À quoi ressemblaient les Dénisoviens ? Une révélation inédite après 15 ans d’attente

Le visage a été modélisé à partir d’un crâne partiel d’au moins 146 000 ans, découvert près de Harbin, en Chine.

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Image obtenue à partir de la reconstitution du "Dragon Man", dans son habitat. Le fossile a été identifié comme étant un Dénisovien. | Chuang Zhao
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En analysant des fragments de protéines et de minuscules séquences d’ADN extraits d’un crâne partiel exhumé près de Harbin, dans le nord-est de la Chine, des archéologues ont déterminé qu’il appartenait à un Dénisovien. Datant d’au moins 146 000 ans, ce fossile a permis d’en modéliser l’aspect, une avancée qui éclaire 15 ans de débats scientifiques sur l’apparence de ce groupe énigmatique.

En 2018, Qiang Ji, paléontologue à l’Université Hebei GEO de Shijiazhuang, en Chine, a reçu d’un donateur anonyme un fragment de crâne fossilisé, attribué à un hominidé. Ce dernier aurait été confié au donateur par son grand-père, qui l’avait découvert en 1933 lors de travaux de construction d’un pont sur la rivière Long Jiang, près de Harbin, avant de l’enfouir dans un puits abandonné. L’objet y serait demeuré jusqu’à ce que le grand-père en révèle l’existence à son petit-fils, sur son lit de mort.

En 2021, Ji et son équipe ont proposé que le crâne, vieux d’au moins 146 000 ans, appartenait à une nouvelle espèce humaine, baptisée Homo longi — surnommée « Dragon Man ». Malgré l’absence de la mâchoire inférieure, ce crâne partiel figure parmi les fossiles humains archaïques les mieux conservés. Les conclusions de l’équipe, toutefois, ont suscité de vives controverses au sein de la communauté scientifique.

Peu après cette annonce, les chercheurs ont été contactés par Qiaomei Fu, paléogénéticienne à l’Institut de paléontologie des vertébrés et de paléoanthropologie de Pékin, mondialement connue pour ses travaux sur les Dénisoviens. En 2010, elle fut la première à extraire l’ADN de ce groupe à partir d’un fragment de phalange découvert dans la grotte de Denisova, en Sibérie. Souhaitant déterminer si le crâne de Harbin présentait des similarités avec les fossiles dénisoviens, elle a pris contact avec l’équipe de Ji dans le but d’en extraire de l’ADN et de le comparer à celui extrait d’autres fossiles dénisoviens.

Un visage pour les Dénisoviens

D’après les chercheurs, la comparaison génétique a montré que le Dragon Man était probablement lui aussi un Dénisovien. L’état de préservation du crâne a permis d’en modéliser l’aspect, offrant un premier aperçu du visage de ce peuple encore largement mystérieux. « Après 15 ans, nous avons donné un visage au Dénisovien », a déclaré Fu au National Geographic. « C’est un sentiment vraiment spécial, je suis vraiment heureuse », s’est-elle émue. Les résultats sont détaillés dans deux articles publiés cette semaine dans les revues Science et Cell.

Mis à part le fait de donner enfin un visage à ce groupe humain éteint, ces travaux permettent également d’éclairer d’autres aspects de leur histoire évolutive. « Disposer d’un crâne aussi bien préservé que celui-ci nous permet de comparer les Dénisoviens à de nombreux autres spécimens découverts dans des régions très différentes », explique le paléoanthropologue Bence Viola, de l’Université de Toronto, qui n’a pas participé à l’étude. « Cela signifie que nous pourrions peut-être comparer leurs proportions corporelles et commencer à réfléchir à leurs adaptations au climat, par exemple. »

Selon les modélisations réalisées à partir du crâne, les Dénisoviens auraient présenté un visage large aux traits primitifs, avec notamment des arcades sourcilières proéminentes. Toutefois, ils possédaient aussi des caractéristiques plus modernes, comme des pommettes fines et une partie inférieure du visage relativement plate, contrastant avec les profils plus saillants d’autres hominidés anciens. Leur carrure massive aurait pu constituer un atout pour survivre aux rigueurs climatiques du nord-est asiatique.

crane denisovien
Le crâne de Harbin et la localisation géographique des spécimens d’hominidés de plus de 100 ka où l’ADN humain a été récupéré. ©  Qiaomei Fu et al.

Une génétique proche du Dénisovien de Sibérie

Après avoir obtenu le crâne, l’équipe de Fu a tenté d’en extraire de l’ADN à partir de la dent unique conservée ainsi que du « rocher », une zone osseuse dense proche de l’oreille interne, réputée pour offrir une préservation optimale de l’ADN ancien. En vain : aucun matériel génétique suffisamment intact n’a pu être récupéré.

Les chercheurs se sont alors tournés vers les protéines, qui résistent mieux à la dégradation. Bien qu’elles ne contiennent pas d’informations génétiques directes, les protéines codées par les gènes peuvent offrir des indices sur l’ADN d’origine. L’équipe est parvenue à isoler 95 fragments de protéines distinctes, qu’elle a comparés à ceux extraits d’ossements de Néandertaliens, d’humains modernes et de Dénisoviens.

L’un des fragments protéiques prélevés dans le crâne de Harbin présentait des similitudes notables avec ceux provenant du doigt de Dénisovien découvert en Sibérie, ainsi qu’avec des spécimens identifiés à Taïwan et au Tibet. À l’inverse, ce fragment ne correspondait pas aux séquences protéiques des humains modernes ni à celles des Néandertaliens — suggérant ainsi que le Dragon Man pourrait bien être un Dénisovien.

Fu a néanmoins souhaité valider cette hypothèse en comparant également les ADN. Les chercheurs ont donc tenté une extraction à partir de la plaque dentaire. Si cette dernière est réputée pour sa résistance, elle conserve plus volontiers de l’ADN bactérien que de l’ADN humain. L’échantillon peut aussi avoir été contaminé par l’ADN d’autres personnes l’ayant manipulé auparavant. Néanmoins, les chercheurs affirment avoir réussi à en prélever une infime quantité, qu’ils ont pu attribuer avec certitude au spécimen. L’analyse génétique comparative renforcerait l’hypothèse d’une appartenance dénisovienne.

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Résumé graphique montrant la méthodologie d’enquête. ©  Qiaomei Fu et al.

Des conclusions encore débattues

Certains chercheurs extérieurs à l’étude demeurent prudents quant à l’interprétation des données. Selon eux, les fragments de protéines et d’ADN seraient trop peu nombreux, et trop altérés, pour fonder une identification formelle. Fu elle-même admet qu’une proportion importante de l’ADN extrait résultait de contaminations extérieures.

Les protocoles mis en place, cependant, visaient précisément à isoler l’ADN ancien, en excluant les séquences modernes. « Il contient 27 variantes génétiques que l’on ne retrouve que chez les sept individus dénisoviens connus. Aucune de ces variantes ne peut provenir d’une contamination humaine moderne », assure la chercheuse.

D’autres experts se montrent plus convaincus. « Depuis la description [du crâne de Harbin], j’espérais que nous avions enfin un visage pour les Dénisoviens, et ces documents le prouvent », affirme Bence Viola. « C’est formidable que deux méthodes différentes aboutissent au même résultat — cela me conforte dans l’idée que c’est bien réel », conclut-il.

Sources : Cell, Science
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