Les régimes riches en graisses et en sucre sont pointés du doigt depuis des années comme cause majeure de l’obésité. Cependant, il n’existe pas encore de véritable consensus indiquant lequel de ces deux facteurs a priori incompatibles est le principal responsable. Une nouvelle analyse les unifie pour la première fois en suggérant qu’ils convergent vers un principal composé en amont : le fructose. Ce sucre réduirait les niveaux d’énergie disponible au niveau des cellules, incitant ainsi à consommer toujours plus gras et en plus grande quantité.
Parmi les facteurs connus de l’obésité figure l’excès d’apport calorique associé à un manque d’activité physique, conduisant à une accumulation de graisse. Bien que cela puisse se produire par le biais de tout aliment consommé de manière excessive, il est généralement admis que ceux à forte densité énergétique, riches en graisses (plus précisément ceux contenant au moins deux fois plus de calories que les glucides et les protéines) sont les principaux responsables.
D’un autre côté, « l’hypothèse glucide-insuline » suggère que l’obésité est principalement induite par la consommation excessive d’aliments riches en sucre de table (saccharose) ou en glucides à indice glycémique élevé (tels que l’amidon). Cela conduit à une accumulation de glucose, en grande partie sous forme de dépôts adipeux. D’autres hypothèses plus récentes suggèrent un déficit d’apport protéique et un excès de graisses polyinsaturées (trouvées dans les huiles de graines telles que le soja).
Dans l’ensemble, toutes ces hypothèses convergent vers l’implication du régime « fastfood » en tant précurseur de l’obésité. Cependant, chacune se concentre sur un groupe de nutriments distinct. Cela a amené la plupart des nutritionnistes à penser qu’elles sont incompatibles et à explorer des approches thérapeutiques et nutritionnelles fondamentalement différentes. En effet, certains recommandent par exemple de réduire spécifiquement la consommation de sucres et de glucides tout en favorisant les aliments riches en graisses (régime kéto). Inversement, d’autres recommandations sont principalement orientées vers la réduction de ces derniers.
Une nouvelle étude publiée dans la revue spécialisée Obesity suggère pour la première fois que ces hypothèses ne sont pas incompatibles et peuvent être unifiées autour d’un seul facteur tangible. « Essentiellement, ces théories, qui placent une litanie de facteurs métaboliques et alimentaires au centre de l’épidémie d’obésité, sont toutes les pièces d’un puzzle unifiées par une dernière pièce : le fructose », explique dans un communiqué l’auteur principal de l’étude, Richard Johnson, de l’Université du Colorado. Baptisée « hypothèse de la survie du fructose », elle rassemble notamment la plupart de celles impliquées dans la pathogénicité de l’obésité, y compris les deux plus connues et considérées comme les plus incompatibles : la théorie du bilan énergétique et le modèle glucide-insuline.
Une réduction de l’énergie disponible au niveau des cellules
Selon l’hypothèse classique conduisant à l’obésité, l’accumulation de graisses au niveau des tissus résulte de l’ingestion de plus d’énergie que nécessaire. Cela suggère qu’une partie de l’énergie que nous ingérons est destinée à la restauration de celle active au niveau des cellules (sous forme d’adénosine triphosphate, ou ATP) tandis que celle en excès est stockée sous forme de graisse. Cependant, les chercheurs de la nouvelle étude proposent que cela ne fonctionne pas exactement de cette manière.
En effet, l’apport calorique a pour principale fonction de restaurer les réserves d’ATP, et lorsque cela se produit, une sensation de satiété est normalement déclenchée. Cependant, l’ingestion de fructose induit un processus différent. Dans un état de dénutrition, il agit comme n’importe quel nutriment en restaurant les réserves d’ATP. Cependant, dans un état d’apport calorique optimal, il réduit l’ATP au niveau des cellules tout en inhibant sa restauration à partir des réserves de graisses, par le biais du blocage de l’oxydation des acides gras. Cela entrave le processus normal de satiété et incite à consommer toujours plus de nourriture principalement hypercalorique — un cercle vicieux qui conduit inévitablement à l’accumulation de graisses et ainsi à la prise de poids.
« Identifier le fructose comme le canal qui redirige le remplacement actif de l’énergie vers le stockage des graisses montre que le fructose est à l’origine du déséquilibre énergétique, ce qui unit les théories », indique Johnson. Cela signifie que le mécanisme de la survie du fructose agit en amont des autres mécanismes précédemment mentionnés. Le fructokinase C [KHK-C], l’enzyme spécifique médiant ce processus, pourrait potentiellement constituer une cible thérapeutique prometteuse contre l’obésité.
« Le fructose est ce qui déclenche notre métabolisme, qui passe en mode faible consommation et perd le contrôle de notre appétit, mais les aliments gras deviennent la principale source de calories qui entraînent une prise de poids », explique Johnson. Il est important de savoir que ce sucre est naturellement présent dans les fruits et le miel et ne constitue pas nécessairement un problème en étant consommé de manière équilibrée. Mais sa présence en abondance dans la nourriture et boissons artificiellement sucrées peut nuire à la santé.
À noter également qu’il s’agit d’un mécanisme de survie qui, dans d’autres contextes, est essentiel. Lorsque nous avons faim et manquons d’énergie active, notre organisme se met en mode survie et cherche à accumuler des nutriments. Selon les experts de l’étude, ce modèle est bien représenté chez les animaux qui hibernent et qui savent que lorsque les niveaux d’énergie baissent à l’approche de l’hiver, il faut se préparer en stockant de la graisse. C’est pourquoi les ours, par exemple, consomment beaucoup de fruits avant d’hiberner. Bien que des travaux supplémentaires soient nécessaires afin de véritablement corroborer l’hypothèse de la survie du fructose, il s’agit d’un pas de plus vers une compréhension plus complète de l’obésité.