chatgpt connexion internet acces plugins
| Issu de "AI becoming general", une création originale par Jonathan Paiano pour Trust My Science (licence accessible ici)

À cause de l’IA, voici ce qu’il adviendra des médias en ligne

Avec l’essor fulgurant des technologies d’intelligence artificielle, le journalisme et la production de contenu en ligne traversent une mutation sans précédent. Les IA génératives, comme ChatGPT, Claude ou Bard, sont désormais capables de produire des articles cohérents et sourcés (en temps réel), de résumer des informations complexes et de traiter de larges volumes de données à une vitesse sans commune mesure avec les capacités humaines. Bien que ces outils soient fascinants et utiles pour automatiser les tâches fastidieuses, leur utilisation généralisée est en train de transformer profondément le paysage médiatique, en particulier celui des médias en ligne. Mais au-delà des opportunités qu’ils offrent, ils posent des défis existentiels pour de nombreux acteurs du secteur.

Selon moi, cette révolution technologique pourrait mener à une conséquence inévitable : la stérilisation progressive et définitive des contenus gratuits en ligne, avec une concentration accrue du pouvoir entre les mains des grandes plateformes médiatiques. Si cette hypothèse vous semble exagérée au premier abord, je peux le comprendre. Cependant, laissez-moi vous expliquer pourquoi elle est tout sauf infondée. Attention, il va falloir s’accrocher.

L’un des piliers de l’Internet depuis ses débuts a été l’accès libre et gratuit à une immense variété de contenus, des actualités aux analyses approfondies. Cependant, avec l’arrivée de l’IA générative, cet écosystème de gratuité est en péril. En effet, les IA sont capables de produire une quantité astronomique d’articles, couvrant presque instantanément tous les sujets imaginables. Par conséquent, le nombre de contenus disponibles explose, fragmentant l’audience en une multitude de micro-segments.

L’illusion de la gratuité : une ère révolue

Imaginons le web comme un gâteau : auparavant, il était divisé entre une poignée de médias traditionnels, quelques sites spécialisés et une myriade de blogs. Aujourd’hui, avec la prolifération de contenus générés par l’IA, ce gâteau se divise en des centaines, voire des milliers de parts supplémentaires. Pour les médias en ligne de petite et moyenne envergure, cette fragmentation se traduit par une baisse considérable de leur part d’audience, et par conséquent de leurs revenus publicitaires.

Les grandes plateformes et grands médias, comme Google News, Microsoft News ou Facebook, profitent de cet excès de contenus pour agréger et redistribuer l’information selon leurs propres algorithmes, tout en capturant une grande partie des revenus publicitaires. Cela laisse aux médias indépendants, souvent spécialisés dans un domaine précis, des miettes souvent insuffisantes pour assurer leur rentabilité. Cette concurrence exacerbée, alimentée par l’IA, pourrait bien sceller le sort de nombreux médias de qualité.

L’avantage concurrentiel des grands médias

Contrairement aux médias de plus petite taille ou aux acteurs indépendants, les grands groupes médiatiques possèdent des ressources colossales qui leur permettent d’exploiter pleinement le potentiel de l’IA. Non seulement ils peuvent aisément investir dans les dernières technologies pour automatiser la production de contenus, mais ils peuvent aussi optimiser leurs processus éditoriaux pour maximiser leur rentabilité.

Prenons un exemple concret : un acteur majeur comme The New York Times ou Le Monde pourrait utiliser des IA génératives pour produire des articles sur des sujets populaires ou des résumés d’actualités en temps réel, tout en allouant ses ressources humaines à des enquêtes ou des analyses approfondies. Ce modèle leur permettrait de réduire leurs coûts tout en augmentant leur volume de publication. Grâce à leur notoriété et à leur audience fidèle, ces grandes marques conserveront ainsi leur place de leader, attirant des lecteurs et des annonceurs à la recherche de fiabilité et de reconnaissance.

