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Biostase : la clé pour la longévité et l’inversion de l’âge biologique ?

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Les technologies de biostase sont explorées depuis quelques années dans le but de prolonger la viabilité des tissus ou des organes, de sorte à disposer d’une plus grande marge pour diverses interventions chirurgicales ou manipulations. Dans cette optique de longévité tissulaire, elles pourraient aussi ouvrir la voie à de nouvelles stratégies pour ralentir le vieillissement. La biostase pourrait-elle ainsi un jour devenir la technique la plus avancée pour freiner le vieillissement ? Nous avons exploré la question avec l’appui d’un groupe d’experts spécialisés dans le domaine.

La biostase (ou animation suspendue) est un phénomène naturel plus ou moins similaire à l’hibernation. Elle permet notamment de suspendre les fonctions de l’organisme à un instant déterminé et de le conserver en l’état sur une période indéterminée. Dans la nature, de nombreux animaux disposent de cette capacité afin de s’adapter à des conditions environnementales défavorables.

Pour survivre à l’hiver, la grenouille des bois (Lithobates sylvaticus) entre par exemple dans un état de biostase en se laissant presque entièrement congeler. Lorsque les températures redeviennent plus clémentes, elle dégèle et retrouve ses fonctions vitales initiales. Certains organismes tolérants à la dessiccation, tels que les tardigrades, peuvent également entrer dans un état de biostase appelé « anhydrobiose ». Dans cette condition, ils suspendent leur métabolisme jusqu’à leur réhydratation.

Des recherches ont suggéré qu’avec des techniques adaptées, cette capacité pourrait être transposée à l’Homme. La biostase permettrait par exemple d’améliorer la conservation de matériel biologique. « Ces technologies pourraient révolutionner la façon dont nous gérons les transplantations d’organes, les soins d’urgence et la distribution de vaccins dans les régions dépourvues d’infrastructures de stockage frigorifique », a expliqué par courriel à Trust My Science Silvia Sánchez-Martinez, biochimiste au Département de biologie moléculaire au Laboratoire Boothby de l’Université du Wyoming (États-Unis).

D’un autre côté, des recherches proposent une vision plus transhumaniste pour l’application de la biostase à l’Homme. Elles suggèrent que la biostase pourrait permettre de prolonger la survie ou de mettre l’organisme « en veille », en attendant la découverte de nouveaux médicaments pouvant empêcher le vieillissement ou la mort.

Cependant, ces applications potentielles se heurtent à des défis techniques de taille. D’autre part, la biostase pour empêcher le vieillissement (ou la mort) suscite beaucoup de scepticisme de la part de la communauté scientifique. La plupart des recherches se concentrent alors davantage sur son exploration pour les soins d’urgence et la conservation du matériel biologique.

Des techniques de biostase sans cryogénie ni réfrigération

La perte de tissus et d’organes due à un (ou des) traumatisme(s) physique(s) ou une maladie engendre des centaines de milliards de dollars de charges médicales chaque année. Afin d’améliorer la survie des cellules ou des organes attendant d’être transplantés, la procédure habituelle consiste à les réfrigérer ou à les cryogéniser avec des agents de conservation chimique. L’hypothermie est également induite artificiellement au cours des chirurgies lourdes, telles que la transplantation cardiaque. Cela est effectué à l’aide de dispositifs de perfusion ex vivo qui ralentissent cliniquement les fonctions organiques des patients.

besoins transplantation
Les besoins mondiaux non satisfaits en matière de transplantation dépassent largement ceux des États-Unis, qui représentent environ 4 % de la population mondiale, alors que le pays effectue 25 % des transplantations d’organes. En comparaison, le continent africain contient environ 16 % de la population mondiale, mais effectue moins de 0,5 % de ses transplantations d’organes. © Transplant Observatory

Cependant, les techniques de réfrigération ou de congélation ne sont pas adaptées à la conservation à long terme et peuvent nuire à l’intégrité des tissus biologiques. D’autre part, les approches de refroidissement mécanique sont difficiles à déployer dans un contexte d’urgence nécessitant de trier et d’échelonner la prise en charge des traumatismes, sans compter les limitations en matière de ressources.

La biostase possède un énorme potentiel pour surmonter ces problèmes en améliorant la survie des patients traumatiques et des organes à transplanter. « La technique la plus prometteuse est probablement l’identification de molécules capables de ralentir ou d’arrêter le métabolisme », avance Sánchez-Martinez dans son e-mail. « Grâce à ces molécules, nous pourrions préserver les organes destinés à la transplantation et potentiellement sauver des vies en gagnant du temps pour le traitement de blessures potentiellement mortelles », suggère-t-elle.

