Des biologistes américains se sont intéressés aux champignons Aspergillus, une famille qui regroupe plus de 250 espèces de champignons multicellulaires filamenteux. Certains de ces organismes peuvent provoquer des infections très graves chez les personnes immunodéprimées, tandis que d’autres sont inoffensifs. Or, en examinant des patients atteints de maladies pulmonaires, les spécialistes ont découvert un hybride d’Aspergillus. C’est la première fois qu’une moisissure hybride capable d’infecter les humains est identifiée.
Cette découverte est fondamentale, car seule l’identification précise de l’espèce responsable de la maladie chez l’Homme permettra la mise en place de mesures adéquates pour contrôler l’infection fongique. Les champignons Aspergillus affectent des millions de patients et provoquent des centaines de milliers d’infections potentiellement mortelles chaque année.
Des différences pas toujours faciles à distinguer
L’une des espèces d’Aspergillus les plus étudiées est l’Aspergillus nidulans, un champignon relativement commun et inoffensif la plupart du temps. Pour identifier l’espèce à l’origine d’une infection, les laboratoires procèdent généralement à une observation au microscope des cultures de champignons. Cette méthode s’avère pourtant peu fiable, car certaines espèces proches d’Aspergillus sont trop ressemblantes et ne peuvent être distinguées les unes des autres par leur simple aspect physique.
Pour contourner le problème et étudier différentes souches d’A. nidulans – afin d’examiner leur capacité à provoquer des maladies – les chercheurs ont décidé d’analyser leur génome. Ils ont alors découvert, avec étonnement, qu’ils n’avaient pas recueilli des échantillons d’A. nidulans comme ils le croyaient, mais d’A. latus, un proche parent.
Ils découvrirent rapidement que A. latus est en réalité une espèce hybride, fruit de la fusion des génomes de deux autres espèces : A. spinulosporus et un proche parent inconnu jusqu’alors, A. quadrilineatus. Les patients concernés étaient non seulement porteurs d’une infection causée par une espèce différente de celle qui était suspectée, mais les chercheurs étaient en présence du tout premier hybride d’Aspergillus capable de provoquer une maladie humaine !
À noter que d’autres champignons hybrides capables d’entraîner des infections chez l’Homme sont bien connus des experts, mais il s’agit de champignons unicellulaires : les levures. Plusieurs hybrides de levure peuvent par exemple provoquer une cryptococcose (une infection pulmonaire, plus rarement cutanée, contractée par inhalation) ou une candidose (une infection qui touche la peau, les muqueuses, la sphère oropharyngée ou l’œsophage ; dans de rares cas, elle peut entraîner une septicémie). Pour l’hybride de moisissure, c’est une première !
Toutes les espèces d’Aspergillus pathogènes ne présentent pas les mêmes taux d’infection : environ 70% des infections sont causées par A. fumigatus, alors que les 30% restants proviennent d’autres espèces du genre. La question est : pourquoi certaines espèces d’Aspergillus sont si dangereuses, tandis que d’autres sont inoffensives ? Jacob Steenwyk et Antonis Rokas, biologistes à l’Université Vanderbilt et auteurs de plusieurs publications sur le sujet, n’ont pas encore d’explication précise. Le mélange des caractéristiques génétiques y est cependant sûrement pour quelque chose.
De nouveaux caractères génétiques favorisant l’infection
En effet, les hybrides, par définition, héritent du matériel génétique des deux parents, ce qui entraîne une nouvelle combinaison des caractères. Et c’est ce mélange qui va faciliter leur évolution et leur capacité à provoquer des maladies : comme on peut le constater chez les hybrides d’autres espèces, l’individu créé est parfois doté de nouveaux caractères qui lui permettent de s’adapter à des conditions dans lesquelles aucun des parents n’aurait pu évoluer. Les chercheurs ont estimé que les parents de A. latus étaient l’un l’autre génétiquement similaires à environ 93% (soit tout autant apparentés que l’Homme et le lémurien). Le fait est que l’hybride issu de leur croisement est doté de capacités que les parents n’ont pas.
Comment est apparu cet hybride d’Aspergillus ? Un hybride peut naturellement être obtenu par un accouplement entre deux individus de deux espèces différentes (à l’instar de la jument et de l’âne, qui en s’accouplant donnent naissance à un mulet ou une mule). Une autre voie consiste à fusionner du matériel génétique à partir de cellules de différentes espèces. C’est a priori ce chemin que semble avoir emprunté A. latus. En effet, cet hybride affiche tout en double par rapport aux espèces parentales : un génome deux fois plus grand, deux fois plus de gènes, etc.
L’énorme différence par rapport à d’autres espèces hybrides qui sont la plupart du temps stériles, est que A. latus était capable de se reproduire à la fois asexuellement (c.-à-d. sans partenaire) et sexuellement. Les chercheurs ont également analysé la manière dont A. latus et A. nidulans interagissaient avec les cellules du système immunitaire humain : il se trouve que ce dernier était bien moins efficace face à A. latus que face à A. nidulans, ce qui suggère que le champignon hybride pourrait être plus difficile à identifier et à détruire pour notre système immunitaire.
Connaître l’identité exacte d’un champignon pathogène est une information essentielle pour parvenir à contenir les infections fongiques : « Nous avons constaté que A. latus était trois fois plus résistant que A. nidulans à l’un des médicaments antifongiques les plus courants, la caspofungine », expliquent, à titre d’exemple, les spécialistes.
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En pleine pandémie de COVID-19, les recherches menées par Steenwyk et Rokas pour comprendre l’action des espèces pathogènes d’Aspergillus montrent tout leur intérêt : une étude récente menée à l’hôpital universitaire de Cologne révèle en effet qu’une certaine proportion de patients atteints de COVID-19 (environ 25%) sont également infectés par Aspergillus ! Or, ces infections fongiques sont susceptibles de favoriser ou d’aggraver les symptômes inhérents au nouveau coronavirus. Les deux biologistes soulignent toutefois qu’il est encore trop tôt pour établir un lien, par manque de tests systémiques chez les patients.