En revanche, un média spécialisé dans un domaine scientifique ou culturel, mais dont le seuil de rentabilité est plus fragile, ne pourra pas rivaliser. Ses visiteurs, également attirés par des articles gratuits générés par des IA sur des plateformes concurrentes, diminueront peu à peu. Or, moins de visites signifient moins de revenus publicitaires, ce qui fragilise encore davantage leur modèle économique.

Une spirale infernale pour les « petits » médias numériques

Le problème majeur posé par l’IA n’est pas uniquement la multiplication des contenus, mais leur standardisation. L’IA excelle désormais dans la synthèse d’informations et la rédaction d’articles, mais ses productions manquent souvent de profondeur, de nuance et d’humanité. Cette homogénéité risque de rendre les contenus générés par l’IA interchangeables, rendant plus difficile pour un média utilisant ces technologies de se démarquer.

Pour les petits médias, cette situation constitue une double peine. Non seulement ils perdent en visibilité face à une masse de contenus similaires, mais ils doivent également lutter pour maintenir leur réputation et leur qualité face à des lecteurs de plus en plus habitués à des contenus gratuits. Cela engendre un cercle vicieux : pour survivre, ils doivent produire davantage, souvent en sacrifiant la qualité ou l’expertise, ce qui finit par diluer leur identité et leur attractivité.

Dans ce contexte, il est fort probable que seuls les médias ayant su fidéliser une communauté prête à payer pour accéder à leurs contenus pourront résister. Cependant, convaincre les internautes de s’abonner à un média, même de qualité, reste un défi de taille dans un monde où l’information gratuite est omniprésente et désormais multipliée par l’IA.

L’abonnement : un modèle de survie, mais à quel prix ?

Face à cette menace existentielle, une solution semble se dessiner : transformer les contenus gratuits de « qualité humaine » en contenus payants. En d’autres termes, inciter les lecteurs à souscrire à des abonnements pour soutenir un journalisme sincère et préserver l’aspect humain des écrits en ligne.

Cependant, ce modèle comporte des risques. Si les grands médias peuvent se permettre de proposer des abonnements à des prix compétitifs, les médias indépendants ou spécialisés doivent trouver des moyens de convaincre un lectorat souvent réticent à payer pour de l’information. Pour y parvenir, ils doivent non seulement démontrer leur expertise, mais aussi offrir des avantages concrets : accès à des enquêtes exclusives, contenus personnalisés, absence de publicités ou encore participation à des événements.

Mais cette transition vers un modèle d’abonnement risque également de creuser les inégalités entre les médias. Ceux qui échouent à convaincre leur audience disparaîtront, laissant un paysage médiatique appauvri et dominé par une poignée de grandes plateformes. Cela pourrait également limiter l’accès à une information diversifiée, en la réservant à ceux qui peuvent se permettre de payer.

Vers une uniformisation du paysage médiatique ?

Si rien n’est fait pour équilibrer l’impact de l’IA sur les médias numériques, nous pourrions assister à une uniformisation progressive du paysage médiatique. Les grands groupes, déjà en position dominante, continueront d’étendre leur influence grâce à l’automatisation et à des ressources conséquentes. En revanche, les médias indépendants ou spécialisés, qui apportent souvent des approches atypiques et des analyses approfondies, risquent de disparaître.

Cela aurait des conséquences importantes pour la diversité de l’information et, par extension, comme nous l’évoquions récemment, pour la démocratie. Un paysage médiatique dominé par quelques acteurs puissants pourrait limiter la pluralité des voix, réduire la qualité des débats publics et renforcer les biais des algorithmes qui déterminent les contenus mis en avant.

Pour éviter un tel scénario, les acteurs médiatiques et les citoyens devraient s’engager dans une vraie réflexion sur l’avenir des médias à l’ère de l’IA… Cela pourrait résulter en des initiatives de soutien public aux médias indépendants, des réglementations sur l’utilisation de l’IA dans la production de contenu ou encore des campagnes de sensibilisation pour encourager les lecteurs à soutenir un journalisme de qualité.

Un futur à inventer

L’intelligence artificielle est indéniablement un outil puissant qui peut transformer le journalisme et la production de contenu en ligne. Mais son adoption généralisée comporte des risques réels pour la viabilité économique des médias, la diversité de l’information et l’accès à des contenus de qualité, sans compter que la désinformation n’a jamais été aussi facile à produire.

