Des chercheurs coréens ont créé pour la toute première fois du riz au bœuf en cultivant des cellules souches musculaires squelettiques et adipeuses bovines dans des grains de riz. Le nouvel aliment hybride est plus nutritif que le riz ordinaire tout en présentant un risque réduit d’allergie en comparaison à d’autres viandes de synthèse. À terme, il pourrait constituer une alternative protéique à la fois plus abordable et à moindre empreinte carbone que la viande de bœuf.
La crise climatique actuelle exige une transformation de notre système de production alimentaire. En effet, la production alimentaire — de la plantation ou l’élevage à la consommation — figure parmi les principales sources d’émissions de carbone dans le monde. La viande de bœuf est particulièrement pointée du doigt pour son lourd impact sur l’environnement, libérant près de 50 kilogrammes de CO2 pour 100 grammes de protéines.
La pression exercée sur l’environnement pour la production alimentaire s’accentue à mesure que la population mondiale augmente. Mis à part les enjeux environnementaux, une crise alimentaire mondiale est inévitable sans système alimentaire durable. De nombreuses sources alternatives de protéines sont explorées dans ce but, telles que les protéines dérivées d’insectes, les algues et la viande de culture. Cependant, les solutions proposées jusqu’ici présentent de nombreuses limites en matière de reproductibilité technique, de saveur, de valeurs nutritionnelles, de compétitivité des prix et de réduction des impacts environnementaux.
Les aliments dits hybrides, composés à la fois d’ingrédients d’origine végétale et animale (cultivés ou non en laboratoire), montrent un grand potentiel pour une alimentation à la fois durable, saine et abordable. Dans ce contexte, des chercheurs de la prestigieuse université sud-coréenne de Yonsei ont développé un hybride de riz et de bœuf qui semble présenter tous ces avantages à la fois.
« Imaginez obtenir tous les nutriments dont nous avons besoin à partir de riz protéiné de culture cellulaire », explique dans un communiqué de l’Université de Yonsei, Sohyeon Park, auteur principal de l’étude. « Le riz contient déjà un niveau élevé de nutriments, mais l’ajout de cellules provenant du bétail peut encore l’augmenter », ajoute-t-il. Les résultats de l’étude expérimentale sont détaillés dans la revue Matter.
Un risque réduit d’allergies, un goût amélioré et une empreinte carbone réduite
Chez les organismes complexes, des échafaudages biologiques guident et soutiennent la croissance des cellules pour former des tissus et des organes tridimensionnels. Afin de cultiver leur viande, les chercheurs de Yonsei ont imité cet environnement en utilisant du riz. Les grains de riz possèdent notamment une structure poreuse et organisée, pouvant servir d’échafaudage pour la croissance des cellules bovines.
D’autre part, le riz contient des nutriments essentiels tels que les glucides, les lipides et les protéines (végétales), ainsi que des minéraux tels que le phosphore, le calcium et le magnésium. Il contient également des nutriments fonctionnels, tels que la glutéline et l’acide folique, qui jouent un rôle essentiel dans l’activité métabolique des cellules musculaires squelettiques. Dans un environnement de culture cellulaire, les grains de riz peuvent ainsi servir de substrat nutritif favorisant la prolifération cellulaire.
En outre, le riz est un ingrédient présentant une moindre incidence allergique. Il est en effet important de noter que des viandes cultivées utilisant du soja ou des noix comme échafaudage ont déjà été proposées. Cependant, ces ingrédients sont des allergènes courants. De plus, ils ne sont compatibles qu’avec un nombre restreint de types de cellules, ce qui entraîne un excès d’utilisation d’additifs pour aromatiser le produit final.
De leur côté, les chercheurs coréens ont utilisé à la fois des cellules musculaires squelettiques et des cellules adipeuses pour reproduire au mieux le goût, la texture et la valeur nutritionnelle de la viande naturelle. Pour ce faire, ils ont d’abord enduit le riz de gélatine de poisson — un ingrédient sain et comestible proche de la texture de la matrice extracellulaire et permettant aux cellules de mieux adhérer aux grains. Des enzymes ont également été ajoutées pour stimuler la prolifération cellulaire. Les cellules souches musculaires et adipeuses bovines ont ensuite été ensemencées dans le riz, puis mises en culture pendant 9 à 11 jours.
Après analyse, « je ne m’attendais pas à ce que les cellules se développent si bien dans le riz », a indiqué Park. Selon l’équipe, le produit final répond parfaitement aux exigences de sécurité alimentaire et des normes nutritionnelles. Pour caractériser le riz au bœuf et en venir à cette conclusion, les chercheurs l’ont cuit à la vapeur et analysé sa valeur nutritionnelle, les arômes qu’il dégage et sa texture — selon les protocoles utilisés par les industries agroalimentaires.
Les résultats ont révélé qu’il contenait 8 % plus de protéines et 7 % plus de lipides que le riz ordinaire. Quant à sa texture, le riz rosâtre est plus ferme et plus cassant après la cuisson. La teneur plus élevée en cellules musculaires lui donne un subtil arôme de viande de bœuf cuite et d’amande, tandis que les lipides amènent des arômes de crème, de beurre et d’huile de noix de coco.
Par ailleurs, la production de ce riz hybride libérerait moins de 6,27 kilogrammes de CO2 pour 100 grammes, soit à peu près l’équivalent de l’empreinte carbone de la viande de poulet. S’il était commercialisé, il coûterait environ 2,23 dollars le kilogramme, contre 14,88 dollars pour le bœuf. Toutefois, l’équipe prévoit avant cela de développer de meilleures conditions de culture pour augmenter davantage la valeur nutritionnelle du produit. « Maintenant, je vois un monde de possibilités pour cet aliment hybride à base de céréale. Cela pourrait un jour servir de secours alimentaire en cas de famine, de ration militaire ou même de nourriture spatiale », conclut Park.