Fin août 2019, les astrophysiciens détectent un objet traversant le Système solaire. Des observations approfondies effectuées avec le télescope Gemini ont permis de confirmer qu’il s’agissait bien d’une comète. Baptisée 2I/Borisov, son origine interstellaire est établie par l’Union Astronomique Internationale en septembre 2019. Des mesures récentes ont montré que la comète dégageait une quantité inhabituelle de monoxyde de carbone (CO). Les chercheurs suggèrent que la comète se serait ainsi formée dans les régions froides et extérieures d’un disque protoplanétaire éloigné.
Lorsque la première comète venue de l’espace interstellaire a été repérée traversant le Système solaire, les astronomes lui ont prêté une attention toute particulière. 2I/Borisov a été une occasion extraordinairement rare d’étudier la formation de comètes autour d’autres étoiles. Au regard des données initiales, 2I/Borisov ressemblait beaucoup à des comètes du Système solaire extérieur. Mais une nouvelle analyse, publiée dans la revue Nature Astronomy, a révélé que la comète vient en réalité de bien plus loin.
Dans le nuage de gaz qu’elle a commencé à produire à l’approche du Soleil, une équipe d’astrophysiciens a détecté plus de monoxyde de carbone qu’ils n’en ont jamais vu dans une comète à moins de 300 millions de kilomètres du Soleil. « C’est la première fois que nous regardons à l’intérieur d’une comète de l’extérieur de notre système solaire, et c’est radicalement différent de la plupart des autres comètes que nous avons vues auparavant », déclare l’astrochimiste Martin Cordiner de l’Université catholique d’Amérique.
Des modèles de formation cométaire calqués sur les comètes du Système solaire
2I/Borisov n’était pas le premier objet interstellaire connu à avoir pénétré le Système solaire ; c’était ‘Oumuamua. Cependant, 2I/Borisov est bel et bien la première comète interstellaire connue. Les comètes évoluent la plupart du temps dans les parties froides extérieures des systèmes planétaires ; du moins, c’est ce que prédisent les modèles calqués sur le Système solaire.
Des comètes à courte période se sont formées dans la ceinture de Kuiper, un disque de débris situé au-delà de l’orbite de Neptune qui, selon les astrophysiciens, se sont formés beaucoup plus près du Soleil et ont migré vers l’extérieur, tandis que des comètes à longue période se sont formées dans le nuage d’Oort, qui est encore plus loin (mais s’est probablement formé plus près du Soleil que la ceinture de Kuiper).
Des quantités inhabituelles de monoxyde de carbone cométaire
L’évolution des comètes dans d’autres systèmes planétaires est encore mal connue, mais obtenir des éclaircissements pourrait être capital, notamment car les comètes sont présumées avoir apporté les briques de la vie sur la Terre primitive. Ainsi, alors que 2I/Borisov s’éloignait du Soleil après son périhélie du 8 décembre, les astronomes ont étudié attentivement sa chevelure (ou coma), le nuage de gaz qui enveloppe une comète à l’approche du Soleil, et la glace à l’intérieur se sublime à cause de la chaleur.
Ils ont utilisé l’Atacama Large Millimeter/submillimeter Array (un réseau de radiotélescopes situé au Chili) pour obtenir des spectres et des images détaillés de la comète alors qu’elle voyageait à travers le Système solaire intérieur. Ceux-ci décomposent les longueurs d’onde de la lumière rebondissant sur la comète, ce qui permet aux scientifiques de rechercher des longueurs d’onde absorbées ou émises par des molécules spécifiques.
La chevelure de 2I/Borisov contenait du cyanure d’hydrogène ; c’est assez typique pour les comètes du Système solaire, et 2I/Borisov l’émettait en quantités normales. Mais les niveaux de CO ont amené l’équipe à faire une étonnante découverte. Bien que la plupart des comètes du Système solaire contiennent du CO, en quantités très variables, 2I/Borisov en possédait bien plus que ce que nous voyons habituellement — entre 9 et 26 fois plus que les comètes moyennes du Système solaire.
2I/Borisov : elle se serait formée dans les régions froides extérieures d’un disque protoplanétaire
Les astrophysiciens ne savent pas pourquoi les comètes du Système solaire ont des proportions de CO aussi variables, mais ils pensent que cela peut être lié à la température à laquelle la comète s’est formée. Plus la température est froide, plus la concentration de CO est élevée. Cela signifie, selon les chercheurs, que 2I/Borisov s’est effectivement formée dans un endroit très froid. « La comète doit s’être formée à partir d’un matériau très riche en glace CO, qui n’est présente qu’aux températures les plus basses de l’espace, en dessous de -250 °C », explique la planétologue Stefanie Milam de la NASA.
Cette région autour d’une autre étoile serait analogue à la distance actuelle de la ceinture de Kuiper — mais, comme les roches de la ceinture de Kuiper sont supposées se former plus près du Soleil, les niveaux de CO dans ses comètes sont beaucoup plus bas que s’ils se formaient à la distance actuelle.
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Cela signifie que 2I/Borisov ne correspond pas vraiment aux modèles de formation de comètes que nous avons basés sur le Système solaire. Il est possible que ce soit un morceau de planète naine riche en CO. Ou elle pourrait posséder une couche isolante qui garde les autres composés volatils gelés tandis que le CO se sublime.
Mieux comprendre la formation des comètes à haute teneur en monoxyde de carbone
Récemment, 2I/Borisov a atteint la fin du Système solaire et a été observée se brisant en morceaux. Cela pourrait nous en dire beaucoup sur la composition intérieure de la comète, et aider à exclure ou à confirmer les hypothèses de l’équipe. Mais les niveaux élevés de CO cométaire ne sont pas sans précédent non plus. Une comète découverte en 2016 — C/2016 R2 (PanSTARRS) — avait des niveaux de CO des dizaines de fois supérieurs à 2I/Borisov.
Cela a été interprété comme une origine dans le nuage d’Oort, mais 2I/Borisov soulève la possibilité que C/2016 R2 (PanSTARRS) puisse également avoir une origine interstellaire. « 2I/Borisov nous a donné un premier aperçu de la chimie qui a façonné un autre système planétaire. Mais ce n’est que lorsque nous pourrons comparer l’objet à d’autres comètes interstellaires que nous apprendrons si 2I/Borisov est un cas spécial, ou si chaque objet interstellaire a des niveaux de CO inhabituellement élevés », conclut Milam.