Longtemps considérée comme une affection purement psychiatrique, la dépression commence aujourd’hui à être reliée à de potentielles causes somatiques. Dans la dernière dizaine d’années, plusieurs facteurs physiologiques ont été mis en évidence comme possibles origines de la dépression. Récemment, une équipe de microbiologistes a mis en évidence un nouveau lien potentiel entre le microbiome et la dépression.
L’équipe de recherche du laboratoire national Argonne du département américain de l’énergie (Northeastern University), en collaboration avec d’autres laboratoires, a établi la connexion entre dépression et bactérie en isolant tout d’abord KLE1738, une bactérie qui dépend étonnamment d’une substance chimique produite par le cerveau appelée acide gamma-aminobutyrique (GABA).
« L’association du métabolisme GABA microbien et de la santé mentale est très convaincante » déclare Jack Gilbert, chef du groupe d’écologie microbienne chez Argonne. « La capacité générale du microbiome à produire et/ou de consommer du GABA n’a pas été décrite de manière aussi large auparavant, et une bactérie dépendant du GABA n’a jamais été rapportée ». Gilbert et 18 co-auteurs ont publié leurs conclusions dans la revue Nature Microbiology.
« En raison de ses besoins de croissance uniques, personne d’autre n’a auparavant cultivé KLE1738 » déclare Philip Strandwitz, auteur principal de l’étude. Strandwitz et ses collègues ont proposé le nom Evtepia gabavorous pour KLE1738. Ils décriront plus en détail la bactérie dans une prochaine publication.
KLE1738 figurait auparavant sur la « liste des bactéries les plus recherchées » des National Institutes of Health, ce qui signifie qu’elle n’avait pas encore été cultivée, malgré sa prévalence relative dans les intestins humains. La bactérie a été détectée dans près de 20% des microbiomes intestinaux humains disponibles dans l’Integrated Microbial Next Generation Sequencing Database.
Le microbiote intestinal affecte de nombreuses fonctions importantes, notamment la réponse immunitaire et le système nerveux. Néanmoins, de nombreux micro-organismes résidant dans l’intestin humain demeurent non cultivés, ce que l’équipe de recherche a qualifié « d’obstacle à la compréhension de leurs rôles biologiques » dans l’article.
Un plus grand nombre de ces micro-organismes restent probablement non cultivés car ils nécessitent des facteurs de croissance essentiels fournis par les bactéries voisines dans leur environnement naturel, mais pas dans des conditions de laboratoire artificielles. Au cours d’un vaste processus de dépistage, l’équipe a constaté que KLE1738 nécessitait la présence de Bacteroides fragilis, une bactérie intestinale commune, pour se développer.
Des tests biologiques et une purification plus poussés ont permis d’isoler le GABA en tant que facteur de croissance produit par Bacteroides fragilis. Le GABA était en fait le seul élément nutritif testé au cours des expériences ayant soutenu la croissance de KLE1738. Au cours de la phase de recherche suivante, l’équipe a exploré le lien possible entre Bacteroides et la dépression.
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Des échantillons de selles et des mesures de l’activité cérébrale par imagerie par résonance magnétique fonctionnelle ont été recueillis chez 23 sujets souffrant de dépression diagnostiquée cliniquement. Les chercheurs ont découvert une relation inverse entre l’abondance relative des Bacteroides fécaux et la connectivité fonctionnelle dans une partie du cerveau associée à une activité élevée pendant la dépression. Cela signifie qu’une faible abondance de Bacteroides était associée à une activité élevée dans cette partie du cerveau, et inversement.
« Une bonne première étape consiste à confirmer nos résultats dans des échantillons humains supplémentaires » déclare Strandwitz. « En ce qui concerne la dépression, les modèles animaux sont souvent difficiles à traduire, raison pour laquelle nous sommes enthousiasmés par les études humaines ».
Des travaux récents publiés dans les revues Science et Cell ont identifié la présence de neurones sensoriels dans l’intestin qui sont reliés au cerveau. « Il serait bon d’examiner si le GABA microbien peut agir comme un signal via cette voie » indique Anukriti Sharma, co-auteur de l’article.
« Un travail important doit être effectué pour valider d’abord le lien entre les producteurs de GABA microbiens et la dépression. Et deuxièmement, si cela est valider, il faudra identifier la bonne approche pour développer une intervention bactérienne en tant que thérapie » conclut Strandwitz.