La septicémie (ou sepsis) est l’une des premières causes de mortalité dans le monde. Il s’agit d’une urgence médicale qui doit être prise en charge au plus vite. Mais il se trouve que de nombreux patients qui parviennent à survivre développent ultérieurement des troubles psychiatriques graves (dépression, anxiété, trouble de stress post-traumatique, etc.), entraînant une augmentation des taux de suicide. Parce que les mécanismes impliqués dans la survenue de ces troubles sont mal compris, il n’existe à ce jour aucun traitement spécifique pour les prévenir ou les limiter. Une étude apporte aujourd’hui des éléments de réponse qui pourraient ouvrir la voie à de nouvelles stratégies thérapeutiques.
Le sepsis désigne une réponse inflammatoire généralisée potentiellement mortelle, associée à une infection grave souvent résistante aux antibiotiques ; cette dernière débute généralement localement et peut concerner n’importe quelle partie du corps (péritonite, infection urinaire, pneumonie, etc.). Les nouveau-nés, de même que les personnes âgées ou immunodéprimées sont les plus vulnérables ; bien que plus rarement, le sepsis peut également survenir chez des personnes jeunes et en bonne santé (suite à une infection nosocomiale, une méningite ou à un syndrome du choc toxique par exemple).
S’il n’est pas pris en charge rapidement, le sepsis peut entraîner un choc septique, une défaillance multiviscérale, puis la mort. Au niveau mondial, on estime à 11 millions le nombre de décès par an des suites d’un sepsis, ce qui représente près de 20% de tous les décès. Par ailleurs, le syndrome post-septique comprend des troubles psychiatriques à long terme (anxiété persistante, trouble de stress post-traumatique, etc.), dont les mécanismes neurobiologiques restent inconnus. Une équipe de scientifiques de l’Institut Pasteur et de cliniciens du Groupe hospitalier universitaire de psychiatrie et neurosciences de Paris est parvenue à identifier le circuit neuronal impliqué dans le développement de ces troubles.
Des troubles liés au « système d’alerte » du cerveau
Outre le comportement maladif typique du sepsis, 50 à 70% des patients développent une encéphalopathie, caractérisée par des altérations électroencéphalographiques et des troubles de la conscience, allant du délire au coma, qui augmentent fortement la morbidité et la mortalité à court terme. Il apparaît que certaines régions cérébrales sont préférentiellement ciblées : des études du cerveau de patients décédés de septicémie ont révélé une forte activation neuronale et une apoptose (mort cellulaire) dans des zones spécifiques, notamment le tronc cérébral et l’amygdale.
L’amygdale est une région cérébrale située dans la région antéro-interne du lobe temporal ; elle se compose de deux groupes de noyaux : la région basolatérale et la région centrale (CeA). Elle est considérée comme le système d’alerte du cerveau, car elle est impliquée dans les réponses comportementales associées à la peur et à l’anxiété. En effet, elle évalue en permanence les informations sensorielles qu’elle perçoit afin d’orienter les réactions de l’individu.
Du comportement défensif contrôlé par la CeA peut émerger une réponse inadaptée, soutenue et différée. Cette réponse est caractérisée par une surestimation du potentiel de menace dans des situations incertaines et implique un circuit centré sur l’amygdale, dont le dysfonctionnement a été mis en évidence dans divers troubles psychiatriques. De plus, il a été démontré que l’amygdale étendue — soit la CeA et le noyau de la strie terminale (BNST) — joue un rôle prédominant dans l’issue des troubles liés à l’anxiété.
Pour étudier le lien causal entre le dysfonctionnement cérébral induit par la septicémie pendant la phase aiguë et le développement ultérieur de l’expression de la peur de type syndrome de stress post-traumatique (SSPT), les chercheurs ont utilisé des modèles murins de sepsis — de précédentes études ayant montré que les souris présentent elles aussi des comportements anxieux et une peur exagérée plusieurs semaines après une septicémie induite par une infection intra-abdominale.
Un potentiel traitement via un anti-épileptique courant
Les chercheurs ont découvert que le sepsis induisait une activation pathologique aiguë et transitoire d’un circuit spécifique de l’amygdale étendue — il s’agit précisément des neurones PKCδ+ de la CeA se projetant vers le BNST. Or l’inhibition de cette sous-population neuronale au moment de la phase aiguë de la septicémie a empêché le développement de symptômes de type SSPT après la septicémie. « Cette découverte ouvre la voie à de nouvelles stratégies thérapeutiques du sepsis : nous avons observé que l’administration d’un agent capable de prévenir l’hyperactivation de ce circuit réduit les risques de développer des troubles anxieux », explique dans un communiqué le Pr Pierre-Marie Lledo, chercheur à l’Institut Pasteur et co-auteur de l’étude.
Comme agent inhibiteur, l’équipe a utilisé du lévétiracétam, un médicament anticonvulsivant, fréquemment utilisé chez les patients épileptiques et très bien toléré. Il s’agit d’un inhibiteur présynaptique de la libération des neurotransmetteurs et l’équipe a souhaité tester son action sur l’activation neuronale des circuits de l’amygdale. À noter que le lévétiracétam permet également de restaurer les activités alpha et bêta en réduisant les activités delta et thêta chez les patients épileptiques ; or, l’encéphalopathie associée au sepsis est caractérisée par un déplacement des activités alpha et bêta vers des activités delta et thêta accrues.
Les résultats sont très encourageants : le traitement par lévétiracétam pendant la phase aiguë du sepsis (il a été administré toutes les 12 heures pendant les 48 premières heures suivant l’infection) a supprimé l’activation neuronale transitoire dans les neurones de la CeA se projetant vers BNST et a atténué les troubles comportementaux à long terme.
Cette étude a permis d’identifier à la fois le circuit neuronal dédié à l’anxiété post-septicémie et un potentiel traitement pharmacologique. Ce dernier sera prochainement testé dans un essai thérapeutique randomisé multicentrique. « En révélant le lien entre neuroinflammation et troubles psychiatriques, cette recherche entre en résonance avec le contexte actuel de pandémie de COVID-19 et de long COVID », note l’équipe. Les troubles psychiatriques post-covid concernent en effet plus de 20% des patients quatre mois après une hospitalisation pour infection aiguë de COVID-19.