Les produits « hyperappétissants » — dont les célèbres biscuits Oreo — sont majoritairement distribués par des agro-industries ayant appartenu à des entreprises américaines de tabac, révèle une enquête. Alors que ces entreprises ont déclaré se désinvestir massivement du système alimentaire depuis les années 2000, des études démontrent que leur empreinte persiste et met en danger la santé de millions de consommateurs dans le monde.
Entre 1988 et 2001, des entreprises américaines de tabac ont massivement investi dans l’industrie alimentaire. RJ Reynolds (Camel, Lucky Strike, Pall Mall,…) et Philip Morris (produisant les marques IQOS, HEETS, Marlboro Dimensions, Marlboro HeatSticks, …), les deux plus grands conglomérats de la filière, ont par exemple commencé à acquérir différentes marques de boissons gazeuses sucrées, de biscuits, de chips et autres produits alimentaires, dès les années 1960. Les dirigeants de ces filiales se sont alors mis à transposer des stratégies marketing agressives dédiées aux cigarettes, aux produits alimentaires. Parmi ces stratégies figure l’utilisation de colorants et d’arômes addictifs. Les entreprises en question ont aussi fréquemment recours à des stratégies d’exonération de taxes et à des méthodes visant à contourner les restrictions de commercialisation.
Une empreinte qui persiste
À la suite de scandales successifs, les entreprises de tabac avaient annoncé se désinvestir du système alimentaire en revendant une partie de leurs marques agroindustrielles, entre le début et le milieu des années 2000. Cependant, ces dernières continuent souvent d’appliquer les stratégies commerciales précédemment établies par leur ancienne société mère.
Une étude de 2018 a révélé que certaines campagnes marketing particulièrement agressives et visant de jeunes enfants persistaient, notamment pour des marques de soda ayant appartenu à RJ Reynolds et Philip Morris. Ces entreprises étaient aussi impliquées dans le transfert direct de stratégies marketing dédiées au tabac à des produits alimentaires ciblant des minorités raciales et ethniques.
Sur la base de cette recherche, une équipe de l’Université du Kansas a effectué une enquête plus élargie, ratissant une large gamme de marques de produits agroindustriels hyperappétissants ayant appartenu aux entreprises de tabac. Ces aliments, contenant une irrésistible combinaison de sel, de sucre et de matières grasses, dominent le système alimentaire américain ainsi que les produits transformés exportés à l’international. « Ces combinaisons de nutriments offrent une expérience alimentaire vraiment améliorée et rendent difficile d’arrêter de manger », explique l’auteure principale de l’enquête, Tera Fazzino, professeure adjointe de psychologie à l’Université du Kansas. « Ces effets sont différents de ceux que vous ressentiriez si vous mangiez simplement quelque chose de riche en graisses, mais sans sucre, sel ou autre type de glucides raffinés », indique-t-elle.
Les marques des entreprises de tabac sont 80% plus hyperappétissantes
Les aliments hyperapétissants composent ce que l’on appelle communément la « malbouffe », ou les régimes « fast-food ». Ils sont particulièrement riches en sodium, en glucides et en matières grasses. La combinaison de ces nutriments stimule l’appétence et altère le système de contrôle de satiété, en déclenchant de façon exacerbée le système de récompense. En effet, en temps normal, cette combinaison n’existe pas dans la nature et ainsi n’est pas adaptée à notre métabolisme. Les produits alimentaires contenant ces composés sont expressément formulés de sorte qu’il soit difficile d’y résister. Il s’agit en quelque sorte de l’équivalent d’une addiction.
« Il ne s’agit pas seulement de choix personnels et de surveillance de ce que vous mangez : ils peuvent en quelque sorte inciter votre corps à manger plus que vous ne le souhaitez réellement », explique Fazzino. Même en faisant l’effort de limiter leur portion alimentaire, les consommateurs d’aliments hyperappétissants sont exposés à des risques sanitaires non négligeables.
Dans le cadre de la nouvelle enquête — détaillée dans la revue Addiction —, les chercheurs se sont basés sur des documents identifiant quelles marques agroalimentaires ont appartenu à des entreprises de tabac, entre 1988 et 2001. Des données du département américain de l’agriculture ont été utilisées afin d’estimer le degré auquel les produits étaient mal formulés, en fonction de leur appartenance à ces entreprises. Au total, 105 marques hyperappétissantes analysées dans l’étude étaient antérieurement associées aux sociétés de tabac, tandis que 587 ne l’étaient pas.
L’équipe a constaté que les produits des marques ayant été liées aux entreprises de tabac étaient 29% plus susceptibles d’être hyperappétissants d’après la quantité de matières grasses et de sodium qu’ils contenaient et par rapport aux marques concurrentes non associées aux producteurs de cigarettes. Ce chiffre passe à 80% lorsque l’on considère la teneur en glucides et sodium. Les experts soulignent également que ces produits sont diffusés de manière plus sélective, par rapport à ceux non associés aux conglomérats de tabac. Ils incluent par exemple les marques les plus populaires, bon marché et massivement exportées comme Oreo, Kraft et Milka, ou encore des chaînes de « fast-food » comme Kentucky Fried Chicken (KFC). Une liste exhaustive de ces marques est disponible en ligne.
Fazzino est ses collègues ont antérieurement révélé que 68% de l’approvisionnement agroalimentaire américain est composé de produits hyperappétissants. Dans le cadre de la nouvelle étude, ils ont constaté qu’en 2018, la proportion en produits hyperappétissants était encore de 57% et 17% selon la teneur en graisses-sodium et en glucides-sodium, respectivement. Ce constat a été observé indépendamment de l’appartenance antérieure aux entreprises de tabac et indique une prédominance de ces produits dans le régime alimentaire occidental. D’autre part, il peut être difficile d’adopter une alimentation plus saine, étant donné que le prix des produits frais et non transformés est souvent supérieur à ceux industriels, sans compter l’occidentalisation croissante de nombreux pays.