Première en physique quantique : des chercheurs observent des molécules se former par effet tunnel

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L’effet tunnel permet aux particules de franchir la barrière énergétique et une réaction se produit. | Universität Innsbruck/Harald Ritsch
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Pour la première fois, des physiciens de l’Université d’Innsbruck ont observé au cours de leurs expériences une réaction chimique se produire par effet tunnel. Les réactions à effet tunnel jouent un rôle fondamental en chimie lorsque les voies classiques sont « interdites » du point de vue énergétique. Cette observation peut également être parfaitement décrite par la théorie. Il s’agit de la réaction avec des particules chargées la plus lente jamais observée.

L’effet tunnel résulte de la nature ondulatoire de la matière. Il s’agit d’un phénomène de mécanique quantique dans lequel un objet, tel qu’un électron ou un atome, parvient à franchir une barrière d’énergie potentielle alors que, selon la mécanique classique, son énergie est inférieure à l’énergie minimale requise. Les réactions par effet tunnel en chimie sont très difficiles à calculer théoriquement, de par la grande dimensionnalité de la dynamique quantique, notent les chercheurs dans Nature.

Pour simuler des réactions chimiques avec plus de trois particules, les physiciens théoriciens utilisent la physique classique et doivent négliger les effets quantiques — une approche qui ne peut fournir que des résultats approximatifs. Les réactions par effet tunnel sont tout aussi difficiles à observer expérimentalement : le phénomène rend la réaction très improbable, donc extrêmement lente. Après plusieurs tentatives, Roland Wester, du Département de physique ionique et de physique appliquée de l’Université d’Innsbruck, et son équipe ont cependant réussi à faire cette observation pour la première fois.

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Un phénomène essentiel aux collisions de particules

Si les réactions à effet tunnel sont généralement difficiles à prédire, les systèmes hydrogéniques permettent des calculs plus précis — l’hydrogène étant l’élément le plus simple de l’Univers. Ainsi, la vitesse de la réaction à effet tunnel du transfert de protons, en phase gazeuse et à basse température, des molécules d’hydrogène vers des anions de deutérium (H2 + D → H + HD), a pu être calculée.

En 2018, Roland Wester et d’autres physiciens rapportaient dans Physical Review A, une « probabilité de réaction » de 3,1 x 10-20 cm3/s pour l’orthohydrogène (du dihydrogène composé de molécules dans lesquelles les deux protons ont des spins orientés dans le même sens). Cette valeur n’avait cependant jamais été vérifiée expérimentalement jusqu’à présent. Wester et d’autres collaborateurs ont relevé le défi.

Ils ont introduit du deutérium dans un piège à ions, l’ont refroidi, puis ont rempli le piège d’hydrogène gazeux. En raison des températures très basses, les ions deutérium chargés négativement ne disposent pas de l’énergie nécessaire pour réagir avec les molécules d’hydrogène de la manière « conventionnelle ». Dans de très rares cas, cependant, une réaction se produit lorsque les deux entrent en collision. C’est là qu’intervient l’effet tunnel.

« La mécanique quantique permet aux particules de franchir la barrière énergétique grâce à leurs propriétés d’ondes mécaniques quantiques, et une réaction se produit », explique Robert Wild, premier auteur de l’étude décrivant les résultats de l’expérience. Après avoir « laissé tourner » la réaction pendant environ 15 minutes, les chercheurs ont déterminé la quantité d’ions hydrogène formés. À partir de ce nombre, ils ont pu déduire la fréquence à laquelle un transfert de proton s’était produit.

Un modèle théorique confirmé pour la première fois

Selon l’étude théorique publiée en 2018, l’effet tunnel dans ce système ne devait se produire que dans une collision sur cent milliards. Les résultats observés dans cette nouvelle expérience sont en accord avec cette estimation théorique. « Nous observons une constante de vitesse extrêmement faible de (5,2 ± 1,6) × 10-20 cm3/s », précisent les chercheurs.

Après 15 ans de recherche, l’équipe a donc confirmé pour la première fois un modèle théorique précis pour l’effet tunnel dans une réaction chimique. Cette avancée aidera les scientifiques à mieux comprendre les processus fondamentaux de collision sur lesquels reposent la plupart des réactions chimiques. À partir de ces travaux, d’autres modèles théoriques pourront désormais être développés, puis testés, pour d’autres réactions.

À savoir que l’effet tunnel joue un rôle majeur dans certains phénomènes physiques macroscopiques, tels que la fusion nucléaire — où il augmente la probabilité que les noyaux atomiques parviennent à franchir la barrière de Coulomb et puissent ainsi fusionner — et la désintégration radioactive alpha des noyaux atomiques. Ce sont d’ailleurs les études de la radioactivité, qui ont permis la découverte de l’effet tunnel : sa première application, en 1928, fut une explication mathématique de la désintégration alpha.

Il est également exploité dans le microscope à effet tunnel — où il permet d’examiner la surface d’un matériau à une résolution spatiale de l’ordre de la taille d’un atome — et dans les mémoires flash. Enfin, il est à l’origine de la synthèse de diverses molécules dans les nuages interstellaires et constitue un facteur clé dans de nombreuses réactions biochimiques (telles que la photosynthèse ou la respiration cellulaire) et processus enzymatiques.

Mieux comprendre le rôle de l’effet tunnel dans les réarrangements moléculaires peut donc avoir des implications importantes dans les calculs énergétiques d’une large gamme de réactions nucléaires et chimiques.

Source : R. Wild et al., Nature

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