Jusqu’à il y a peu, les modèles théoriques de la matière étaient en contradiction avec les observations. En effet, le contenu en baryons — protons et neutrons — de l’Univers local peut être théoriquement déterminé à partir des équations du modèle standard de la cosmologie. Or, le nombre issu de ces calculs ne correspondait pas aux nombres de baryons recensés par les observations, un paradoxe nommé le « problème des baryons manquants ». Il y a quelques jours, des astrophysiciens ont cependant résolu cette énigme en retrouvant la moitié manquante de la matière baryonique.
La nucléosynthèse primordiale est un processus prenant place environ 180 secondes après le Big Bang et au cours duquel, grâce aux conditions extrêmes de température et de densité, les baryons s’assemblent pour former les premiers noyaux légers (deutérium, hélium 3, lithium 7, etc). Des calculs effectués grâce aux paramètres de la nucléosynthèse primordiale contraints par l’observation, permettent de déduire le nombre baryonique et donc la fraction de matière baryonique. À partir de ces informations, les scientifiques peuvent donc déduire une estimation du nombre de baryons dans l’Univers local.
Or, le nombre de baryons déduit des équations du modèle standard de la cosmologie ne correspond pas aux observations. En effet, comparé au recensement des baryons effectué au sein des étoiles, des nébuleuses, des galaxies et des amas de galaxies de l’Univers local, ce nombre théorique est deux fois plus élevé. En outre, grâce à l’étude du fond diffus cosmologique, les missions WMAP et Planck ont pu fournir une valeur relativement précise du paramètre de densité critique, indiquant un défaut d’environ 30 à 40% des baryons.
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Ce paradoxe des baryons manquants a longtemps occupé les scientifiques jusqu’à ce qu’une équipe italo-américaine apporte enfin la réponse. Les résultats de la découverte ont été publiés dans la revue Nature. Les auteurs se sont appuyés sur des pistes explorées précédemment par d’autres chercheurs. Au cours des dernières années, les astrophysiciens ont recherché la matière manquante dans d’autres gammes du spectre électromagnétique, notamment l’infrarouge et les rayons X.
Chercher les baryons manquants entre les galaxies ?
La cible privilégiée de ces observations était le WHIM (Warm-Hot Intergalactic Medium), c’est-à-dire un plasma chaud diffus existant entre les galaxies formant des filaments inter-galactiques ténus de baryons ionisés. Selon les modèles théoriques et les simulations, le WHIM représentait entre 40 et 50% des baryons de l’univers, c’est donc naturellement le réservoir vers lequel les scientifiques se sont tournés.
Grâce à la nouvelle génération de satellites tel que le XMM-Newton de l’ESA, les astrophysiciens finissent par observer, aux abords des grands amas de galaxies, des concentrations locales de plasma chaud. Toutefois, ces dernières semblaient trop peu étendues pour expliquer à elles seules l’énigme des baryons manquants.
Quelques années après, en 2011, la mission Planck, grâce à l’étude de l’effet Sunyaev-Zel’dovich (effet SZ), détecte des concentrations de plasma entre les amas galactiques Abell 399 et Abell 401. L’effet SZ est le phénomène par lequel des électrons de haute énergie distordent le fond diffus cosmologique en transférant leur énergie aux photons.
Cependant, en 2015, une équipe d’astrophysiciens du Centre de Données pour l’Astrophysique de Genève montre, grâce à des simulations, que la majorité des baryons ne devraient pas se trouver dans ces poches isolées de plasma, mais dans le plasma (pouvant atteindre 1 million de degré) constituant les filaments galactiques.
Grâce à ces simulations combinées aux observations effectuées dans les rayons X par le XMM-Newton, les chercheurs ont pu étudier plusieurs filaments galactiques, notamment ceux liés à l’amas Abell 2744 situé à 3.5 milliards d’années-lumière de la Terre, et conclure que la moitié des baryons se trouvaient dans les filaments galactiques de la toile cosmique.
Cependant, le travail ne s’arrêtait pas ici. En effet, il restait encore aux astrophysiciens à mesurer minutieusement l’abondance de noyaux légers issus de la nucléosynthèse primordiale dans chaque filament pour conclure qu’ils abritaient bien les baryons manquants.
Les baryons manquants retrouvés grâce aux quasars
Pour ce faire, les chercheurs décident non plus d’étudier une à une les concentrations de plasma entre chaque galaxie, mais de toutes les étudier simultanément, afin d’obtenir une sorte d’effet SZ global. C’est la méthode que vont utiliser deux équipes distinctes, l’une de l’université d’Édimbourg et l’autre de l’Institut d’Astrophysique Spatiale d’Orsay.
La première utilise 1 million de paires de galaxies tirées du catalogue CMASS, tandis que la seconde utilise 260’000 paires de galaxies lumineuses en infrarouge tirées du catalogue SDSS. Après empilement, combinaison et amplification des images, les résultats ont clairement fait apparaître les concentrations baryoniques — totalement invisibles pour les télescopes optiques — formant les filaments galactiques en nombre correspondant aux prédictions théoriques.
À partir de ces résultats, il ne manquait plus qu’une étape aux scientifiques : mettre concrètement en évidence ces baryons. Pour ce faire, une équipe italo-américaine (Observatoire Astronomique de Rome et le Centre d’Astrophysique du Smithsonian) publie en 2016 une stratégie d’observation basée sur le XMM-Newton.
Grâce au télescope, les astrophysiciens souhaitent détecter les fluctuations de densité d’énergie entre les amas correspondant au WHIM, puis ensuite mesurer l’absorbance de ces régions de surdensité, à partir de la lumière émise par des quasars situés dans leur ligne de visée.
Il y a quelques jours, l’équipe a publié les résultats de ses recherches. Ceux-ci indiquent la présence de deux importants absorbeurs d’oxygène hautement ionisé (O VII) dans le spectre X du blazar (quasar extrêmement compact à l’origine d’un puissant dégagement d’ondes radio) 1ES 1553+113 avec un redshift z > 0.4.
Ces absorbeurs ne présente aucune
variation sur les deux ans d’observation et se trouvent dans des
régions de surdensité (4 fois plus denses que la moyenne).
L’ensemble de ces résultats confirment que les 30-40% de baryons
manquants résident bien dans ces zones de plasma chaud d’oxygène
ionisé.