Le phénomène d’expansion accélérée de l’Univers entraîne inexorablement dans son sillage tous les objets, et seules les structures gravitationnellement liées peuvent conserver une cohésion. Pour une civilisation, cela signifie que, au cours du temps, de nombreuses étoiles seront définitivement entraînées au delà de l’horizon cosmologique et deviendront inaccessibles, représentant ainsi une perte d’énergie potentielle considérable. Toutefois, une civilisation suffisamment avancée pourrait retarder cette issue.
Non seulement l’Univers est en expansion, mais l’on sait depuis 1998 que celle-ci accélère sous l’action de l’énergie sombre. Bien que la dynamique de l’Univers ait varié au cours de son histoire et que l’expansion ne se soit mise à accélérer il y a seulement 5 à 6 milliards d’années, aucun indice observationnel ne permet actuellement d’affirmer que cette accélération cessera un jour.
Tandis que l’espace se dilate, les étoiles et les autres objets finiront inéluctablement par passer au-delà de l’horizon cosmologique, c’est-à-dire la limite de l’Univers observable depuis un référentiel donné. Techniquement, les objets ne traversent pas l’horizon, mais ils sont de plus en plus décalés vers le rouge (redshift) tant et si bien qu’ils deviennent inaccessibles.
La menace de l’accélération de l’expansion de l’Univers sur les sources d’énergie d’une civilisation
Lorsque l’énergie sombre dominera quasi-totalement la densité d’énergie totale, l’Univers entrera dans une phase d’expansion exponentielle, se traduisant par un facteur d’échelle (mesure de la variation de la distance entre deux objets du fait de l’expansion) a(t) ∝ eHt avec H = H0Ω1/2 ; « H » désigne ici la constante de Hubble. Cette valeur de « H » est la valeur asymptotique de la constante de Hubble considérant les paramètres actuels : H0 = 67.8 km/s/Mpc et l’abondance de l’énergie sombre Ω = 0.692, tels que mesurés par la mission Planck. Cela signifie que l’accélération de l’expansion deviendra exponentielle à long terme.
Ainsi, dans approximativement 100 milliards d’années, toute la matière non gravitationnellement liée aux galaxies constituant le Groupe Local sera causalement déconnectée de la Voie lactée, au-delà des limites de l’horizon cosmologique. Une telle dynamique limitera nécessairement les quantités d’énergie stockables et consommables par une civilisation avancée, tandis que les étoiles deviendront une à une inaccessibles. Toutefois, une civilisation suffisamment avancée technologiquement pourrait déployer des stratégies visant à sécuriser le maximum d’énergie avant de ne plus y avoir accès. C’est l’idée développée par Dan Hooper, astrophysicien à l’université de Chicago et au Centre des Astroparticules du Fermi National Accelerator Laboratory dans un papier publié sur le serveur arXiv.
Collecter les étoiles pour contrer l’expansion de l’Univers grâce aux sphères de Dyson
Pour ce faire, une civilisation devrait d’abord atteindre le Type III sur l’échelle de Kardashev. Cette échelle a été élaborée en 1964 par l’astrophysicien russe Nikolaï Kardachev afin de classer les civilisation selon leur niveau technologique et leur consommation énergétique. Une civilisation de Type I est capable de collecter toute l’énergie disponible sur sa planète, soit environ 1 ×1016 W . Une civilisation de type II est capable d’exploiter toute l’énergie de son étoile, soit environ 1 × 1026 W. Enfin, une civilisation de Type III est capable d’exploiter toute l’énergie de sa galaxie hôte, soit environ 1 × 1036 W.
Une telle civilisation a donc atteint un niveau d’astro-ingénierie avancée et maîtrise notamment l’ingénierie stellaire. Elle sait donc comment construire des mégastructures autour des étoiles pour en exploiter l’énergie de manière optimale. Une civilisation avancée pourrait ainsi construire des sphères de Dyson. Introduites par le physicien Freeman Dyson en 1960, les sphères de Dyson sont des mégastructures hypothétiques sphériques creuses placées autour des étoiles afin d’en recueillir toute l’énergie, qui est ensuite réémise sous forme de rayonnement infrarouge pour être stockée. Les sphères de Dyson ne sont pas uniquement des objets de science-fiction, elles ont fait l’objet de nombreuses études scientifiques.
