Les voyages interstellaires figurent parmi les objectifs ultimes de la recherche aérospatiale, et les systèmes de propulsion alimentés à l’antimatière pourraient être l’un des moyens pour y parvenir. La réaction résultant de l’interaction d’antimatière avec de la matière peut notamment libérer d’immenses quantités d’énergie qui permettraient de se déplacer à des vitesses relativistes. La production de cette substance extrêmement rare se heurte cependant à des difficultés majeures, rendant son éventuelle exploitation uniquement envisageable sur le (très) long terme.
Les systèmes de propulsion spatiale ont bénéficié d’importantes avancées au cours des dernières années. Cependant, de meilleures performances sont nécessaires à mesure que les objectifs d’exploration spatiale deviennent plus ambitieux. En utilisant les systèmes de propulsion actuels, les voyages longue distance exigeraient par exemple des fusées à plusieurs étages, ce qui implique des rapports de masse propulseur/charge utile moins avantageux à mesure que la durée des trajets augmente. D’un autre côté, les technologies alternatives, telles que la propulsion électrique ou solaire, n’offrent que des forces de poussée limitées.
« L’évolution continue de l’exploration spatiale nous oblige à nous engager à innover et à développer des systèmes de propulsion améliorés », expliquent des chercheurs de l’Université des Émirats arabes unis dans leur nouvelle étude publiée dans International Journal of Thermofluids. L’une des propositions les plus exotiques pour surmonter ces problèmes est la propulsion spatiale basée sur l’annihilation matière-antimatière, le processus au cours duquel l’antimatière interagit avec la matière pour produire de l’énergie. « L’énergie libérée par cette réaction est ridiculement gigantesque et est supérieure à toute autre réaction connue en physique », affirment les chercheurs, et pourrait peut-être un jour rendre possible les voyages interstellaires.
10 milliards de fois plus d’énergie que les carburants pour fusées actuels
Découverte en 1932 par le physicien Carl David Anderson, l’antimatière crée une sorte d’explosion lorsqu’elle entre en contact avec de la matière. Lorsqu’un antiproton interagit par exemple avec des protons, ils s’annihilent mutuellement et libèrent une combinaison d’énergie (généralement sous forme de rayonnement gamma) et de particules intermédiaires de courte durée de vie appelées pions et kaons. Ces particules intermédiaires se désintègrent tout en se déplaçant à une vitesse relativiste ou subissent une nouvelle annihilation.
Ce processus pourrait en théorie être utilisé pour les systèmes de propulsion des vaisseaux spatiaux en utilisant les particules se déplaçant à une vitesse relativiste comme force de poussée et en utilisant les rayonnements gamma comme source d’énergie. En effet, l’énergie libérée par la réaction est de deux fois la masse au repos de la particule individuelle. Le processus aurait donc un potentiel de densité énergétique d’environ 90 milliards de MJ/kg, ce qui est plus élevé que n’importe quelle réaction connue. Afin d’avoir une idée plus précise de ce potentiel, un kilogramme d’antimatière permettrait de produire environ 10 milliards de fois plus d’énergie qu’une quantité équivalente de carburant chimique standard pour fusée et 300 fois plus d’énergie que la fusion nucléaire.
D’après la nouvelle étude, un gramme d’antihydrogène suffirait à alimenter 23 vaisseaux spatiaux et la propulsion générée permettrait d’atteindre une vitesse allant jusqu’à 20 millions de mètres par seconde. Ce rendement énergétique exceptionnel est possible parce que la masse totale de réactifs est entièrement convertie en énergie. « Bien que la réaction d’annihilation soit fondamentalement une explosion, si les scientifiques et ingénieurs parvenaient à la contrôler et à l’utiliser pour la propulsion, sa densité énergétique en ferait une source d’énergie exceptionnelle », estiment les chercheurs de l’étude.
Des coûts énergétiques et financiers considérables
Cependant, ce type de système de propulsion est encore loin d’être réalisable pour plusieurs raisons. L’une d’elles est qu’elle est extrêmement difficile à manipuler, car elle s’auto-annihile dès qu’elle entre en contact avec de la matière et, par extension, tout objet qui pourrait la contenir. Les physiciens utilisent des systèmes de suspension et de confinement électromagnétiques avancés pour pouvoir la manipuler, ce qui est à la fois coûteux et complexe d’un point de vue technique. En 2016, les chercheurs du Conseil Européen pour la Recherche Nucléaire (CERN) ne sont par exemple parvenus à maintenir quelques atomes d’antimatière en suspension que pendant environ 16 minutes.
D’autre part, la production d’antimatière nécessite d’immenses quantités d’énergie. La production d’un gramme d’antimatière nécessiterait environ 25 millions de kilowattheures, ce qui représente environ 4 millions de dollars en coûts d’électricité, soit l’équivalent du besoin énergétique annuel d’une petite ville. Le décélérateur d’antiprotons du CERN produit par exemple environ 10 nanogrammes d’antiprotons par an pour un coût de plusieurs millions de dollars.
Étant donné les coûts financiers et les infrastructures nécessaires, les recherches sur l’antimatière sont relativement limitées, entravant les avancées dans le domaine. Environ 100 à 125 articles scientifiques par an sont publiés sur le sujet, contre près de 1 000 par an pour ceux concernant l’IA et les grands modèles de langage, selon Universe Today. La propulsion spatiale à base d’antimatière ne pourrait donc être envisagée, à moins de réduire considérablement les coûts énergétiques et d’améliorer la disponibilité des installations.