Tandis que le paludisme continue de faire des ravages dans plusieurs régions du monde, les scientifiques tentent de trouver de nouvelles solutions pour contourner la résistance développée par ces nuisibles aux différents insecticides utilisés. Récemment, des chercheurs ont modifié génétiquement un champignon afin de lui faire produire une toxine ciblant spécifiquement les moustiques. Les résultats, prometteurs, montrent que ce champignon pourrait être la prochaine arme de lutte contre le paludisme.
Dans les années 1980, le village de Soumousso au Burkina Faso a contribué au lancement de l’une des armes les plus puissantes contre le paludisme : les moustiquaires imprégnées d’insecticide, qui avaient fait l’objet d’essais sur le terrain et sauvé des millions de vies. Mais comme les moustiques ont développé une résistance aux insecticides largement utilisés, les moustiquaires ont perdu de leur efficacité.
Aujourd’hui, les chercheurs espèrent que le village pourra contribuer de nouveau en testant une nouvelle contre-mesure : un champignon génétiquement modifié qui tue les moustiques porteurs du paludisme. Lors d’essais menés dans une structure de 600 mètres carrés à Soumousso appelée MosquitoSphere, construite comme une serre mais avec une moustiquaire au lieu de verre, le champignon a éliminé 99% des moustiques en un mois, rapportent les scientifiques dans la revue Science.
« C’est incroyable de pouvoir éliminer les moustiques résistants aux insecticides à un tel niveau » déclare l’entomologiste Marit Farenhorst de In2Care, une société de lutte contre les moustiques basée à Wageningen, aux Pays-Bas. Mais Farenhorst, qui n’a pas participé à l’étude, souligne que le champignon est encore loin d’une utilisation sur le terrain.
Champignon génétiquement modifié et lutte contre le paludisme
Parce qu’il est génétiquement modifié pour le rendre plus meurtrier, il pourrait se heurter à de lourds obstacles réglementaires. Le champignon présente également des avantages évidents : il épargne les insectes autres que les moustiques et, comme il ne survit pas longtemps au Soleil, il est peu probable qu’il se propage à l’extérieur du bâtiment où il serait appliqué.
Les champignons infectent naturellement divers insectes, consommant les tissus de l’hôte pour se reproduire, et ils sont utilisés depuis des décennies pour lutter contre une grande variété de ravageurs des cultures. En 2005, des chercheurs ont testé un champignon appelé Metarhizium dans des huttes d’essais en Tanzanie, et ont découvert qu’il avait tué des moustiques vecteurs du paludisme.
Mais cela a été lent, et beaucoup de moustiques infectés ont survécu suffisamment longtemps pour transmettre le paludisme. Il était également difficile de s’assurer que les moustiques absorbent une dose mortelle de spores. Depuis lors, les chercheurs ont testé des dizaines de souches fongiques différentes contre des moustiques vecteurs de maladies, mais aucune n’était suffisamment efficace pour passer au test suivant.
Champignon et venin d’araignée : une arme de lutte efficace contre les moustiques
Ainsi, des chercheurs de l’Université du Maryland (UMD) et du Centre Muraz à Bobo-Dioulasso au Burkina Faso, ont doté la souche appelée M. pingshaense d’un gène codant une toxine isolée du venin d’araignée, qui s’active quand elle entre en contact avec l’hémolymphe, c’est-à-dire le sang des insectes.
En laboratoire, l’équipe a montré que sa création pouvait tuer les moustiques plus rapidement et que seulement une ou deux spores pouvaient causer une infection mortelle. « Mais il est difficile de reproduire les complexités de la nature en laboratoire » explique l’entomologiste de l’UMD, Brian Lovett.
Le Burkina Faso était un lieu prometteur pour un essai sur le terrain : contrairement à de nombreux pays d’Afrique, il dispose d’un système bien établi pour évaluer et approuver l’utilisation d’organismes génétiquement modifiés. Il possède également l’un des taux de paludisme les plus élevés au monde et les moustiques résistants aux insecticides sont très répandus. Pour ces raisons, entre autres, les instituts nationaux de la santé des États-Unis ont financé MosquitoSphere, spécialement conçu pour tester les organismes génétiquement modifiés.
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Les chercheurs ont collaboré avec les résidents locaux pour collecter des larves résistantes aux insecticides dans des piscines peu profondes et les ont élevées jusqu’à l’âge adulte à l’intérieur de l’établissement. Après avoir piqué, les moustiques femelles préfèrent se reposer sur une surface de couleur sombre. L’équipe a donc mélangé le champignon dans de l’huile de sésame produite localement et réparti l’huile sur des draps de coton noir, qu’ils ont accrochés dans les compartiments de test de la sphère.
L’équipe a comparé des draps traités avec un champignon de type sauvage, le champignon transgénique et une huile sans champignon. Ils ont libéré 500 moustiques femelles et 1000 mâles dans chaque compartiment et leur ont donné un veau pour se nourrir, deux nuits par semaine. Après deux générations — 45 jours — il y avait jusqu’à 2500 moustiques adultes dans le compartiment de contrôle, environ 700 dans le compartiment avec un champignon de type sauvage, et seulement 13 dans le compartiment avec le champignon OGM.
Des résultats prometteurs pour un développement industriel
« C’est une étude élégante » déclare Farenhorst. Cependant, elle note que l’approbation d’un champignon génétiquement modifié demandera beaucoup de temps et d’argent dans de nombreux endroits, et que les groupes anti-GM pourront s’y opposer. « Je ne suis pas convaincu que ce soit la voie à suivre ».
Mais Gerry Killeen, spécialiste du paludisme à l’Ifakara Health Institute de Dar es Salaam, en Tanzanie, estime que le champignon transgénique pourrait avoir un avantage par rapport à ceux trouvés dans la nature : s’il pouvait être breveté, il serait plus facile de le transformer en un produit intéressant, à développer et à commercialiser.
« Le principal obstacle aux nouveaux outils de contrôle du paludisme n’est pas le manque de technologies ou d’imagination, mais bien l’absence de marché » explique-t-il. Et comme le champignon transgénique a besoin de si peu de spores pour provoquer une infection mortelle, le produit pourrait être plus durable et moins cher que les champignons non modifiés. « Si cette technologie a le potentiel de réduire les coûts et d’allonger la durée de vie du produit, simplement en étant plus puissante, il faut essayer ! » conclut Killeen.