Des expériences sur des reins de porc ont par exemple montré que le sulfure d’hydrogène (H2S) peut induire un état d’hypométabolisme réversible (réduction du métabolisme et de la température corporelle) et ce, sans réfrigération. La molécule a considérablement diminué la consommation en oxygène (jusqu’à 61 %), corrélée à une réduction de la fonction mitochondriale, sans toutefois affecter les niveaux d’ATP.

De leur côté, Sánchez-Martinez et ses collègues ont identifié la protéine CAHS, responsable de l’anhydrobiose chez les tardigrades. Lors d’essais sur des cellules humaines, la protéine a induit une protection contre le stress osmotique, en induisant une résistance au changement de volume et en ralentissant le métabolisme.

« Nous avons utilisé ces protéines pour stabiliser un facteur de coagulation sanguine et nous n’avons utilisé ni cryogénie ni réfrigération », explique la biochimiste. « C’est là tout l’intérêt : abolir la chaîne du froid et les coûts énormes qui découlent du maintien de cette chaîne du froid », précise-t-elle.

Par ailleurs, dans le cadre du programme Biostasis, les chercheurs de Wyss for Biologically Inspired Engineering de l’Université Harvard ont découvert que la SNC80, un analgésique opioïde courant, peut ralentir rapidement (en moins d’une heure) et de manière réversible les activités biochimiques et métaboliques tout en préservant la viabilité des cellules et des tissus.

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Graphique résumant la technique de biostase de Wyss for Biologically Inspired Engineering. © Wyss for Biologically Inspired Engineering

Administré à des têtards dans le cadre d’un essai, le composé a induit une hypothermie et a réduit la nage de 50 % ainsi que la fréquence cardiaque. Une fois le traitement suspendu, l’état des têtards est rapidement revenu à la normale dans les 24 heures, selon un document transmis par l’institut à Trust My Science. Les chercheurs ont également obtenu des résultats positifs avec des tissus humains et porcins.

Cryogénisation : un espoir de «résurrection» dans un futur lointain ?

Toutefois, alors que les recherches précédentes visent à éliminer la réfrigération pour la conservation biologique, la technique la plus connue pour induire la biostase est la cryoconservation. Cela peut impliquer à la fois des organes ou des corps entiers (humains ou animaux). Popularisé par les films de science-fiction, ce type d’intervention est réalisé sur des corps dans l’espoir d’une potentielle réanimation dans un futur lointain, où l’humanité aura peut-être découvert un remède empêchant le vieillissement et sera peut-être capable de guérir la majorité des maladies incurables d’aujourd’hui.

Plusieurs laboratoires dans le monde proposent actuellement des prestations de cryoconservation après une « mort légale ». Pour ce faire, Tomorrow Biostasis, l’un d’entre eux, utilise par exemple une solution cryoprotectrice pour conserver les corps à -196 °C. Plus précisément, pendant le transport vers le laboratoire, le corps est conservé temporairement dans de la glace sèche. Puis, la température de cryogénisation est induite par palier, parallèlement à l’injection de la solution de cryoptection, qui est effectuée par gradient de concentration. Cela permettrait d’éviter la formation de cristaux de glace qui pourraient endommager les tissus. Les perfusions sont arrêtées une fois que le corps du patient a atteint la température et la concentration cibles pour une cryoconservation prolongée.

Toutefois, « même si la renaissance de tissus et de petits organismes tels que les vers a été réalisée avec succès, nous n’avons aucune preuve que la renaissance est possible chez des organismes plus grands et plus complexes comme les humains », a indiqué à Trust My Science Felix Pace, un représentant de Tomorrow Biostasis. Néanmoins, les demandes continuent de croître et selon le laboratoire, plus de 500 personnes ont été cryopréservées à ce jour, tandis que 4 000 autres ont signé pour en bénéficier à leur mort. La majorité des inscriptions provient des États-Unis.

De son côté, Sánchez-Martinez estime que si des animaux complexes, bien que petits (comme les tardigrades), peuvent survivre à ce type de stress, cela est encourageant pour l’application chez l’Homme. Selon elle, ce n’est pas déraisonnable de penser qu’on puisse un jour réveiller des humains suite à une biostase, « mais ce n’est juste pas très réaliste à court terme ». « Le fait que les protéines CAHS puissent ralentir le métabolisme dans les cellules humaines en culture représente une autre étape vers l’utilisation d’approches similaires pour induire la biostase chez l’Homme, mais il reste encore beaucoup à faire », ajoute-t-elle.

