Quatre millions par litre de liquide, voilà la quantité moyenne de microplastiques libérés lors de la préparation d’un biberon, lorsqu’on le secoue pour homogénéiser le mélange d’eau et de lait en poudre. C’est la conclusion d’une étude menée par des chercheurs du Trinity College de Dublin. Or, les biberons en polypropylène représentent près de 70% des biberons disponibles sur le marché.
Les microplastiques — par définition, des particules de dimension inférieure à 5 mm — sont omniprésents dans notre environnement. On en trouve dans l’eau de mer et l’eau douce, dans les vêtements, dans les cosmétiques et aussi dans l’alimentation. Si leur impact environnemental est aujourd’hui avéré et confirmé par de nombreuses études, leurs effets sur la santé humaine restent à éclaircir.
Plastique et alimentation, une alliance pas si heureuse
Il y a quelques années, la présence de bisphénol A (BPA) dans les biberons — plus généralement dans les contenants alimentaires en plastique — a fait grand bruit. Reconnu comme « substance extrêmement préoccupante » par l’Agence européenne des produits chimiques, notamment en tant que perturbateur endocrinien, le BPA est finalement interdit en France pour la fabrication de biberons tout d’abord (depuis juin 2010), puis dans l’ensemble des contenants alimentaires (en juillet 2015).
Le BPA n’était qu’un composé parmi d’autres, utilisés pour la synthèse de plastiques. Aujourd’hui, des chercheurs irlandais mettent le doigt sur une autre conséquence, potentiellement nocive, de l’utilisation de biberons en plastique : leur étude montre que ces derniers libéreraient d’énormes quantités de microparticules à chaque préparation de lait maternisé, plus précisément, à chaque action mécanique (secouage) dudit biberon.
Pour parvenir à cette conclusion, ils ont réalisé l’expérience suivante : ils ont nettoyé, stérilisé et laissé sécher de tout nouveaux biberons en polypropylène, avant de les remplir d’eau purifiée, chauffée à 70°C (la température recommandée par l’Organisation mondiale de la santé pour les préparations pour nourrissons). Après avoir placé ces biberons sur un agitateur mécanique pendant une minute (pour imiter le secouage effectué par le parent lors du mélange), ils ont filtré, puis analysé l’eau.
John Boland et son équipe ont alors constaté que l’eau contenue dans les biberons contenait en moyenne quatre millions de microplastiques par litre — la valeur la plus élevée atteignant tout de même plus de 16 millions de particules par litre ! Une seconde expérience réalisée avec un mélange d’eau et de lait maternisé a conduit à des résultats similaires. Des chiffres qui dépassent largement les estimations : « Sur la base de recherches qui ont déjà été menées sur la dégradation des plastiques dans l’environnement, nous pensions que les quantités seraient importantes, mais je ne pense pas que quiconque s’attendait aux niveaux très élevés que nous avons trouvés », souligne Boland.
Les chercheurs ont en outre constaté que le fait de secouer un biberon en plastique augmentait la libération de microplastiques. De même, lorsqu’ils ont répété leurs expériences en utilisant de l’eau à différentes températures, ils ont pu observer que la quantité de microplastiques libérés augmentait avec la température.
Ces résultats ne sont finalement guère surprenants et corroborent des recherches antérieures sur le sujet. L’année dernière, une étude parue dans la revue Environmental Science & Technology, avait notamment révélé qu’un seul sachet de thé ou de tisane en plastique rejetait des milliards de microplastiques dans l’eau pendant la durée de l’infusion. Plus précisément, à une température d’infusion de 95°C, ce sont environ 11,6 milliards de particules de plastique qui sont libérées dans une seule tasse.
Des effets sur la santé qui restent flous
Cela peut paraître incroyable, mais à ce jour, les spécialistes ne savent toujours pas si l’ingestion de microplastiques a réellement un impact sur la santé humaine. Alors que ces microplastiques sont de plus en plus présents dans l’eau potable, l’Organisation mondiale de la santé appelle à davantage de recherches sur le sujet. « Il est urgent d’en savoir plus sur les conséquences des microplastiques sur la santé, car ceux-ci sont présents partout, y compris dans l’eau que nous buvons » déclarait l’an dernier Maria Neira, Directrice du Département Santé Publique, environnement et déterminants sociaux de la santé à l’OMS.
L’équipe de Nathalie Tufenkji, de l’Université McGill, qui a mené l’étude sur les sachets de thé en plastique, avait testé la toxicité potentielle des microplastiques en exposant des puces d’eau à de l’eau contenant ces particules : « Les particules n’ont pas tué les puces d’eau, mais ont causé des effets comportementaux importants et des malformations développementales », soulignait Tufenkji dans ses conclusions.
Dans le cas des biberons, le problème est que leur stérilisation et le chauffage du lait — en d’autres termes, de hautes températures propices à la libération de plastiques — sont indispensables pour détruire les bactéries. Par conséquent, les risques posés par les microplastiques sont à mettre en balance avec les risques d’exposition des nourrissons à des bactéries nocives.
Il n’existe actuellement aucune norme pour l’apport quotidien maximal tolérable de particules de plastique. Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour évaluer plus exactement l’exposition aux microplastiques et leurs conséquences potentielles sur la santé humaine. « D’après les informations limitées dont nous disposons, les microplastiques présents dans l’eau de boisson ne semblent pas présenter de risques pour la santé, du moins aux niveaux actuels. Mais nous devons approfondir la question » déclarait Maria Neira dans un communiqué.
En attendant, Boland rappelle qu’il est possible de réduire la quantité de microplastiques générée lors de la préparation des biberons par quelques gestes simples, notamment en minimisant l’exposition du biberon en plastique à la chaleur et aux secousses. Il suggère par exemple de préparer le mélange dans un autre contenant sans plastique, puis de le transférer dans le biberon stérilisé une fois refroidi.