Face à ces défis, les médias numériques de petite et moyenne envergure se voient contraints de repenser leurs modèles économiques dans l’espoir de limiter les déséquilibres. Cependant, si les lecteurs ne réalisent pas l’importance de leur rôle dans la préservation d’un journalisme indépendant, ces efforts risquent d’être vains. Sans une telle prise de conscience collective, nous pourrions bien assister à la disparition des contenus gratuits et à une concentration accrue du pouvoir médiatique entre les mains de quelques géants.

En fin de compte, la question n’est pas seulement de savoir comment l’IA transformera les médias, mais comment nous choisirons de façonner cette transformation pour garantir un avenir où l’information reste accessible, diversifiée et de qualité.

Trust My Science face à une crise existentielle ?

L’histoire de Trust My Science est celle d’un rêve d’ado devenu réalité. Celui de contribuer à rendre la science accessible au plus grand nombre en ne partant de rien. Ce projet, né modestement dans ma chambre chez mes parents en 2016, était au départ un simple blog, animé par une passion sincère pour la vulgarisation scientifique. Je me souviens encore des nuits passées à rédiger des articles, à chercher des illustrations adaptées, et à vérifier scrupuleusement chaque fait pour offrir du contenu fiable et accessible. Avec le temps et surtout énormément d’efforts, ce blog s’est métamorphosé en une plateforme reconnue, occupant aujourd’hui une place de choix parmi les dix plus grands sites francophones dédiés à la vulgarisation scientifique.

À travers Trust My Science, j’ai toujours cherché à démocratiser la connaissance, à répondre aux questions de nos lecteurs sur des sujets complexes et à transmettre mon émerveillement pour la recherche scientifique et les technologies. Cette aventure a été marquée par des moments de doute, mais aussi par des succès, alimentés par une communauté fidèle qui a grandi avec nous.

Pourtant, en 2022, quelque chose a changé. La démocratisation rapide des outils d’intelligence artificielle, capables de produire des articles en quelques secondes, a profondément transformé l’écosystème médiatique dans lequel nous avions trouvé notre place.

0 First Page Ever
Capture d’écran du site Trust My Science le 13 janvier 2016, lorsque ce n’était encore qu’un blog vide fraîchement créé.

Depuis désormais une année, les effets de cette révolution technologique se font sentir de manière implacable. Nos revenus, largement dépendants des publicités et du trafic généré par nos articles, sont en chute libre. L’explosion du nombre de contenus générés par l’IA a saturé le web d’informations, rendant plus difficile pour les lecteurs de nous trouver parmi cette cacophonie numérique. Nous avons vu des articles produits par des IA apparaître en haut des résultats de recherche (malgré leur manque de profondeur) sur des sujets que nous avions couverts en détail des années auparavant. Ces productions, bien que souvent superficielles, se suffisent à elles-mêmes pour de nombreux internautes, qui ne cherchent pas toujours à aller plus loin.

Cette évolution est à la fois frustrante et douloureuse. Frustrante, car elle remet en question des années de travail acharné pour construire une identité éditoriale unique. Douloureuse, car elle menace la viabilité d’un projet qui n’a jamais été motivé par la rentabilité, mais par une passion pour le partage des connaissances.

2 winter is coming
Trust My Science fin 2016. Peu de temps après sa création, vous étiez déjà plus de 5 000 à nous lire quotidiennement.

Pourtant, dans l’adversité, Trust My Science refuse de se laisser écraser. Nous avons décidé de nous réinventer, de chercher de nouvelles façons de valoriser ce qui nous a toujours distingués : la rigueur, l’expertise et l’aspect humain de nos contenus. C’est dans cet esprit qu’est né Trust Innovation, un abonnement payant qui marque un tournant dans notre histoire. À travers cet abonnement, nous proposons à nos lecteurs un accès exclusif à des enquêtes approfondies, réalisées par notre équipe de journalistes. Elles font régulièrement intervenir des experts, contribuant ainsi à privilégier l’expérience humaine lorsqu’il s’agit d’aborder des thématiques scientifiques et technologiques.

