La pandémie de COVID-19 a révélé à quel point l’économie mondiale pouvait rapidement basculer, en particulier les marchés liés à la production et l’approvisionnement alimentaire. Bien d’autres événements extrêmes peuvent soudainement mettre à mal la production et la logistique des ressources, de surcroît s’ils se produisent simultanément : catastrophes naturelles (inondations, sécheresses, canicules), crises financières, conflits humains. Comment améliorer la résilience des systèmes alimentaires face à ces menaces croissantes ? Des experts se sont penchés sur la question.
Force est de constater que les événements extrêmes, notamment ceux causés par le changement climatique, se multiplient. Ils réduisent la productivité de l’agriculture et de la pêche, menacent les moyens de subsistance et perturbent la distribution alimentaire. Ils peuvent également entraîner une flambée des prix, la volatilité des denrées alimentaires, des migrations humaines et de l’instabilité politique. Nous avons pu le constater pendant les premiers mois de la pandémie, puis plus récemment, depuis le début de la guerre en Ukraine.
Ces événements peuvent restreindre la disponibilité et l’accès à des aliments sains et nutritifs. « L’ampleur, la portée et la complexité des menaces que les événements extrêmes font peser sur la sécurité alimentaire mondiale peuvent en outre avoir des répercussions en cascade et systémiques qu’il est difficile de prévoir ou de planifier et de préparer », soulignent les chercheurs dans la revue One Earth. Notre capacité à y faire face semble aujourd’hui limitée. Pour améliorer la résilience des systèmes alimentaires, il est essentiel d’identifier et de hiérarchiser les principaux risques.
Menace n°1 : l’augmentation de la demande en eau
Pour ce faire, des chercheurs de l’Université du Colorado, à Boulder, ont sollicité des experts de divers domaines pour leur demander de décrire les principales menaces à la sécurité alimentaire mondiale au cours des deux prochaines décennies. Leur objectif était de fournir une base de travail visant à orienter les transformations du système alimentaire — qui seront incontournables dans les années à venir. « Peu importe qu’il s’agisse d’un choc climatique, environnemental ou politique pour le système – si vous avez des systèmes résilients en place, ils seront capables de faire face à tous les différents types de chocs », explique Zia Mehrabi dans un communiqué, professeur d’études environnementales au Mortenson Center in Global Engineering et auteur principal du rapport.
Un groupe de 69 experts du système alimentaire a participé à cette étude. Chacun a été invité à décrire une menace émergente à l’horizon — une menace qui, selon eux, augmenterait l’insécurité alimentaire mondiale face à des événements extrêmes au cours des deux prochaines décennies. Parmi ces propositions, les chercheurs ont retenu 32 menaces distinctes, couvrant les dimensions sociales, économiques, environnementales et géopolitiques. Ces 32 menaces ont ensuite été classées en fonction de leur impact et de leur probabilité d’occurrence.
Sans surprise, les événements environnementaux dus au changement climatique arrivent en tête du classement. L’augmentation de la demande en eau, la sécheresse, les vagues de chaleur et l’effondrement des services écosystémiques auront sans aucun doute de lourdes conséquences sur la sécurité alimentaire. Mais l’accès aux ressources alimentaires n’est pas qu’une question de climat, comme le souligne Mehrabi : « La sécurité alimentaire n’est pas un problème de production, c’est un problème de distribution, d’accès et de pauvreté, et cela est exacerbé par les conflits ».
En effet, l’inégalité des revenus, les chocs des prix mondiaux, l’instabilité politique et la migration des populations font eux aussi partie des principales menaces à la sécurité alimentaire. « Plus de 50% des personnes souffrant de la faim dans le monde vivent dans des régions en conflit », écrivent les chercheurs. Les conflits rendent les gens plus vulnérables et limitent leur capacité d’adaptation, précise Mehrabi.
De meilleures cartes et un système alimentaire diversifié
En plus de demander aux experts leur perception des principales menaces à la sécurité alimentaire mondiale liées aux événements extrêmes, les chercheurs leur ont demandé d’identifier les priorités de recherche en la matière. Une cinquantaine de questions ont émergé de cette enquête ; nombre d’entre elles nécessitaient d’établir de meilleures cartes et prévisions, permettant d’« éclairer la prévention proactive et une réponse rapide avant, pendant et après les événements extrêmes ». Par exemple, « comment les technologies de télédétection peuvent-elles contribuer au mieux à réduire l’insécurité alimentaire et mieux comprendre l’augmentation des événements extrêmes dans les zones où les données sont rares ? ».
Une autre série de questions était directement liée aux exploitations agricoles, les chercheurs soulignant au passage que de nombreux agriculteurs, éleveurs, chasseurs et pêcheurs du monde sont eux-mêmes en situation d’insécurité alimentaire. « Quelles pratiques à la ferme augmentent la résilience à la sécheresse, sont rentables et faciles à adopter ? », « Dans quelle mesure l’augmentation de la diversité des cultures peut-elle améliorer la capacité d’adaptation des petits exploitants ? », font partie des points à explorer.
Plusieurs experts ont par ailleurs donné la priorité à la diversification du système alimentaire. Nous avons en effet pu constater à quel point l’approvisionnement mondial en blé a été impacté par l’invasion de l’Ukraine (responsable de 10% des exportations mondiales de blé et de 40% du blé du Programme alimentaire mondial en 2021). Comment les pays peuvent-ils diversifier leur production alimentaire, à la fois en matière de localisation et de production nutritionnelle ? C’est l’une des questions sur lesquelles les décideurs devraient se concentrer dès à présent, selon les chercheurs.
Selon les chiffres communiqués par les Nations Unies, la prévalence de la sous-alimentation a augmenté en 2020 et a atteint environ 9,9% contre 8,4% un an plus tôt ; près d’une personne sur trois n’avait pas accès à une alimentation adéquate. Environ 660 millions de personnes pourraient encore être confrontées à la faim en 2030, en partie en raison des effets durables de la pandémie de COVID-19 sur la sécurité alimentaire mondiale. Le chômage, la perte de revenus et l’augmentation du coût des denrées alimentaires — y compris des aliments de base — compliquent l’accès à la nourriture pour un grand nombre de personnes.
« Comment allons-nous construire et gouverner des systèmes alimentaires qui soient résilients à tous les différents types de chocs et d’événements extrêmes ? Nous devons commencer à réfléchir à la façon dont nous pouvons construire des systèmes capables de s’adapter et de faire face à tous ces événements », conclut Mehrabi.