La biostase, la clé pour une longévité transcendant la mort ?

La biostase est induite dans le but de ralentir le métabolisme cellulaire jusqu’à le suspendre et ainsi empêcher toute dégradation tissulaire supplémentaire. En d’autres termes, le processus permet de mettre en « pause » le vieillissement biologique. On pourrait ainsi penser qu’elle pourrait être utilisée en tant que stratégie antivieillissement.

Cependant, cela ne semble pas figurer parmi les principaux objectifs des chercheurs dans le domaine. « Je ne vois pas la biostase dans le sens traditionnel de l’anti-âge visant à lutter contre les signes cosmétiques et superficiels du vieillissement ou à être immortel, mais plutôt à arrêter ou à ralentir les processus biologiques afin de préserver l’intégrité cellulaire et tissulaire lors de blessures potentiellement mortelles », estime Sánchez-Martinez.

En revanche, Tomorrow Biostasis et ses adhérents semblent convaincus de la possibilité d’une longévité transcendant la conception même de la mort. « Nos patients ne recherchent pas de solution anti-âge, [mais] ils croient comme nous que la mort n’est pas quelque chose d’inévitable », explique Pace. D’autre part, l’objectif à terme de la cryoconservation ainsi que de l’ensemble des techniques visant à induire une biostase de longue durée est de pouvoir, sans compter les cas de maladies ou accidents incurables, réanimer les patients une fois qu’un traitement antivieillissement efficace aura été découvert et ainsi pouvoir inverser l’âge.

Les recherches concernant l’inversion du vieillissement biologique enregistrent d’ailleurs d’importantes avancées. L’année dernière, des chercheurs ont par exemple développé la première approche chimique permettant de reprogrammer les cellules vers un état plus jeune. D’autres ont développé un composé permettant d’inverser plusieurs marqueurs du vieillissement en ciblant les télomères (les structures surmontant les extrémités des chromosomes et contribuant à leur stabilité). Toutefois, ces techniques nécessiteront encore beaucoup de temps avant une application clinique et la biostase permettrait de patienter jusque là.

Un scepticisme entravant le financement et le soutien aux recherches

Le développement et l’application de ces technologies se heurtent à de nombreux défis à la fois techniques et éthiques. Pour la réussite d’une biostase réversible, il est par exemple essentiel de ralentir les processus cellulaires de manière uniforme afin de ne pas causer de dommages aux tissus. Il faut aussi pallier les impacts potentiels des solutions de conservation sur les tissus, surtout s’il s’agit d’une préservation à long terme. « Les défis que nous rencontrons concernent la toxicité des cryoprotecteurs et le besoin de meilleurs systèmes de perfusion », indique Pace.

Par ailleurs, ces technologies impliquent un large éventail de disciplines scientifiques. Cela nécessite des collaborations et des processus d’innovation optimaux, ce qui n’est pas toujours facile. En outre, ces techniques ont tendance à susciter le scepticisme et la controverse en raison de leur aspect transhumaniste. Afin de surmonter ces obstacles, Tomorrow Biostasis a par exemple délibérément sous-traité le stockage des patients à un laboratoire basé en Suisse, afin de bénéficier de la stabilité et du respect de l’État de droit exceptionnels du pays.

D’un autre côté, « le scepticisme du public et la présentation de la biostase dans les médias comme de la science-fiction peuvent entraver le financement et le soutien à la recherche », indique Sánchez-Martinez. Néanmoins, il existe des organismes spécialisés dans l’aide à la collecte de financements pour la recherche sur la bioconservation, tels que l’Organ Preservation Alliance. À l’aide de la contribution de ce dernier, le besoin de techniques de biostase de nouvelle génération a par exemple été au centre des tables rondes à la Maison-Blanche et au Capitole, ainsi que des nouvelles initiatives de l’American Society of Transplantation. Un article de consensus rédigé par plus de 40 scientifiques et médecins de notoriété, dont des dirigeants de grandes sociétés médicales et des lauréats du prix Nobel et du prix Breakthrough, a également été publié. Ces efforts ont permis de lever près de 300 millions de dollars de fonds pour les recherches dans le domaine.

Dans l’ensemble, les derniers progrès dans le domaine suggèrent que les technologies de biostase pourraient être transformatrices pour la civilisation humaine. Toutefois, cela nécessitera des avancées médicales considérables qui ne pourront voir le jour que d’ici des décennies ou siècles. Afin d’y parvenir, « il est essentiel de surmonter les idées fausses et de démontrer les avantages pratiques et les fondements scientifiques des technologies de biostase pour progresser », conclut Sánchez-Martinez.

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