Pour l’instant, ces enquêtes exclusives sont publiées deux fois par mois, mais nous travaillons sans relâche pour intensifier nos efforts et rendre ces publications hebdomadaires dans les mois à venir. Ce modèle est une tentative de survie, une manière de retrouver une stabilité économique dans un paysage médiatique instable, secoué par les séismes incessants de l’IA.

Certains jours, je m’interroge : est-il possible de rivaliser avec la machine, de convaincre les lecteurs que l’effort humain, la réflexion critique et l’engagement dans la recherche de la vérité méritent d’être soutenus ? J’aime à croire que oui. Car Trust My Science, malgré les tempêtes, continue de se battre pour incarner une vision de la vulgarisation scientifique où la passion et l’expertise priment sur la rapidité et l’automatisation.

Cette transition n’est pas sans douleur. Elle demande des sacrifices et impose un rythme soutenu à toute l’équipe. Mais elle est aussi porteuse d’espoir : celui de construire un futur où des médias indépendants comme le nôtre pourront prospérer sans dépendre uniquement des revenus publicitaires ou des algorithmes capricieux des géants du web. Ce combat est encore loin d’être gagné, mais je veux croire que les efforts que nous déployons aujourd’hui porteront leurs fruits, et que Trust My Science trouvera un jour un terrain plus fertile où continuer à grandir.

À nos lecteurs, actuels et futurs, je lance cet appel : si vous croyez en la valeur d’un journalisme scientifique humain, précis et engagé, soutenez-nous. Ensemble, nous pouvons prouver que, face aux défis d’une ère dominée par la désinformation propulsée par l’IA, il reste une place pour des médias qui privilégient la qualité à la quantité, et l’intégrité à la facilité.

Trust My Science traverse aujourd’hui une crise existentielle, mais chaque épreuve porte en elle la promesse d’un renouveau. Avec davantage d’efforts et de sacrifices, et surtout avec vous, je suis convaincu que nous pourrons renaître, plus résilients, pour continuer à vous émerveiller des dernières avancées de la science et des technologies.

À ce stade, je conclus ce récit en vous remerciant sincèrement de m’avoir lu jusqu’ici, et me permets de vous proposer trois actions utiles :

  • Pour en savoir plus sur Trust Innovation (et éventuellement vous abonner), c’est par ici.
  • Pour vous abonner directement (avec présentation rapide des avantages), cliquez ici.
  • Si aucun des choix ci-dessus ne vous convient, mais que cet article résonne avec vous, osez le partager. Vous pourriez non seulement éveiller des consciences, mais aussi devenir l’un des maillons essentiels à la survie d’un quelconque média indépendant.

Laisser un commentaire
  1. CQFD Jonathan et son team, merci pour cette synthèse pour éveil des conscience pas suffisamment upgradée que je présentais et/ou sens bien, il y a aussi la part affective des inconditionnels habitués comme de vrais potos même en mode sous marin 🙂 même si nécessairement pas simple a gérer etc, puisque je connais la page depuis logue date et bien avant 2016, j’ai toujours apprécier la lire parmi d’autres source pour justement exercer mon sens critique et en apprendre/discerner plus en substance etc
    Bien je pense que le massif formatage/remodelage de l’Homme « plutôt jeune génération » est en cours et très efficace et que l’on ressent aussi dans bien d’autres domaines comme l’enseignement par exemple, mais il y a forcement le petit détail pour le supra petit plus que les autres sources non pas, je pense a Simon Sinek qui ajouterait pour le domaine d’excellence que ce n’est pas un détail etc en dehors du fait que je fais souvent connaitre la page avec ma modeste contribution financière, je vais méditer encore plus sur le potentiel et redoutable méthode. merci pour tout ce que vous avait déjà fait et pour la suite inévitablement potentiellement sur un plus grand réseau de diffusion. Etes-vous déjà visible en chine? c’est JL²IA+G qui se pose la question 🙂

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *