L’ADN des baleines bleues révèle qu’elles s’accouplent (trop) avec des hybrides, mettant en danger leur survie

ADN baleines bleues
Une baleine bleue (Balaenoptera musculus). | NOAA/Wikimedia Commons
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En séquençant les génomes de rorquals bleus (ou baleines bleues) du nord de l’Atlantique, des chercheurs ont découvert qu’ils contenaient des niveaux étonnamment élevés d’ADN de rorqual commun. Cela signifie que les deux espèces s’accouplent plus souvent qu’on le pensait et que les hybrides qui en résultent peuvent également se reproduire avec les baleines bleues. Le phénomène est inquiétant pour la survie des baleines bleues, dont l’altération du génome pourrait réduire leur résilience aux changements environnementaux, tels que le réchauffement climatique.

La baleine bleue, ou (le) rorqual bleu (Balaenoptera musculus), est le plus grand animal vivant sur la planète, les individus mesurant en moyenne 30 mètres de long pour un poids moyen de 150 tonnes. Le plus grand spécimen répertorié atteignait 33,5 mètres et ne pesait pas moins de 190 tonnes. Présente dans tous les océans du monde, l’espèce a failli complètement disparaître à cause du boom de la chasse commerciale — dès le milieu du 20e siècle. Des efforts de réglementation internationale ont permis de restaurer sensiblement la population à partir des années 1966.

Cependant, malgré les efforts de réglementation, la chasse illégale persiste et les baleines bleues sont toujours en danger d’extinction — sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Bien que la chasse a diminué, elles restent menacées par les collisions avec les navires, l’enchevêtrement dans les filets de pêche, la pollution marine et le changement climatique.

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D’autre part, d’autres facteurs entravent le rétablissement de certaines populations, tels que les perturbations écologiques persistantes dues aux défauts de gouvernance maritime et le faible taux de reproduction. Parmi les 4 sous-espèces répertoriées, Balaenoptera musculus musculus — que l’on trouve dans le nord de l’Atlantique — est l’une des plus menacées par ces perturbations. Selon les scientifiques, il n’existe d’ailleurs aucune preuve indiquant que la population de l’Atlantique nord se soit véritablement rétablie suite à la restriction de la chasse.

Afin de mieux orienter les efforts de conservation, « la connaissance de la répartition, de la structure génétique et de l’écologie de la population des rorquals bleus est essentielle », suggèrent les chercheurs du Royal Museum d’Ontario dans leur nouvelle étude, parue dans la revue Conservation Genetics. Pour ce faire, l’équipe a séquencé le génome des baleines bleues de l’Atlantique nord afin de déceler d’éventuels signes de consanguinité, qui pourraient entraver le rétablissement de ce groupe. La recherche a été effectuée en collaboration avec l’Université de Toronto, l’Université de Bergen et l’Institut polaire norvégien.

Une hybridation à sens unique

Divers marqueurs génétiques des rorquals bleus du Pacifique et des mers australes ont été étudiés de manière approfondie pour établir la structure de leurs populations, leur diversité génétique et leur connectivité. Cependant, aucune base de données génétique adaptée n’a jusqu’à présent été créée pour la population nord-atlantique. De ce fait, les chercheurs de la nouvelle étude ont entièrement séquencé le génome de ce groupe à partir de zéro. « Il s’agit d’un processus long et laborieux, semblable à l’assemblage d’un énorme puzzle sans image sur la boîte pour vous guider », a expliqué à Live Science le coauteur de l’étude Mark Engstrom, du Royal Museum d’Ontario et de l’Université de Toronto.

L’assemblage génomique produit a ensuite été utilisé comme base de référence pour analyser 19 autres séquences génomiques entières et 31 génomes mitochondriaux complets. Ces derniers proviennent d’échantillons collectés sur des spécimens vivants et d’archives historiques (le plus ancien datant de 1876), provenant des océans Atlantique et Antarctique.

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Structure de la population de rorquals bleus actuels et historique de l’Atlantique Nord, basée sur des données de séquençage du génome entier. © Sushma Jossey et al.

Les experts ont constaté que les génomes des baleines échantillonnées comprenaient environ 3,5 % d’ADN de rorqual commun (Balaenoptera physalus). Bien qu’il soit relativement commun que ces deux espèces se reproduisent entre elles (alors que la seconde ne pèse que 85 tonnes, soit presque la moitié du poids), ce taux est étonnamment élevé. Les hybrides qui en résultent, parfois appelés « rorquals à carneau », ressemblent à des rorquals communs, mais plus grands que la moyenne. Ils possèdent d’ailleurs la même mâchoire en forme de U que les baleines bleues.

En outre, les chercheurs supposaient jusqu’ici que ces hybrides étaient stériles, avant qu’une étude récente ne révèle qu’au moins certains d’entre eux peuvent se reproduire avec les rorquals bleus. Cet accouplement donne lieu à une progéniture dite « rétrocroisée » et possédant de l’ADN de rorqual commun à un taux anormalement élevé. Ce transfert assez particulier d’ADN interespèce est nommé « introgression ».

Bien que les experts de la nouvelle étude s’attendaient à trouver de l’ADN de rorqual commun dans les génomes séquencés, le taux d’introgression constaté est bien plus élevé que précédemment estimé. Plus étonnant encore, des études similaires sur les rorquals communs n’ont relevé aucune trace d’introgression, ce qui signifie que le phénomène se produit à sens unique. En d’autres termes, les rorquals à carneau s’accoupleraient uniquement avec les baleines bleues et non avec les rorquals communs.

« Pour autant que nous le sachions, il s’agit d’un phénomène qui concerne uniquement l’Atlantique Nord », a déclaré Engstrom. Bien que la raison ne soit pas claire, l’expert estime que si cela se poursuit, la quantité d’ADN de rorqual bleu dans la population nord-atlantique pourrait être progressivement réduite et rendre ces baleines moins résilientes aux changements environnementaux.

Néanmoins, les analyses ont également révélé une consanguinité moins élevée que prévu entre les baleines bleues de l’Atlantique nord. Il y a notamment une importante interconnexion génétique entre les baleines de l’Atlantique Ouest, de l’Amérique du Nord et de l’Atlantique Est. Cela est probablement dû au fait que pour se nourrir, les baleines occidentales naviguent à travers le courant marin de l’Atlantique nord pour se diriger vers l’est. Cette preuve de connexion et de diversité génétique redonne de l’espoir quant aux efforts de conservation pour les baleines bleues.

Source : Conservation Genetics

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