Arbres génétiquement modifiés : la clé d’une industrie papetière plus verte ?

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Des peupliers modifiés par CRISPR (l) et des peupliers sauvages poussent dans une serre en Caroline du Nord. | Chenmin Yang, NC State University
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Dans une période où le changement climatique est une préoccupation majeure, des chercheurs ont trouvé une solution innovante pour réduire l’empreinte carbone de l’industrie papetière. Ils ont utilisé la technologie d’édition génétique CRISPR pour créer des peupliers uniques, riches en pulpe, qui pourraient rendre la production de papier plus durable. Cette avancée pourrait également avoir des implications pour d’autres industries qui utilisent le bois comme matière première, comme la production de biocarburants.

Les arbres forestiers représentent le plus grand puits de carbone biogénique sur Terre et sont essentiels pour atténuer les effets du changement climatique. En France, la filière forêt-bois représente un chiffre d’affaires de 60 milliards d’euros et plus de 400 000 emplois.

Néanmoins, alors que le monde fait face à une crise climatique sans précédent, l’industrie papetière, consommatrice intensive de bois, est sous pression pour réduire son impact environnemental. La France fabrique 8% du papier et carton mondial, en 5e position derrière l’Allemagne, la Suède, l’Italie et la Finlande.

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Dans ce contexte, une équipe de chercheurs de l’Université d’État de Caroline du Nord a mis en œuvre une approche innovante : l’utilisation de la technologie d’édition génétique CRISPR pour modifier la composition des peupliers, rendant leur transformation en papier plus écologique. Cette étude pourrait non seulement transformer la production de papier, mais aussi avoir des implications majeures pour d’autres industries liées au bois et pour la gestion durable des forêts. Les travaux sont publiés dans la revue Science.

La lignine, un obstacle à la production de fibres de bois

La lignine est un biopolymère complexe qui donne aux plantes leur structure rigide et leur résistance. Elle est présente en grande quantité dans le bois, où elle forme un réseau complexe avec les celluloses et les hémicelluloses, contribuant à la résistance mécanique du bois. Cependant, la présence de lignine rend le bois plus difficile à traiter pour la production de pâte à papier, de biocarburants et d’autres dérivés.

Dans le processus de fabrication de la pâte à papier, la lignine doit être éliminée pour libérer les fibres de cellulose. Cela est généralement réalisé par des procédés chimiques intensifs qui sont coûteux et ont un impact environnemental significatif. De plus, la lignine restante peut interférer avec le processus de blanchiment du papier, nécessitant des traitements chimiques supplémentaires.

Pour surmonter cet obstacle, les chercheurs ont utilisé des modèles informatiques pour déterminer comment modifier la composition chimique de la lignine dans les arbres. Ils ont découvert qu’en augmentant le ratio de deux « blocs de construction » qui composent la lignine — les monolignols coniféryl et sinapyl alcool — ils pouvaient réduire la quantité de lignine produite par l’arbre.

En trouvant le « point idéal », ils devraient ainsi pouvoir obtenir des arbres à haute production de pulpe, diminuant l’impact environnemental des produits dérivés, comme les emballages et les couches. Rodolphe Barrangou, pionnier dans le domaine de l’édition de gènes et professeur à l’Université d’État de Caroline du Nord, déclare dans un communiqué : « Nous utilisons CRISPR pour construire une forêt plus durable ».

Des peupliers génétiquement modifiés pour une réduction de la lignine

Il a fallu 13 ans à l’équipe pour construire le modèle prédictif, qui a examiné près de 70 000 stratégies différentes d’édition de gènes. Les modèles d’apprentissage automatique à grande échelle combinés à CRISPR ont permis aux scientifiques d’évaluer, de tester et de traiter des groupes de structures moléculaires de peupliers pour 21 gènes différents associés à la production de fibres d’arbres.

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Le bois modifié par CRISPR présente une coloration rouge (l), aux côtés du bois de peuplier de type sauvage (r). © Chenmin Yang, NC State University

Après avoir trié ces grands ensembles de données, l’équipe a pu sélectionner des arrangements génétiques qui produiraient 35% de lignine en moins que les arbres sauvages. En plantant et en cultivant 174 lignées de peupliers, les chercheurs ont découvert que ces derniers présentaient une réduction allant jusqu’à 50% du biopolymère, par rapport aux arbres sauvages.

Des tests en serre pour une production à grande échelle

Des tests en serre continueront d’être nécessaires pour étudier l’évolution à long terme de ces arbres génétiquement modifiés par rapport aux arbres sauvages. L’équipe espère mener davantage d’essais sur le terrain afin d’estimer les capacités d’adaptation de ces peupliers à la vie en extérieur.

Barrangou et Jack Wang, professeur assistant à l’Université d’État de Caroline du Nord et co-auteur de l’étude, ont fondé une start-up, TreeCo, pour appliquer leurs recherches à la production de papier commercial. Bien que le modèle ait été conçu spécifiquement pour les structures moléculaires de peupliers, ces nouvelles connaissances et méthodes peuvent être appliquées de manière plus large.

Les chercheurs espèrent que leurs découvertes pourront être explorées dans d’autres espèces d’arbres, également utilisées dans l’industrie papetière, comme les épicéas ou les pins. Wang explique que les enzymes centrales et les réactions biochimiques dans la voie de biosynthèse de la lignine sont « suffisamment conservées » pour permettre cette transposition.

Une production de papier durable et de vastes applications pour CRISPR

Cette approche pourrait être utilisée pour d’autres applications industrielles impliquant la lignine, comme la production de biocarburants. De fait, combinée aux récents développements de l’intelligence artificielle et le traitement des données, Wang espère que cette technologie aura des applications étendues dans la lutte contre le changement climatique.

Il souligne : « L’IA est un outil utile pour déchiffrer de grands ensembles de données qui peuvent être trop complexes pour une compréhension intuitive ». En effet, l’approche combinée de la biologie computationnelle, des outils CRISPR et de la bioéconomie offre de nouvelles approches puissantes pour répondre aux besoins de l’industrie et réduire les impacts environnementaux.

Source : Science

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