La coque de noix de cajou, largement disponible et souvent considérée comme un déchet en Afrique, pourrait servir à la production d’excipients pour les vaccins à ARNm, selon des chercheurs. L’huile qu’elle renferme permettrait notamment de fabriquer des capsules capables d’administrer les vaccins aussi efficacement que les nanoparticules lipidiques actuellement utilisées. Plus respectueuses de l’environnement, ces capsules pourraient aussi favoriser l’autonomie pharmaceutique du continent en réduisant sa dépendance aux brevets occidentaux.
La pandémie de Covid-19 a plus que jamais mis en évidence la nécessité de plateformes vaccinales à la fois évolutives et abordables. Les vaccins à ARNm font depuis l’objet d’intenses recherches, car ils peuvent être produits beaucoup plus rapidement que les vaccins traditionnels. Sans cellules, ils peuvent être fabriqués en grandes quantités dans des installations de taille relativement modeste.
Les vaccins à ARNm déclenchent une immunité contre des agents pathogènes spécifiques en induisant une réponse antigénique. Les molécules d’ARNm doivent toutefois être encapsulées dans des bulles lipidiques ionisables, chargées positivement, afin de pouvoir être administrées dans l’organisme.
« Les ARNm sont de très grosses molécules, fortement chargées négativement et instables. Ils ont besoin d’un “emballage” pour être transportés en toute sécurité dans les cellules, afin que l’organisme puisse convertir l’information de l’ARNm en protéines antigéniques », explique Patrick Arbuthnot, directeur de l’unité de recherche en thérapie génique antivirale (AGTRU) du Conseil sud-africain de recherche médicale à la Wits School of Chemistry de l’Université Witwatersrand, en Afrique du Sud, cité dans un article de la revue Nature.
Cependant, les lipides ionisables utilisés aujourd’hui sont des dérivés pétrochimiques, donc non durables et extrêmement coûteux. Leur prix élevé s’explique surtout par la complexité des procédés de purification et de séparation par chromatographie, qui peuvent porter leur coût jusqu’à 3 500 dollars le gramme.
Des excipients plus abordables et plus durables
Arbuthnot et ses collègues proposent une alternative bien plus accessible, notamment pour l’Afrique, qui ambitionne de produire 60 % de ses vaccins d’ici 2040. Aujourd’hui, le continent ne fabrique qu’environ 1 % des doses qu’il consomme, la majorité des vaccins produits localement restant soumis à des brevets étrangers, vendus à des prix prohibitifs.
L’autosuffisance pharmaceutique en Afrique devient d’autant plus urgente que plusieurs programmes de financement américains, notamment dans le domaine de la santé, ont été suspendus ou réduits ces dernières années — une évolution qui accentue encore les inégalités sanitaires entre l’Afrique et l’Occident. Pour y remédier, du moins en partie, l’équipe de la Wits School of Chemistry propose d’exploiter l’huile extraite des coques de noix de cajou.
« La découverte de l’huile de noix de cajou et sa transformation en lipides ionisables, élément essentiel du système d’administration des vaccins à ARNm, constituent un moyen concret de renforcer la préparation et la capacité de réponse du continent face aux futures pandémies. Elle contribuera à la souveraineté vaccinale de l’Afrique, mais aussi à sa sécurité et à son équité sanitaires », affirme Arbuthnot dans un billet de blog publié par l’Université Witwatersrand.
Aussi efficace que les capsules pour vaccins de Moderna
Selon les chercheurs, l’huile issue de la coque de noix de cajou peut être aisément transformée en cardanol hydrogéné. Cette matière première est disponible en abondance sur le continent, qui produit jusqu’à 54 % des noix de cajou au niveau mondial. Considérée comme un déchet, elle ne concurrence aucune autre filière d’utilisation.



Des étapes de synthèse supplémentaires permettent de convertir le cardanol hydrogéné extrait des coques en capsules lipidiques ionisables. Si les études détaillant cette technologie n’ont pas encore été publiées, les premiers tests montrent qu’elles délivrent les molécules d’ARNm aussi efficacement que les capsules SM102 utilisées par le géant pharmaceutique Moderna pour ses vaccins contre la Covid-19. Les réponses immunitaires obtenues sont également comparables à celles des vecteurs SM102.
La plateforme se distingue aussi par sa flexibilité. « La beauté de cette découverte, c’est sa souplesse : l’équipe peut modifier le code de l’ARNm pour cibler d’autres virus », souligne Arbuthnot. Dans cette optique, l’équipe de l’AGTRU travaille actuellement sur des vaccins candidats prophylactiques contre la tuberculose.
Une entreprise sud-africaine spécialisée dans les excipients pharmaceutiques planche déjà sur la production de lipides ionisables à base d’huile de coque de noix de cajou. Des séries de tests complémentaires devront toutefois être menées avant d’envisager une application clinique, précisent les chercheurs.
Pour soutenir ces travaux, l’équipe a obtenu un financement de 391 500 dollars américains du programme de subventions à l’innovation GIZ SAVax, porté par l’Union européenne et le ministère fédéral allemand de la Coopération économique et du Développement (BMZ). Une procédure de brevet est par ailleurs en cours.