Dans la situation où une civilisation devrait sécuriser le maximum d’étoiles avant que ces dernières ne disparaissent du fait de l’expansion, l’objectif ne serait pas de collecter toute l’énergie des étoiles, mais d’utiliser une partie de l’énergie recueillie pour propulser les étoiles au plus proche de la civilisation afin qu’elles deviennent gravitationnellement liées et soient ainsi « protégées » des effets futurs de l’expansion. Néanmoins, cette méthode ne peut fonctionner avec toutes les étoiles.
En effet, les étoiles trop massives évolueraient au delà de la séquence principale avant de se rapprocher suffisamment de la civilisation centrale et se transformeraient en supernovas ; tandis que les étoiles trop peu massives ne fourniraient pas assez d’énergie pour soutenir la propulsion artificielle et seraient inexorablement entraînées par l’expansion. Seules les étoiles avec une masse comprise entre 0.2 et 1 masse solaire s’avèrent être les candidates idéales. Une civilisation qui commencerait cette stratégie aujourd’hui en se déplaçant à une vitesse maximale égale à 10% de la vitesse de la lumière dans le vide pourrait sécuriser toutes les étoiles présentes dans un rayon de 65 Mpc.
Lorsque la civilisation atteindrait une étoile, elle pourrait construire une sphère de Dyson afin de transférer l’énergie collectée à l’énergie cinétique de l’étoile dans le but de l’accélérer dans une direction précise. Pour ce faire, une série de réflecteurs pourraient être utilisés pour concentrer le rayonnement de l’étoile dans une seule direction. Cela serait par exemple accompli avec un moteur stellaire tel qu’un propulseur de Shkadov (ou moteur stellaire de classe A). Un propulseur de Shkadov consiste en un gigantesque miroir sur lequel s’exerce la pression de radiation de l’étoile.
La vitesse de propulsion dépend de la masse (M) et de la luminosité (L) de l’étoile. Pour le Soleil, avec M = 1.99 × 1030 kg et L = 3.85 × 1026 W, la poussée fournie par un propulseur de Shkadov reflétant la moitié de la puissance solaire serait de 1.28 × 1018 N, soit une vitesse 20 m/s au bout d’un million d’années. Bien que stable, cette méthode s’avérerait trop lente. Alors qu’en utilisant directement une partie de la masse de l’étoile comme combustible, des accélérations plus importantes seraient possibles.
Grâce à cette stratégie, d’ici 30 milliards d’années, une civilisation pourrait augmenter, en ramenant de nouvelles étoiles, l’énergie stellaire disponible actuellement dans le Groupe Local d’un facteur de plusieurs milliers.
Détecter les signatures d’une civilisation avancée recueillant des étoiles
Il est toutefois possible que des civilisations avancées en dehors du Groupe Local, mais dans notre sphère de Hubble, aient déjà commencé à exploiter cette méthode il y a plusieurs milliards d’années. Un tel processus laisserait des indices observables. En effet, si une civilisation collecte les étoiles de son environnement périphérique, cela devrait conduire à une altération de la distribution stellaire et provoquer des zones anormalement dépourvues d’étoiles.
De notre point d’observation, une telle civilisation apparaîtrait comme une région de plusieurs dizaines de Mpc de rayon, avec peu ou pas d’étoiles percevables de masse inférieure à 2 masses solaires (car enfermées dans des mégastructures). Contrairement aux sphères de Dyson classiques réémettant l’énergie stellaire sous forme d’infrarouges, l’énergie serait ici directement utilisée pour propulser l’étoile, générant un important rayonnement électromagnétique visible.
Alors que de précédentes études ont suggéré des moyens de détecter de potentielles sphères de Dyson autour d’étoiles isolées de la Voie lactée, il s’agit ici de considérer des galaxies, ou des groupes de galaxies, à l’intérieur desquelles la majorité des étoiles sont entourées de sphères de Dyson ; une telle situation mène à des stratégies observationnelles et à des signatures différentes.
Le spectre d’une galaxie dont la majorité des étoiles de 0.2 à 1 masse solaire sont exploitées par une civilisation est dominé par la luminosité des étoiles massives, et donc des pics de longueurs d’onde plus importante devraient être observés. Des méthodes spectroscopiques permettent déjà de déterminer la masse des différentes étoiles d’une galaxie.