cristaux, ils servent de point d’ancrage à la chronologie lunaire », explique Philipp Heck, conservateur au Field Museum Robert A. Pritzker et professeur à l’Université de Chicago.
En effet, lorsque la surface lunaire était en fusion, les cristaux de zircon ne pouvaient encore se former. De ce fait, ils se sont forcément formés quand la surface s’est refroidie, ce qui pourrait donner une plage de datation précise entre l’impact et la cristallisation, et ainsi l’âge minimum de la Lune. Par le biais d’une nouvelle technique de datation, Heck et ses collègues ont réanalysé des fragments de zircon issus des échantillons de poussière lunaire collectés lors de la mission Apollo 17 en 1972.
Un âge minimal de 4,46 milliards d’années
Le nouveau protocole de datation est basé sur la tomographie par sonde atomique. Cette technique consiste à tailler un fragment de roche lunaire en une très fine pointe nanométrique, à l’aide d’un faisceau ionique focalisé — « presque comme un taille-crayon très sophistiqué », explique le coauteur de l’étude, Jennika Greer, de l’Université de Glasgow. Dans un deuxième temps, des lasers ultraviolets à haute performance sont utilisés pour évaporer les atomes à la surface de la pointe. On fait ensuite migrer ces atomes à travers un spectromètre de masse afin de déterminer leur poids et leur structure (en fonction de leur vitesse de migration).
Cette analyse atome par atome permet de déterminer combien d’entre eux ont subi une désintégration radioactive, se traduisant par l’instabilité de leurs configurations proton-neutron et leur conversion en un élément différent (isotope). La désintégration de l’uranium en plomb a donné naissance à la technique de datation radiométrique du même nom (U-Pb), sur laquelle les chercheurs de l’étude se sont appuyés. En effet, le système U-Pb est un chronomètre particulièrement robuste dans ce cas présent, car le zircon incorpore facilement l’uranium, tandis que le plomb est aisément rejeté de son réseau cristallin. En outre, le zircon possède des propriétés lui permettant de résister aux altérations thermiques post-cristallisation.
En relevant les différences de proportions d’atomes de plomb et d’uranium à l’intérieur des fragments de zircon, les chercheurs ont pu déduire l’âge de ces derniers. « La chronologie U-Pb du zircon lunaire le plus ancien fournirait ainsi des contraintes sur la cristallisation d’océan de magma lunaire et le timing minimum de l’impact géant », écrivent les chercheurs dans leur document, détaillé dans la revue Geochemical Perspective Letters.
Pour comprendre plus précisément cette technique, l’analogie du sablier est pertinente. Dans la datation radiométrique, les atomes parents (uranium) correspondent au sable de la partie supérieure, tandis que les atomes filles (plomb) sont ceux s’écoulant et donc situés en dessous. L’écoulement du temps (indiqué dans un sablier par les grains accumulés dans la partie inférieure) est ensuite déduit de ce taux de transformation. Le taux de plomb retrouvé dans les 21 grains de zircon analysés indique qu’ils datent d’environ 4,46 milliards d’années, ce qui signifie que la Lune est au moins aussi ancienne. Ces résultats repoussent de 40 millions d’années les précédentes estimations.
Alors que de précédentes datations radiométriques suggéraient une Lune plus jeune, les chercheurs estiment que cela pourrait être dû à la perte de plomb post-cristallisation, pouvant potentiellement fausser les calculs. Toutefois, il est possible que les échantillons d’Apollo 17 ne soient pas représentatifs de la totalité de la Lune. Les résultats pourraient être différents pour d’autres échantillons collectés au niveau d’autres régions lunaires, que les prochaines missions Artemis devraient rapporter.