Des chercheurs mettent au point un matériau intelligent, capable d’adapter ses propriétés physiques selon la situation

réseau neuronal mécanique
Photo du prototype de réseau neuronal mécanique mis au point par Lee et al. | Jonathan Hopkins - CC BY-ND
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Imaginez un avion dont les ailes se transforment de façon autonome pendant le vol pour limiter les turbulences et garantir une efficacité optimale. Si le concept revêt pour l’instant de la science-fiction, les recherches d’une équipe du Département de génie mécanique et aérospatial de l’Université de Californie, à Los Angeles, pourraient tout à fait conduire à ce type d’application. Ils ont en effet mis au point un matériau architecturé intelligent, capable d’apprendre à ajuster la rigidité des connexions entre ses composants selon les contraintes environnantes.

À l’exception de certains tissus vivants, peu de matériaux peuvent apprendre de manière autonome à présenter les comportements souhaités à la suite d’une exposition prolongée à des scénarios de charge ambiante imprévus, notent les chercheurs dans Science Robotics. Plus rares encore sont les matériaux qui peuvent continuer à présenter des comportements appris antérieurement en cas de conditions changeantes (telles que des niveaux croissants de dommages internes, des charges externes fluctuantes, etc.) tout en acquérant de nouveaux comportements mieux adaptés à la situation.

Pour combler ce manque, des chercheurs ont développé ce qu’ils nomment un réseau de neurones mécaniques (ou MNN pour mechanical neural network), capable d’apprendre à ajuster la rigidité des connexions entre ces composants physiques de la même manière que les réseaux de neurones artificiels imitant le cerveau humain ajustent leurs poids. « Ce travail jette les bases de matériaux à intelligence artificielle qui peuvent apprendre des comportements et des propriétés », résument-ils.

Un réseau mécanique qui ajuste automatiquement sa forme

Les réseaux de neurones artificiels, qui sont à la base de nombreux modèles d’intelligence artificielle modernes, sont inspirés du fonctionnement des neurones du cerveau humain : ainsi, tout comme le cerveau apprend de nouveaux comportements en renforçant les connexions synaptiques, les réseaux de neurones artificiels apprennent en ajustant les valeurs numériques représentant ces connexions. Le réseau de neurones mécaniques dont il est question ici fonctionne sur le même principe, si ce n’est que le poids des connexions entre les neurones est remplacé par des connexions physiques à rigidité variable.

« Nous avons émis l’hypothèse qu’un réseau mécanique avec des nœuds physiques pourrait être formé pour prendre certaines propriétés mécaniques en ajustant la rigidité de chaque connexion », explique Ryan Lee, doctorant en génie mécanique et aérospatial à l’Université de Californie et premier auteur de l’étude. En d’autres termes, au lieu de traiter des données numériques, le MNN traite les forces qui lui sont appliquées, en se tordant et en modifiant sa forme en conséquence. « Si un MNN est endommagé, coupé pour occuper un autre volume ou fixé différemment, il peut alors réapprendre des comportements précédemment maîtrisés et acquérir de nouveaux comportements au besoin », précise l’équipe dans son article.

schéma réseau neuronal mécanique
(A) Modèle de conception assistée par ordinateur et (B) photo du réseau neuronal mécanique utilisé dans le cadre de l’étude expérimentale. © R. H. Lee et al.

Pour mettre en pratique ce concept, Lee et ses collègues ont tout d’abord construit un modèle informatique de ce réseau mécanique : ils ont défini la forme souhaitée ainsi que les forces d’entrée, puis à l’aide d’un algorithme, ils ont ajusté les tensions de connexions de manière à ce que les forces d’entrée produisent la forme souhaitée.

Ils ont finalement construit un réseau d’environ 45 sur 60 centimètres, constitué de 21 ressorts électromécaniques réglables, disposés sous forme triangulaire — qui s’est avérée la meilleure forme possible pour obtenir toutes les configurations souhaitées. Les connexions mesurent environ 15 centimètres ; chacune est équipée d’un petit moteur linéaire, qui peut modifier sa rigidité. Le matériau « tire ses propriétés principalement de la géométrie et des caractéristiques spécifiques de sa conception plutôt que de ce dont il est fait », souligne Lee.

Pour une longévité et une efficacité accrues des structures

Une fois le réseau entraîné — ce qui signifie que la rigidité des connexions a été réglée de manière à pouvoir réaliser un ensemble de tâches — le matériau était capable d’apprendre et de changer de forme en fonction des forces qui lui étaient appliquées. Il était ainsi capable de s’adapter à n’importe quelle condition changeante ou inconnue.

Selon Lee, un tel matériau serait idéal pour la conception des ailes d’avion : face à l’accumulation de dommages internes, à des changements dans la façon dont l’aile est attachée à la carlingue, ou encore à un coup de vent violent inattendu, le réseau neuronal mécanique renforcerait ses connexions en conséquence ; l’aile deviendrait au fil du temps (et des ajustements) plus solide et l’avion atteindrait une efficacité et une maniabilité accrues à mesure qu’il accumule de l’expérience de vol.

« Ce type de matériau pourrait avoir des applications de grande envergure pour la longévité et l’efficacité des structures construites », a déclaré Lee. Non seulement l’aile d’avion pourrait gagner en robustesse, mais il pourrait être possible de pousser le concept encore plus loin, en entraînant le MNN de manière à ce qu’il change complètement la forme de la structure si besoin pour conserver une efficacité énergétique maximale.

Ce prototype n’est qu’une preuve de concept servant à montrer le potentiel des MNN. L’équipe souhaiterait à présent adapter son réseau en 3D, car la modélisation informatique a révélé que les réseaux 3D auraient une capacité d’apprentissage et d’adaptation beaucoup plus grande (de par leur plus grand nombre de connexions). Mais pour le moment, les mécanismes utilisés sont trop complexes pour être transposables en 3D, précise le chercheur.

Source : R. H. Lee et al., Science Robotics

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