Une vaste analyse d’ADN préhistorique révèle les origines génétiques de la prédisposition à la sclérose en plaques chez les nord-européens

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En développant la première banque de gènes humains anciens au monde, une équipe internationale d’experts suggère après une analyse que la prévalence de la sclérose en plaques (SEP) est plus élevée en Europe du Nord en raison de gènes de prédisposition hérités il y a environ 5000 ans. Cet héritage découlerait d’une longue histoire de migrations et d’adaptations, apportant certains avantages de survie, mais également des désavantages, conservés dans les génomes modernes.

La SEP est une maladie auto-immune neurodégénérative affectant plus de 1,8 million de personnes dans le monde. Pour des raisons jusqu’à présent mal comprises, sa prévalence varie considérablement selon la situation géographique et l’origine ethnique. En effet, les nord-européens semblent présenter un plus grand risque de développer la maladie par rapport au reste du monde.

Il a été suggéré que l’ascendance génétique européenne pourrait expliquer cette différence de prévalence. De précédentes études ont identifié 233 variantes génétiques associées à la maladie et qui augmenteraient d’environ 30 % le risque de la développer. Par exemple, même les Afro-Américains, qui présentent une ascendance européenne, sont porteurs de certains de ces gènes.

Afin d’explorer plus avant cette hypothèse, un groupe international incluant 175 chercheurs a séquencé l’ADN ancien de près de 5000 personnes qui vivaient en Europe occidentale et en Asie il y a 34 000 ans. Ils ont pour cela utilisé ce qui n’est autre que la première banque de gènes anciens au monde. « La création d’une banque d’ADN provenant des anciens habitants de l’Eurasie était un projet colossal, impliquant une collaboration avec les musées de la région », explique dans un communiqué de l’Université de Cambridge, Eske Willerslev, codirecteur du projet, également affilié à l’Université de Copenhague.

L’analyse de la génétique évolutive permet notamment de comprendre comment la sélection naturelle a façonné le génome des humains modernes, en réponse aux changements culturels et environnementaux de leurs ancêtres. Pour ce faire, l’objectif des chercheurs était de cartographier la propagation historique des gènes — et des maladies — à mesure que les populations migraient. Les résultats sont détaillés dans 4 études complémentaires publiées dans la revue Nature.

Des gènes hérités il y a 5000 ans

Les ADN humains anciens analysés par les experts ont été prélevés sur des dents et des os, provenant des collections de différents musées d’Europe et d’Asie occidentale. Les profils d’ADN allaient du Mésolithique au Néolithique jusqu’au Moyen Âge, en passant par l’âge du Bronze, l’âge du Fer et la période Viking. Le génome le plus ancien provenait d’un individu qui a vécu il y a environ 34 000 ans. Les données de séquençage ont ensuite été comparées avec de l’ADN moderne provenant de 400 000 personnes de l’UK Biobank. Parallèlement, des enquêtes concernant l’histoire migratoire des populations de ces régions ont été effectuées.

Les chercheurs ont constaté que les 233 variantes génétiques associées à la SEP sont également présentes sur les os et les dents vieux de plusieurs milliers d’années. Ces gènes de prédisposition auraient été introduits dans le nord-ouest de l’Europe par des éleveurs Yamnayas, il y a environ 5000 ans. L’origine de la maladie est en effet retracée dans la steppe pontique (de l’Ukraine jusqu’au sud-ouest de la Russie et le Kazakhstan occidental), où vivait initialement le peuple Yamnaya. Ces éleveurs nomades ont migré depuis l’est à travers la steppe pour gagner le Nord-ouest européen.

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Schémas montrant l’histoire de la population européenne et son association avec la répartition actuelle de la SEP. a) Répartition géographique actuelle de la SEP en Europe. b) Ascendance steppique dans les échantillons modernes. cd) Modèle de préhistoire européenne sur lequel les échantillons de référence ont été projetés à l’aide des moindres carrés non négatifs (NNLS). © William Barrie et al.

Selon les experts, ces variantes génétiques ont probablement conféré un avantage de survie aux Yamnayas, peut-être en le protégeant des maladies zoonotiques transmises par leur bétail. « Le fait que le peuple Yamnaya soit porteur des gènes à risque de SEP, même après son arrivée en Europe, a dû être un avantage certain malgré le fait que ces gènes augmentaient indéniablement leur risque de développer la SEP », explique Eske Willerslev. Les changements de mode de vie des Européens modernes, par rapport à celui de leurs ancêtres, pourraient d’ailleurs contribuer au développement de la SEP.

D’un autre côté, ces résultats expliqueraient également la raison pour laquelle il y a deux fois moins de cas de SEP chez les sud-européens, par rapport aux nord-européens. D’un point de vue génétique, les Yamnayas seraient les ancêtres d’une grande partie des Européens du Nord, tandis qu’ils ont une influence génétique bien plus faible chez les Européens du Sud.

« Ces résultats nous ont tous étonnés. Ils constituent un énorme pas en avant dans notre compréhension de l’évolution de la SEP et d’autres maladies auto-immunes », indique William Barrie de l’Université de Cambridge, co-auteur de l’une des études. Cela suggère aussi que les humains modernes portent toujours ces systèmes immunitaires anciens, qui ont évolué sur des milliers d’années en fonction des migrations et des adaptations des ancêtres, et qui ne semblent pas adaptés au monde moderne.

Les implications pour les futures recherches thérapeutiques sont considérables, non seulement pour la SEP, mais également pour d’autres maladies et troubles neurologiques. Les chercheurs prévoient d’ailleurs d’autres enquêtes similaires pour la maladie de Parkinson, Alzheimer, l’autisme, le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), la schizophrénie, le trouble bipolaire et la dépression.

Des adaptations génétiques en fonction du mode de vie

La nouvelle banque de gènes a également fourni des explications génétiques concernant la prédominance de certaines caractéristiques chez les nord-européens. « Il est frappant de constater que le mode de vie des habitants de la région eurasienne au cours des 10 000 dernières années a donné lieu à un héritage génétique qui a un impact sur leurs descendants actuels, tant en matière d’apparence physique que de risque de développer un certain nombre de maladies », déclare Evan Irving-Pease de l’Université de Copenhague, auteur principal de l’une des études.

L’équipe d’Irving-Pease a comparé l’ADN de 1664 squelettes préhistoriques eurasiens à plus de 400 000 profils ADN des Européens modernes. Cela a par exemple révélé que la prédisposition génétique des nord-européens à être de grande taille proviendrait des Yamnayas. Les analyses ont également montré qu’une plus grande tolérance au lactose est apparue en Europe il y a environ 6000 ans, tandis qu’une plus grande capacité de survie avec une alimentation riche en légumes est apparue il y a 5900 ans.

Source : Nature (1, 2, 3, 4)

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