Des galets aux origines groenlandaises, découverts sur une plage islandaise, viennent conforter l’hypothèse d’un épisode climatique particulièrement rigoureux précédant la chute de l’Empire romain. Ces fragments rocheux, apportés par des icebergs entre les années 500 et 700, s’inscriraient dans le cadre du « Petit âge glaciaire de l’Antiquité tardive », un refroidissement climatique continental qui pourrait avoir précipité l’effondrement de l’Empire.
Depuis des décennies, les chercheurs avancent des explications multiples — plus de 200 — pour éclairer les raisons de la disparition de l’Empire romain vers 476 de notre ère. Parmi les causes les plus sérieusement considérées figurent les bouleversements économiques, la peste de Justinien et les effets d’un changement climatique majeur. La famine induite par l’instabilité économique aurait, dans certaines régions de l’Empire, accru la vulnérabilité des populations face aux épidémies.
Parallèlement, le dérèglement climatique aurait déclenché des mouvements migratoires depuis l’Asie centrale, où la peste était endémique, facilitant ainsi la diffusion du fléau. Ce phénomène aurait également favorisé la migration de rongeurs porteurs de la maladie vers les cités méridionales, en modifiant les écosystèmes et les conditions de survie des espèces dans leurs habitats naturels.
Le développement des réseaux commerciaux, terrestres comme maritimes, a certes dopé les échanges économiques, mais il a aussi servi de vecteur à la propagation des maladies. Par ailleurs, si les cités romaines étaient à bien des égards des modèles d’ingénierie civile, elles souffraient de conditions sanitaires déplorables dues à une gestion déficiente des déchets et des eaux usées. Ce terreau insalubre favorisait la prolifération des nuisibles et des épidémies.
L’interaction de ces facteurs aurait précipité le déclin progressif de l’Empire. La peste, qui aurait causé la mort de milliers, voire des dizaines de milliers de personnes par jour à Constantinople selon certaines sources historiques, a vidé les rangs de l’armée et fragilisé le pouvoir militaire. La chute démographique a par ailleurs réduit les recettes fiscales d’un État déjà vacillant, entraînant une hausse des impôts qui a aggravé la crise économique.
L’hypothèse d’un bouleversement climatique majeur trouve un écho dans l’existence du « Petit âge glaciaire de l’Antiquité tardive », dont la chronologie coïncide avec le recul de l’Empire. Les données géologiques situent cet épisode en Europe autour de l’an 540, avec une durée d’environ deux siècles. Une équipe de chercheurs des universités de Southampton (Royaume-Uni) et Queen’s à Kingston (Canada) vient d’apporter de nouveaux éléments à cette hypothèse, grâce à l’analyse de galets recueillis sur une plage islandaise.
Des roches charriées depuis le Groenland par des icebergs
C’est en examinant des images satellites de la côte ouest de l’Islande que les scientifiques ont repéré une bande littorale singulièrement claire, contrastant avec le sable noir volcanique caractéristique des plages islandaises.
Sur le terrain, ils ont rapidement attribué cette clarté à la présence abondante de coquillages. Mais en poursuivant leurs investigations, ils ont mis au jour des galets de granit aux teintes pâles, dont l’origine ne semblait manifestement pas islandaise. « C’est presque embarrassant de constater à quel point cette découverte a été facile », a confié Christopher Spencer, de l’Université Queen’s de Kingston, au New Scientist.
Les analyses ont confirmé que ces fragments granitiques proviennent de divers sites du Groenland, situé à quelque 300 kilomètres au nord-ouest de l’Islande. Selon les chercheurs, ces roches ont été transportées par des icebergs détachés des glaciers groenlandais, avant de dériver jusqu’aux côtes islandaises.
Ce type de transport glaciaire reste rare dans la région, et aucune autre plage d’Islande n’a livré de galets similaires. Or, la couche sédimentaire contenant ces roches est datée de la période comprise entre 500 et 700 de notre ère, ce qui suggère une augmentation de l’activité glaciaire au Groenland durant cette période. La multiplication des icebergs indique un climat plus froid et des glaciers plus étendus : autant de signes d’un refroidissement climatique bref mais significatif.
Si l’ampleur exacte de l’impact du Petit âge glaciaire de l’Antiquité tardive sur la chute de Rome demeure sujette à débat, les chercheurs s’accordent à dire qu’il a affecté plusieurs civilisations. Cet épisode coïncide, entre autres, avec l’effondrement de la dynastie des Wei du Nord en Chine. Les résultats obtenus par Spencer et ses collègues viennent ainsi enrichir le faisceau d’indices pointant le changement climatique comme l’un des catalyseurs du déclin romain.